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Rentrée littéraire du Faso : « Imposer des taxes sur le livre équivaut à imposer l’ignorance », dixit Mahamoudou Ouédraogo

1er novembre 2012, 08:17, par dodo vole

L’édition solidaire, kesako ?

Notre position d’éditeur « ultrapériphérique », c’est-à-dire implanté dans un département d’outremer, à dix mille kilomètres des réseaux européens, nous a conduits à faire les constats suivants :

1. Le livre est un élément essentiel pour la construction des individus, pour la transmission de la culture et pour l’acquisition des savoirs. A ce titre, il est juste de le considérer comme un produit de première nécessité, y compris, et particulièrement, dans les pays les plus touchés par la pauvreté.
Il ne nécessite ni réseau électrique, ni interface technologique, il stocke le carbone, il se conserve et se transmet, c’est une mémoire efficace.

2. Dans les pays les plus pauvres, on observe habituellement une production éditoriale très limitée qui s’explique par de nombreux facteurs : faible pouvoir d’achat de la population, faible implication de l’État dans la politique culturelle, illettrisme, chaîne du livre peu structurée. Et pourtant, dans ces pays, il existe souvent un réseau de lecture publique, modeste mais fréquenté (et ceci notamment en « brousse » où ces structures de lecture publique sont au centre de la vie culturelle des bourgades).

3. Un livre mis en place dans une bibliothèque de brousse ne sera vendu qu’une fois par l’éditeur, mais il trouvera de très nombreux lecteurs. Ce qui en fait un objet peu rentable, mais très utile.

4. Le don est l’ennemi du marché, et ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne le livre. Les bibliothèques occidentales, les éditeurs occidentaux, se débarrassent volontiers de leurs surplus en les acheminant vers le sud. Ce qui fut vrai pour le lait maternisé l’est aussi pour la production culturelle. Inondant les pays du sud d’ouvrages qui n’ont fait l’objet d’aucun choix de la part de leurs destinataires, qui se révèlent très souvent inadaptés aux publics du sud, ces ouvrages encombrent néanmoins les rayonnages et surtout éliminent toute volonté politique d’acquisition raisonnée. Pourquoi créer une ligne budgétaire d’achat de nouveautés locales quand telle ou telle ONG fait parvenir des containers entiers de livres occidentaux donnés ?

5. Dans les bibliothèques du sud cohabitent deux types d’ouvrages : les ouvrages produits en Occident, de belle facture voire luxueux, en grand nombre car offerts par les institutions occidentales, et les ouvrages produits localement, beaucoup plus rares, qui, devant être vendus à des prix très modiques sont d’une qualité nettement moins ambitieuse.

6. Cette dissymétrie, notamment en ce qui concerne la littérature jeunesse, continue à cultiver dans l’esprit des enfants qui fréquentent ces bibliothèques le rapport dominant-dominé hérité des colonies, la langue locale n’habillant que les ouvrages modestes, souvent usés jusqu’à la trame à force de manipulations (car en effet ce sont ceux-ci, écrits dans leur langue, que les enfants affectionnent).

7. Le livre bilingue n’est pas très apprécié des publics occidentaux, qui le considèrent majoritairement comme un produit qui ne leur est pas destiné, et le voient plutôt comme un outil réservé aux publics du sud désireux d’acquérir une langue occidentale.

Le livre bilingue est naturellement un outil d’apprentissage des langues, mais il ne peut survivre en dehors du marché occidental.
C’est pourquoi nous aimerions faire réfléchir sur le statut du livre bilingue. Acheter un livre en français et en wolof, c’est permettre à un enfant wolof de lire un livre dans sa langue. Et si le livre est de belle facture, alors c’est permettre à un enfant wolof de lire un beau livre dans sa langue.

8. Qui peut changer les choses ?

Peut-être les États du sud, lorsqu’ils auront pris conscience que la culture est la clé de voûte de leurs sociétés... mais il y a beaucoup d’autres priorités.
Peut-être l’éditeur local, s’il se fixe des objectifs éditoriaux ambitieux, mais encore faut-il qu’il en ait les moyens... et dans un contexte économique précaire, c’est un pari difficile à prendre.
Peut-être les opérateurs économiques du sud, les investisseurs, désireux d’améliorer leur image par une contribution au développement culturel local... mais dans une logique de court terme, il est sans doute plus pertinent pour eux d’investir dans des événements sportifs relayés par les médias et qui obtiennent l’attention des foules.

Peut-être VOUS qui lisez ce texte jusqu’au bout.
Si vous prenez conscience qu’en achetant un livre bilingue, vous donnez sa chance à une langue moins éditée que la vôtre, si vous réalisez l’immense étendue du pouvoir qui est le vôtre.
Car acheter un beau livre bilingue, c’est soutenir l’éditeur qui l’a produit, c’est lui permettre d’en imaginer d’autres. Et si les ouvrages existent, vous pouvez lui faire confiance, il saura les diffuser. Car ces livres manquent aux enfants du sud, et les petites bibliothèques les attendent avec appétit.

Les éditions Dodo vole, octobre 2012.


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