Actualités :: Hommage à Pierre-Claver Damiba, l’homme qui savait ce que « développer » (...)

Il a été, au temps de la « Révolution » puis de la « Rectification », et au-delà, sur la scène africaine et internationale, une des plus élégantes expressions de la compétence économique de l’ex-Haute-Volta dont il avait été ministre à moins de 30 ans. Loin du brouhaha politique des années « révolutionnaires » animées par Thomas Sankara et Blaise Compaoré, il avait permis de donner du « Pays des hommes intègres » une vision positive.

Nous nous sommes connus à Genève, au Palais des Nations, en 1991, alors qu’il était administrateur assistant du PNUD et directeur régional pour l’Afrique. J’étais le cadet de 10 ans + 1 jour de Pierre-Claver Damiba qui était alors une personnalité majeure, non seulement au Burkina Faso mais également en Afrique.

Il savait écouter, animer et décider, avec efficacité et discrétion. Il avait, avec ses interlocuteurs, un étonnant savoir-faire toujours empreint de cette extrême cordialité de ceux qui ont eu, déjà, un long parcours et n’ont rien à prouver.
Il est mort le mercredi 1er mai 2024 à Ouagadougou.

Une formation de banquier-financier

Pierre-Claver Damiba est né le 13 janvier 1937 à Koupéla, dans la province du Kouritenga, au centre-est du Burkina Faso. Il doit son prénom à un prêtre jésuite espagnol du XVIè siècle (Pierre Claver) qui s’est totalement investi dans le soutien aux esclaves africains débarqués sur les côtes de l’actuelle Colombie. D’où l’éducation catholique de Pierre-Claver Damiba (qui en gardera une passion pour la musique grégorienne).

Son père, Emile, était secrétaire du chef de province ; sa mère était née Marguerite Nikiéma. Pierre-Claver Damiba débutera ses études au Petit séminaire de Pabré avant de rejoindre le collège diocésain du Sacré-Coeur à Ablon-sur-Seine, dans le département du Val-de-Marne. Il fera donc l’essentiel de ses études en France, notamment au sein de la Faculté de droit de Paris où il décrochera une licence ès sciences économiques avant de rejoindre le Centre d’études et de formation économique et bancaire (Céféb) de la Caisse centrale de coopération économique (CCCE aujourd’hui AFD/Agence française de développement). Il sortira major de sa promotion en 1962 dans la section Planification, banques et projets de développement. Le 29 juin 1963, il épousera Kadidia Christel Sall (décédée le 15 octobre 2014) qui lui donnera six enfants.

Ministre de Lamizana lors du premier régime militaire

Il retournera alors en Haute-Volta où, administrateur des services financiers, il sera nommé directeur du Plan (1962) et, en plus, chargé des relations industrielles (à compter de 1965). Le 8 janvier 1966, à la suite de la prise du pouvoir par le lieutenant-colonel Aboubakar Sangoulé Lamizana, Pierre-Claver Damiba entrera au gouvernement. Il en sera le numéro cinq avec le portefeuille du Développement et du Tourisme. Le 6 avril 1967, il deviendra ministre du Plan et des Travaux publics.

Il quittera le gouvernement le 22 février 1971 à la suite de la nomination de Kango Gérard Ouédraogo au poste de premier ministre (nouvellement créé) de la IIè République (Lamizana étant toujours président de la République, président du Conseil des ministres, mais avec le grade général de division).

Dans le même temps, il aura été gouverneur à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Bird (1963-1974), administrateur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest/BCEAO (1964-1974), président d’Air Volta dont il a été le créateur (1967-1974), vice-président de la Régie du chemin de fer Abidjan-Niger/Ran (1967-1974).

Ouaga, Lomé, Washington puis New York

En 1974, Pierre-Claver Damiba sera nommé directeur général de la Caisse nationale des dépôts et des investissements. C’est le début d’une longue carrière dans la banque et les institutions financières internationales.

En 1975, il deviendra le premier président exécutif de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) dont le siège est à Lomé. En 1981, il rejoint la Banque mondiale comme conseiller spécial auprès de la Société financière internationale (SFI). Le 19 septembre 1983 (moins d’un mois après la conquête du pouvoir par le Conseil national de la révolution/CNR de Thomas Sankara), il aura quitté Washington pour New York et le siège des Nations unies. Il est Assistant Administrator and Regional Director for Africa au Regional Bureau for Africa de l’United Nations Development Progamme, le Pnud.

Pour l’Afrique, les espérances des années 1970 avaient été déçues. L’Afrique abordait les vingt dernières années du XXè siècle plus exsangue que jamais. Le Pnud va dès lors mettre en place, en décembre 1984, le Bureau des opérations d’urgence des Nations unies en Afrique. Le Programme va accroître son appui dans les domaines de la production alimentaire, de la mise sur pied d’approvisionnement d’urgence en eau, de l’appui logistique pour le stockage et la distribution des vivres et l’installation des réfugiés.

