ActualitésDOSSIERS :: 7 décembre 1993-7 décembre 2013 : Il y a vingt ans, la mort de Félix (...)

La mort de Nelson Mandela, ce jeudi 5 décembre 2013, efface quelque peu dans la mémoire des africanistes l’anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny, voici vingt ans, le 7 décembre 1993. 1993, c’était l’année où, justement, Mandela et Frederik De Klerk avaient obtenu le prix Nobel de la paix (ils avaient été couronnés, déjà, par le prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix 1991).

Félix Houphouët-Boigny et Nelson Mandela auront eu une longue vie. Politiquement exceptionnelle. Mais rien de comparable entre l’un et l’autre, entre le riche planteur, ministre de la République française avant d’être propulsé tout naturellement président de la République de Côte d’Ivoire, et le militant nationaliste qui a passé plus d’un quart de sa vie dans les geôles d’un pouvoir raciste et exploiteur. Si ce n’est cette capacité à s’inscrire dans une démarche réaliste. On peut ainsi penser - peut-être abusivement, l’histoire en jugera -, que le réalisme du « Vieux », lorsqu’il a prôné, dans les années 1970, le « dialogue » avec l’Afrique du Sud, préfigurait ce qui se passera dans les années 1980 quand De Klerk engagera le… dialogue avec Mandela.

Quoi qu’il en soit, plus qu’aucun autre chef d’Etat en Afrique et dans le monde, Félix Houphouët-Boigny pouvait prétendre avoir été un homme politique du XXème siècle. Né, officiellement, dans les premières années de celui-ci, il est mort à quelques encablures de la naissance du XXIème siècle. Il a ainsi connu l’instauration par la France de la colonie de Côte d’Ivoire – qui a eu 100 ans l’année de sa mort, c’était le 10 mars 1993 – la pacification, l’administration coloniale, les luttes pour l’autonomie, l’indépendance enfin et son cortège de joies et de peines, d’espérances et de déceptions.

Mais plus qu’un homme politique, il aura été le témoin privilégié de ce XXème siècle particulièrement mouvementé. Il aura été de tous les combats. Avec détermination. Ne perdant jamais de vue le but à atteindre. Ils sont des milliers qui, depuis l’épopée du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se sont ainsi, dans son entourage immédiat, formés au plus haut niveau à la gestion des affaires de l’Etat. Sans faire l’économie des crises internes qui ne manquent jamais de marquer la vie des partis.

Mais Félix Houphouët-Boigny avait érigé la réconciliation en principe de gouvernement. Un principe mis à mal par ses successeurs. Il est vrai qu’il bénéficiait alors d’un contexte clientéliste et d’une conjoncture favorables, sans oublier une fortune personnelle considérable pour « arrondir les angles ». Pouvait-on être chef autrement en ce temps-là ? Sans doute ; mais pas en Côte d’Ivoire où les intérêts économiques et diplomatiques de l’ex-puissance coloniale étaient primordiaux. Le PDCI aura donc été le moule dans lequel se sont formées les « élites » politiques sans que jamais une opposition ne puisse s’exprimer d’une façon ou d’une autre, trouvant seulement, après trente ans d’indépendance, dans une ouverture démocratique tardive et trop étroite la liberté de jouer son propre jeu sans avoir eu le temps de s’y accoutumer.

Félix Houphouët-Boigny avait érigé le « dialogue » comme système de gestion des affaires diplomatiques après l’avoir expérimenté dans les affaires intérieures. Avec le même mode de production : le « dialogue », O.K., mais à condition que ce soit lui, et lui seul, qui mène ce « dialogue » !

Ce ministre de la IVème République française devenu président de la République de Côte d’Ivoire était alors un homme politique de maturité et d’expérience. Il avait près de quarante ans – officiellement – quand il a été élu député pour la première fois. Ce qui a fait sa force en matière diplomatique, c’est sa capacité à marcher à son propre rythme sans jamais se déterminer par rapport aux autres. Il a suivi sa ligne à pas lents et comptés mais avec obstination. La Guinée de Sékou Touré en a fait l’expérience. Le Biafra également. Israël et l’Afrique du Sud aussi. La France, elle, a toujours été le partenaire privilégié.

