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Crash du vol AH 5017 : La France ne pleure pas vraiment les victimes, elle recherche la gloire

10 août 2014, 16:05, par Delphine Feeser Compaoré

Réponse à monsieur Kabore suite à son article sur le Crash de l’avion d’Air Algérie.
J’ai lu votre écrit dans le Fasonet du 08 août 2014. Il tente de resituer la nature des relations entre la France et les pays africains à la lumière du drame que constitue le crash de l’avion d‘Air Algérie entre Ougadougou et Alger.
Certains de vos mots me semblent durs et sans doute mal placés en pareille circonstance. Vous parlez d’une recherche de gloire pour signifier une possible velléité de « suprématie » de la France, dans une tragédie où les pays concernés sont tenus de donner des réponses crédibles sur les raisons de cet accident. Votre argumentaire reste donc, pour ma part, difficilement recevable.
Après le drame, il a été dit que l’épave avait été repérée par l’armée burkinabè, proche de la frontière avec le Mali, permettant ainsi de se rendre rapidement sur place. Cette information a été saluée à juste titre par tous les médias du monde, y compris en France, et bien sûr par les proches des victimes en attente de nouvelles. Selon moi, l’armée burkinabè n’a fait que son devoir pour faire avancer les recherches sur ce dramatique accident aérien, ni plus ni moins. Il n’y aucune gloire à en tirer, et aucun exploit à revendiquer pour avoir été les premiers à retrouver l’épave.La gestion à plusieurs d’une telle situation et la communication afférente ne doivent pas être simple pour le Burkina, et les autres pays dont la France, le Mali, l’Algérie, l’Espagne, chacun ayant à cœur d’informer rapidement et justement ses propres concitoyens.
La France meurtrie par ses 58 victimes qui a déployé rapidement sur place des moyens techniques et militaires importants, par ailleurs engagés au Mali proche de la zone du crash, a été citée de nombreuses fois pour avoir pris toute sa part aux opérations de recherche sur le terrain, sous l’autorité et à la demande des responsables maliens. Ceci peut expliquer le ressenti d’une France omniprésente écartant à son profit les autres acteurs.
C’est pourquoi je retiens l’hypothèse plus probable d’une volonté de votre part de jeter un regard critique sur les relations entre la France et l’Afrique, sur la France et ses anciennes colonies, en partant de cet évènement grave.
Ces relations vieilles de plusieurs siècles entre Français et Africains auxquelles vous faites allusion, et qui s’invitent inévitablement avec toute la force de notre histoire commune dans tous les débats, sont analysables sous tous les angles d’attaque. Le vôtre qui me semble tabler sur la thèse d’une domination intégrale et sans partage des uns sur les autres, mais aussi beaucoup d’autres.
C’est pourquoi, dans ce sens, on pourrait voir autrement les choses et croire que tout en Afrique n’est pas que caisse de résonnance comme on le dit si souvent, que l’Afrique et les Africains peuvent en effet se prendre en charge comme vous l’affirmez, se débrouiller seuls et faire face sans complexe à de nombreux défis. Je le crois aussi fort que vous. Cela est d’autant plus vrai, que dans le domaine militaro-sécuritaire et presque dans tous les autres domaines, aux limites financières et technologiques près, les compétences africaines sont à la hauteur de celles des autres pays du monde.
Cependant, il serait opportun de nuancer quelque peu l’idée d’une Afrique autosuffisante à tout point de vue, jusqu’à agir en vase clos en écartant toute aide de quelque nature que ce soit. Les réalités politiques, socio-économiques auxquelles parfois se greffent quelques données spirituelles, sont très mondialisés et compliquent énormément la tâche des dirigeants de nos jours.
Le monde a beaucoup évolué et l’Afrique avec lui. Les questions de sécurité, pour rester dans le sujet qui nous intéresse, sont maintenant éminemment collectives. Elles transcendent toutes les frontières et font appel à tous. Français, Américains, Allemands, Anglais, Burkinabès, Chinois et tous les acteurs qui volent au secours les uns des autres, le font aussi en ayant pris la mesure des enjeux.
Retenons que les questions soulevées par ce drame international ne peuvent se traiter que collectivement, avec tous les acteurs concernés, dont la France et son nombre record de victimes, le Burkina et ses 28 victimes, l’Espagne et son équipage, le Mali et les autres, l’Algérie et la réputation de sa compagnie aérienne. D’un point de vue technique et technologique, les pays les plus nantis et les plus rompus aux questions de sécurité aérienne se prêtent naturellement main forte.
L’Hypothèse d’un jeu géopolitique international se jouant au nom d’une quelconque gloire, à la faveur de ce drame, sur le dos et la douleur des victimes, est quelque peu osée de votre part. Je pense modestement qu’il n’y a ici et pour tous, aucune gloire à tirer d’une telle tragédie.
Pour les relations entre la France et les Africains, c’est une histoire commune léguée par plusieurs siècles et qu’il faut assumer avec beaucoup plus de discernement pour avancer et gérer un futur que nous appelons tous meilleur pour le continent africain. Un tel passé chargé d’autant d’enseignements doir servir de balises efficaces sans nourrir nos rancoeurs où nos regrets.
Tout en m’associant à la douleur des familles.
Cordialement
Delphine FEESER COMPAORÉ
Docteur en Sciences Sociales


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