Damiba entend ne pas injurier l’avenir en se contentant seulement de gérer l’immédiat. De plus en plus de pays africains sont contraints de signer des programmes d’ajustement structurel souvent mal perçus par les populations. Le Pnud leur apporte son assistance dans les opérations de promotion du secteur privé. C’est ainsi qu’en 1986 sera créé le service de promotion et de développement des investissements en Afrique (APDF) dont Damiba présidera le conseil consultatif. Damiba va aussi se souier du poids de la dette et des difficultés de trésorerie des pays africains. Il va organiser, à Genève, dans le cadre des Nations unies au Palais des Nations, les « conférences de table ronde ».

Animateur des « conférences de table ronde »

Il s’agit de réunir, dans le même temps et le même lieu, les représentants des agences bilatérales et multilatérales pour écouter les doléances financières d’un pays et trouver, ensemble, des solutions. C’est en septembre 1990, lors de la Conférence de Paris sur les Pays les moins avancés (PMA) qu’il avait été décidé d’instituer les « conférences de table ronde ».

Pierre-Claver Damiba va s’y atteler faisant de Genève son deuxième fief. Il sait fait « tourner la machine » du Pnud et créer le meilleur contact entre les demandeurs et les bailleurs de fonds. Voyages, contacts, études de dossiers, réunions avec les staffs du Pnud… Tôt le matin jusque tard le soir, il s’active sans en avoir l’air, avec son habituelle gentillesse et sa totale disponibilité, accessible à tous et à toutes, toujours prêt à organiser un contact privilégié pour pouvoir discuter d’un problème précis.

Damiba va organiser des dizaines de « conférences de table ronde » qui, chaque fois, réuniront sous sa présidence, le gratin du monde financier international.

J’ai participé, en 1991, à deux de ces conférences, l’une consacrée à la RCA, l’autre au Burkina Faso. Ouagadougou mettait en œuvre une nouvelle stratégie de développement qui était aussi le résultat d’une évolution politique majeure. C’est dire que l’organisation de la « conférence » n’avait pas été simple. « Il a fallu des débats, des éclaircissements sur le plan économique et financier, me dira Damiba. Il a fallu surtout clarifier le processus démocratique en cours, dire si c’est une véritable évolution et non un simple vernis. A l’évidence, on s’est rendu compte ici que le Burkina Faso s’est engagé à quitter un régime politique d’exception pour avancer vers un régime de droit. Cela a été très clairement perçu par les bailleurs de fonds ». Il est vrai que les délégués burkinabè présents tenaient la route : le ministre d’État Roch Marc Christian Kaboré dirigeait la délégation à laquelle participaient également Bintou Sanogoh et Frédéric-Assomption Korsaga (Sanogoh allait perdre le portefeuille des finances au profit de Korsaga quelques semaines plus tard) ; ils étaient accompagnés de plusieurs directeurs de l’administration centrale.

Expert en matière de mobilisation des financements internationaux

Pierre-Claver Damiba deviendra un bon connaisseur des méthodes à mettre en place pour mobiliser les financements internationaux. Par la suite, ayant quitté le Pnud, il mettra son expérience au service de l’African Capacity Building Foundation (ACBF) dont il sera nommé secrétaire exécutif en 1993. Il assurera cette fonction pendant plusieurs années (après avoir échoué à se lancer dans une carrière politique). En novembre 1999, il regagnera définitivement le Burkina Faso.

C’était alors un sexagénaire qui continuait à se passionner pour les problématiques du développement économique. Il fustigeait notamment une « conception inadaptée de la croissance » ; il évoquait une « croissance comptable et non économique qui ne créée ni emplois ni valeur ajoutée ». Il appelait à une « véritable révolution » du système d’enseignement. Il soulignait également la nécessité d’une dose de protectionnisme, un « protectionnisme pédagogique » disait-il. Les questions environnementales ne lui étaient pas étrangères. Il prenait en compte les « jeunes qui refusent les conditions de vie pauvre dans la brousse et migrent fréquemment vers les villes » (L’Economiste du Faso du lundi 6 juin 2016). Il dénonçait les contraintes qui pèsent sur les PME-PMI du fait de la frilosité des banques (des « comptoirs financiers », disait-il, rien de plus).

Ra-Sablga Seydou Ouédraogo, de l’Institut FREE Afrik, a, dans l’hommage qu’il a rendu à Pierre-Claver Damiba (lefaso.net du jeudi 2 mai 2024), révélé l’existence d’un document de plus de 1.000 pages rédigé par Damiba. Il faut espérer que celui-ci puisse être, dès que possible, rendu disponible. J’ai toujours le regret que les dossiers de mon ami Pascal Zagré n’aient pas fait l’objet d’un recensement et d’un regroupement aussitôt après sa mort brutale à Boston. Il a une avenue à son nom à Ouaga 2000 ; il aurait été préférable que son travail d’économiste et de ministre soit valorisé et diffusé. Afin, notamment, d’être lu et étudié par tous ceux qui prétendent gouverner le Burkina Faso.

Jean-Pierre Béjot
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