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Commémoration du 15 -octobre : Thomas Sankara raconté par sa sœur Colette

15 octobre 2019, 14:39, par Sié de Gaoua

Récit très émouvant de la soeur Colette ! Je me rappelle de mon enfance à Gaoua quand Thomas Sankara, alors sous-lieutenant ou lieutenant venait à bord de sa Jeep chez ses "tuteurs" nos voisins du quartier. Nous nous amusions non loin de là et lorsqu’il garait son véhicule, nous allions le saluer les mains croisées en bons écoliers. Il nous serrait individuellement la main, nous caressait la tête, nous demandait si nous allions à l’école, quelle classe nous faisions et si on travaillait bien en classe. Il faisait le même scénario chaque fois qu’il nous voyait lorsqu’il venait dans cette ville et rendait une visite de courtoisie à ses "tuteurs". Nous l’appelions "petit militaire" tellement nous le trouvions petit et jeune pour être dans l’armée. Il présentait toujours l’air de quelqu’un de jovial. J’étais à l’époque à l’école centre B, l’ancienne école filles qui partageait la même cour que l’école centre A (ancienne école garçons) où on nous disait que Thomas Sankara y avait fréquenté. A vrai dire, je ne connaissais pas son prénom à part le surnom que notre groupe d’amusement lui avait donné et le nom "Sankar" qu’on entendait chez certains adultes.
Lorsqu’il fut nom nommé premier ministre au CSP, je l’ai su quand mon père a reçu un journal qui mettait sa photo à la Une dans laquelle il était tout souriant avec un titre écrit en grand caractère "Le capitaine Thomas Sankara commence bien sa primature". J’ai pris le journal pour le montrer à certains camarades leur disant que "petit militaire" est devenu premier ministre.
Au début de l’avènement du CNR, c’est Blaise Compaoré qui était beaucoup plus notre idole. On le présentait comme étant l’ange gardien de Sankara, celui-là même qui a pu s’échapper des filets de l’impérialisme et des forces rétrogrades pour organiser la résistance à Pô afin de porter Thomas au pouvoir. Sankara n’était pas trop un mythe pour nous, peut-être parce que nous avions eu l’occasion de le voir un certain nombre de fois. Personnellement, je brûlais d’envie de voir Blaise Compaoré. Il était mon idole. L’occasion de le voir était toute belle pour moi à la semaine nationale de la culture Gaoua ’84. Nous étions les pionniers de la révolution, joliment habillés en tenue brun planqué d’un béret jaune, bien fourré dans notre culotte. La veille du lancement, nous nous sommes attroupés devant le Théâtre Palé Nani quand le cortège officiel passait dans la soirée. Nous apercevions Thomas Sankara à droite du chauffeur et Blaise Compaoré assis à l’arrière. C’était la liesse totale. Enfin de mon rêve de voir mon idole de près allait se réaliser puisse que je faisais partir des pionniers choisis pour faire la haie d’honneur au passage des officiels au Théâtre Palé Nani.
Le lendemain, après le lancement de la semaine nationale de la culture au bord de la rivière Poni à laquelle je n’ai pu assister, place dans la soirée à l’ouverture des activités culturelles.
Le théâtre Palé Nani était bondé de monde, la haie d’honneur prête. Autour de 20 h, les autorités arrivent, Thomas Sankara en tête suivi de Blaise Compaoré. Mais paradoxe juste après le passage des autorités ! à l’enthousiasme, l’envie, le zèle de voir mon idole s’est subitement substitué un froid glacial qui s’était emparé de mon corps et de mon esprit. J’étais devenu mélancolique envahi par une pressentiment que je n’arrivais pas à m’expliquer ni à extérioriser. Je ne comprenais rien à cette cassure brusque de la joie à la tristesse.
A la mort de Thomas Sankara, je n’étais plus à Gaoua. Je fréquentais dans un lycée à l’ouest où mes parents m’avaient envoyés. Le jeudi soir du 15 octobre 1987, je rentre de l’école. J’entend la fanfare militaire joué sans interruption à la radio. On m’apprit qu’il y avait coup d’Etat à Ouagadougou. Je zappe la radio nationale. Je tombe sur radio mali qui annonce la mort de Sankara dans ce coup de force. Je me suis dit intérieurement que qu’est-ce que ces maliens connaissent pour faire de telles déclarations. Je zappe radio mali et tombe sur BBC qui confirme l’assassinat. J’étais effondré et me retenais difficilement ; tout se passait comme si le planète s’était renversée. Pendant trois jours, je n’arrivais pas à m’alimenter. Je croyais que j’allais sombrer mais Dieu merci, mon voisin de chambre élève comme moi et également très déçu eu la force de me remonter le moral et de faire intervenir notre tuteur.
Je ne savais pas que j’aimais tant Thomas Sankara malgré que des CDR et des autorités du Pouvoir Révolutionnaire Provincial (PRP) n’eurent pas facilité la vie à mon père qu’ils voyaient comme un réactionnaire invétéré. Mais c’est la vie. Des gens profitent parfois des systèmes par mauvaise foi ou par ignorance pour régler leurs comptes à d’autres. Beaucoup de ces gens ont tourné dos à Sankara à sa mort. Curieusement, mon père est devenu son défenseur car il sait que l’homme était un visionnaire. Thomas Sankara était probablement la solution à terme pour le développement du Burkina et l’indépendance des jeunes africains. Il avait le courage, la témérité, la clairvoyance et la vision pour cela. Malheureusement, des médiocres ont brutalement mis fin à au rêve de toute une génération tant à l’intérieur que dans le monde entier.


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