Quand cela était dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire. Parce ce que ce sont des planteurs ivoiriens qui, en 1960, ont pris le contrôle de l’appareil d’Etat chargé du développement économique du pays, la Côte d’Ivoire a pu s’offrir le luxe d’être, pendant près de deux décennies, la « vitrine du capitalisme en Afrique ». Il n’y a pas eu de « miracle ivoirien » mais concordance des intérêts, nationaux et internationaux. A compter de la fin des années 1970, la réalité de la crise va s’imposer au pays. Beaucoup d’Ivoiriens n’ont pas voulu y croire : Félix Houphouët-Boigny allait régler le problème. Il a fallu du temps, trop de temps, pour que les uns et les autres arrivent à se convaincre que les jours d’alors n’avaient rien à voir avec les jours d’avant. Il n’empêche que, lorsque les « Quarantièmes rugissants » ont déferlé dans les années 1980 sur l’économie mondiale et ravagé les rives de l’Afrique, la Côte d’Ivoire, pour l’essentiel, a sauvegardé ses acquis. Un temps. Celui de l’illusion.

Parce que le pays s’est peuplé, pour l’essentiel, des migrations venues du Nord-Ouest ou du Sud-Est, il s’est toujours affirmé au temps de Félix Houphouët-Boigny comme un pays d’accueil ouvert sur la région Ouest-africaine et le monde. Riche de ses différences et de ses particularismes locaux, d’une longue façade maritime (aucun autre pays de la Cédéao, à l’exception du Nigéria, ne bénéficie d’une côte aussi longue) disposant de deux ports, de multiples villes de « l’intérieur », de frontières avec pas moins de cinq pays (Liberia, Guinée, Mali, Burkina Faso, Ghana), la Côte d’Ivoire avait voulu, aussi, se doter des infrastructures et des moyens à même de valoriser ses potentialités. Transports maritimes et aériens, routes, chemin de fer, télécoms… faisaient de cette terre africaine une terre de découverte pour les touristes et une terre d’opportunités pour les… investisseurs.

Félix Houphouët-Boigny s’était fixé deux priorités au cours de sa longue existence : améliorer la santé des populations locales (n’oublions pas qu’il était médecin africain) ; former et éduquer la jeunesse. Homme politique devenu homme de pouvoir, il avait traduit dans les chiffres du budget de la Côte d’Ivoire les préoccupations qui étaient les siennes quand il était un homme jeune puis un homme mûr. Ceux qui ont bénéficié des acquis du pays en matière de santé publique et d’éducation nationale n’ont pas eu toujours conscience des efforts importants qui ont été consentis dans ces domaines.

Aujourd’hui que reste-t-il des années Houphouët ? Un souvenir. Qui s’est embelli avec le temps ; et, surtout, celui des mauvaises expériences qui se sont succédées depuis sa mort : la gestion calamiteuse de Henri Konan Bédié ; le coup d’Etat de 1999 ; la conquête du pouvoir par le général Robert Gueï ; l’accession controversée à la présidence de Laurent Gbagbo ; le coup de force de 2002 et la partition du territoire national ; la dramatique crise post-présidentielle de 2010. Félix Houphouët-Boigny a gouverné la Côte d’Ivoire pendant plus de trois décennies. Au cours des vingt années passées, quatre chefs d’Etat se sont succédé au pouvoir. Sans parvenir à réconcilier le pays avec lui-même. Une déchirure qui n’est pas que le résultat de « l’ivoirité » prônée par Bédié.

Félix Houphouët-Boigny n’a pas voulu prendre conscience qu’au-delà d’une certaine limite son ticket n’était plus valable. Alors que Nelson Mandela a su jusqu’où il pouvait aller, lui s’y est refusé : il est mort au pouvoir et la Côte d’Ivoire a sombré dans le chaos. Non pas parce qu’il était mort, mais parce qu’il avait bloqué, pendant son règne, toute perspective d’alternance et entendait que, même au temps du multipartisme, l’ex-parti unique règne. L’entêtement du vieil homme a été fatal au pays. Même si l’alternance n’était pas pour autant, gage d’évolution positive. Mais son image « historique » en aurait été moins écornée. Et l’on se souviendrait encore de lui aujourd’hui comme le « sage » qu’il revendiquait être et qu’il n’a pas été.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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