Actualités :: 15 Octobre 1987 - 15 octobre 2006 : La Révolution revisitée
Thomas Sankara

Hier 15 octobre 2006 marque pour les uns le 19e anniversaire du pouvoir de Blaise Compaoré, et pour les autres celui de l’assassinat de Thomas Sankara. Une date, deux événements, selon qu’on s’est débarrassé de ses oripeaux révolutionnaires pour revêtir la tenue de démocrate ou qu’on est resté révolutionnaire, ne fût-ce que du bout des lèvres pour vibrer de mots en "isme".

Comme toutes les autres révolutions, celle du 4 août 1983 souffrait d’une pathologie rédhibitoire : elle a fini par bouffer ses propres enfants ! Ce fut d’abord la tête qui a été décapitée, un soir du 15 octobre 1987. Puis deux ans après en 1989, deux des 4 coordonnateurs du Faso (1) seront eux aussi mangés par le monstre qu’ils ont enfanté six ans plus tôt. Il ne restait plus au gouvernail qu’un certain Blaise Compaoré.

Au sujet de ces événements, on va épiloguer longtemps sur ses tenants et ses aboutissants, car il est évident qu’on n’a pas fini de savoir le fin mot de cette sanglante après-midi. De nos jours, deux thèses continuent de s’affronter : les maîtres actuels du Burkina, c’est-à-dire Blaise et ses ouailles, arguent que le président Thomas Sankara s’apprêtait à les liquider le même jour à une heure précise : c’est le fameux "complot de 20 heures". Quant aux sankaristes, eux ils affirment la main sur le cœur qu’il n’en était rien et que c’est plutôt la soif de pouvoir de Blaise aidé en cela par l’antisankarisme invétéré d’Houphouët Boigny qui a inspiré le coup.

Et d’expliquer que s’il est vrai que les "divergences flagrantes" entre Sankara et Compaoré ont été à la base de ce dénouement tragique, il n’en demeure pas moins que le sort de Thomas avait été scellé lors d’un Sommet extraordinaire de la CEDEAO. Sommet au cours duquel un incident gravissime serait intervenu entre le vieux sage et le jeune capitaine fougueux.

Est-il vrai qu’à cette occasion, Houphouët aurait intimé l’ordre à "Tom Sank" de la boucler, tout en le traitant d’impertinent ? Est-il également vrai que le président du CNR aurait répliqué qu’il n’avait pas d’ordre à recevoir d’un "vieux gâteux" ? Incident avéré ou pas, en l’espèce il faut donner le temps au temps et espérer un jour que les historiens restituent la vraie vérité, car comme le disait Hegel, alors que les canons tonnaient à Iena et qu’on envahissait sa Prusse natale : "L’histoire n’est pas le lieu de la félicité, ses pages ne sont pas blanches, mais noircies de tragédies et de cataclysmes" (2).

En attendant l’année prochaine, pour tirer un bilan plus circonstancié des deux décennies de pouvoir de Blaise Compaoré, il faut compter parmi les "acquis des années Blaise" un prolongement des sillons laissés par le Conseil national de la Révolution (CNR), la structure qui exerçait le pouvoir d’Etat. Le spontanéisme, le volontarisme et surtout la bonne gouvernance sont les "fondamentaux" dont on crédite généralement le régime du 4-Août. En pratiquant cette sorte d’auto-ajustement structurel, comme le décrit bien "Monsieur Boston", feu Pascal Zagré (3), la révolution avait assaini les finances publiques comme 15 ans plutôt avec la "garangose". La politique de l’habitat continue à profiter aux Burkinabè avec les différentes cités (AN II, III, 1200 Logements), sans oublier la réduction du train de vie de l’Etat... Et que dire de cette identité retrouvée et confortée des Burkinabè dont le pays "pauvre parmi les pauvres" était désormais sur orbite. C ependant, c’est tomber dans un angélisme benoît, que de soutenir que tout était rose durant ces 4 années de la Révolution démocratique et populaire (RDP). D’emblée, la tâche noire a été la disparition des libertés collectives et individuelles. Le musellement de la presse indépendante l’entrave à la liberté d’expression, l’embastillement des opposants ou supposés tels, voire leur liquidation physique, les exactions de tous ordres des CDR "brouettes", ou encore les décisions aventuristes et antisociales telle le licenciement des 2 000 enseignants, ont fini par constituer un repoussoir de la Révolution et à jeter l’anathème sur ses premiers responsables.

Voilà donc 19 ans que Blaise a "rectifié" la RDP, pour en faire d’abord un Front populaire, puis un pouvoir constitutionnel pluraliste. De son premier septennat (1991-1998), on retiendra sans doute que l’homme était en apprentissage. Il a appris à connaître les hommes. Ainsi a-t-il écarté certains de ses amis d’hier qu’il fait de temps en temps revenir aux affaires tout en composant avec d’autres qui ne voulaient même pas le voir en peinture.

De cette période didactique, il aura tiré de grandes leçons qui expliquent qu’à son second septennat (1998-2005), il ait eu cette longueur d’avance sur ses adversaires politiques, faisant de lui le deus ex machina politique du Burkina : sommets France/Afrique en 1996, de l’OUA en 1998, CAN la même année ..., un septennat qui aurait été celui de toutes les réussites (intérieur comme extérieur) s’il n’y avait pas eu l’autodafé de Sapouy.

Car s’il y a un trou noir à retenir de ce deuxième septennat, c’est bien l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de trois de ses compagnons le 13 décembre 1998. Un drame qui a fait trembler la République, et dont les frémissements se poursuivent jusqu’à nos jours, et sans doute pour encore longtemps, malgré le non-lieu prononcé il y a deux mois au bénéfice du seul accusé dans l’affaire. L’immixtion supposée ou réelle du régime dans certaines crises africaines est également brandie par les contempteurs du système Blaise.

Quant au quinquennat qu’il vient de débuter en novembre dernier, il est celui de la victoire écrasante, mais aussi des vieilles histoires non résolues qui le rattrapent comme l’affaire Thomas Sankara, qu’on tente d’enterrer ou encore le dossier Norbert Zongo évoqué plus haut. C’est aussi un quinquennat de tous les dangers, avec un front social lourd de menaces et l’absence d’un acte fort pour redonner une lueur aux Burkinabè blasés par les promesses politiciennes et les comportements arrogants de certains responsables. Enfin l’impunité et la mal gouvernance sont autant de préoccupations au sujet desquelles le régime devrait donner des signaux forts.

Finalement, à chaque 15 octobre, au-delà des récupérations politiques, ce sera toujours le parallèle entre deux hommes qui sera fait. Chacun ira de son avis comme Jacques Foccart qui disait : "Sankara était un agitateur, Compaoré un homme d’Etat... le premier menait une existence spartiate, le second apprécie le confort, et ses adversaires lui reprochent même un certain goût du luxe"(4).

Un jugement qui n’est certes pas neutre vu ce qu’a été ce personnage clé de la Françafrique, mais qui vaut ce qu’il vaut. Un jugement auquel d’aucuns pourraient ajouter que si Thomas Sankara a mis le Burkina sur orbite, c’est Blaise Compaoré qui a entrepris de le construire.

Notes :

(1) : A chaque 4-Août le gouvernement était dissous et Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Boukary Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo, les 4 coordonnateurs du Faso, dirigeaient seuls le pays pendant quelques jours.

(2) in "La philosophie de l’histoire" de Hegel.

(3) in : "Burkina Faso : une tradition d’auto- ajustement" de Pascal Zagré.

(4) in "Foccart Parle", Tome 2, de Philippe Gaillard.

Observateur Paalga

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