ActualitésDOSSIERS :: Côte d’Ivoire : La mort d’Antoine Césaréo, l’homme des Grands travaux de Félix (...)

Antoine Césaréo avait quitté la Côte d’Ivoire à la fin de l’année 1989 après avoir été décoré par le président Félix Houphouët-Boigny. La cérémonie s’était déroulée dans le cadre de la résidence privée du chef de l’Etat à Yamoussoukro. Houphouët-Boigny était là, mais c’est le Grand chancelier Germain Coffi Gadeau qui élèvera Césaréo au grade de commandeur du Mérite ivoirien. C’était il y a près d’un quart de siècle. Un autre siècle. Une autre époque. Césaréo était l’illustration d’une Côte d’Ivoire encore triomphante dont personne, alors, ne pouvait penser qu’elle allait vivre deux décennies de drames politiques et sociaux.

Il était considéré comme le « président bis », « l’homme à tout faire de la République », « l’un des hommes les plus puissants du pays »… Mais Antoine Césaréo n’aimait pas qu’on le qualifie ainsi même s’il avouait : « Je suis l’homme le plus détesté de Côte d’Ivoire ». Il n’aimait pas non plus que, à l’occasion de sa cessation d’activité, on évoque un « départ qui ressemble fort à un limogeage » (dépêche AFP du 1er décembre 1989). Il affirmait : « Je suis parti de moi-même […] En aucun cas le Président ne m’a viré » (Jeune Afrique Economie – octobre 1993).

Quand, en juin 2011, dans La Dépêche Diplomatique », j’ai évoqué le parcours de Césaréo, rappelant, du même coup, les commentaires dont il n’avait cessé de faire l’objet, il s’était « senti diffamé ». Ce qui n’était pas mon objectif ; en un temps où la corruption avait été une activité majeure en Côte d’Ivoire, je considérais que les assertions à son égard traduisaient plutôt un hommage à sa façon d’être. Même si son rôle et son action en Côte d’Ivoire pouvaient souvent m’insupporter.

Dans une lettre en date du vendredi 12 août 2011, il m’avait longuement répondu, après que l’Amicale des anciens des Grands travaux de Côte d’Ivoire (AGTCI), dont il était le président d’honneur, lui ait donné à connaître mes écrits. « La vérité est toute autre, me disait-il : A. Césaréo a décidé de quitter la Côte d’Ivoire et de cesser ses activités à l’âge de 60 ans, après 13 années de lourdes responsabilités et d’un travail intensif. Le Président en avait accepté le principe à condition que « A. Césaréo achève intégralement le programme important de réalisation des travaux entrepris depuis la création de la DCGTx en juin 1977 et désigne un ou plusieurs successeurs au sein de la DCGTx susceptibles de le remplacer ».

Six noms ont été proposés en fonction des priorités du moment ». Césaréo ajoutait : « Lors de la réception de départ donnée en l’honneur de A. Césaréo, le chef de l’Etat s’adressant aux journalistes présents avait tenu à leur préciser de façon insistante pour éviter toute interprétation de leur part que : « Monsieur Césaréo et lui seul avait pris la décision de quitter la Côte d’Ivoire », ajoutant : « Nous le regrettons… mais il nous reviendra ».

Le départ de Césaréo. L’arrivée de Ouattara. Changement d’époque !

« L’insistance » de Félix Houphouët-Boigny est sans doute ce qui a convaincu les journalistes que le départ de Antoine Césaréo n’était pas aussi désiré que celui-ci l’admettait. C’est que nous étions à la fin de l’année 1989. La Côte d’Ivoire ne se portait pas bien. En fait, elle se portait vraiment mal. Et Félix Houphouët-Boigny avait entrepris de dégager du gouvernement un paquet de caciques qui n’y faisaient pas grand-chose. Par ailleurs, la BCEAO avait un nouveau gouverneur, Alassane D. Ouattara, qui entendait remettre de l’ordre non seulement en Afrique de l’Ouest mais avant tout en Côte d’Ivoire, le moteur économique et financier sous régional.

Houphouët-Boigny avait toujours eu ses « blancs ». Une flopée. Jacques Batmanian (alias Jacques Baulin), Alain Belkiri, Yves Bridault, Norbert Beyrard, Antoine Filidori, Jacques Kosciusko-Morizet, André Latrille, Jean Mauricheau Beaupré, Jean Millier, Georges Monnet, Guy Nairay, Jacques Raphaël-Leygues, Roger Perriard, etc. Ils étaient des visiteurs du soir, où des conseillers occultes, mais aussi, souvent, des fidèles (parfois même, aussi, des infidèles) et des amis. Césaréo était l’un deux. Mais si tous ces hommes avaient un job spécifique, Césaréo, lui, dirigeait un empire dont il avait été l’instigateur. Il régnait sur la Direction de contrôle des Grands travaux (DCGTx), qui comptait alors 152 ingénieurs, économistes et juristes expatriés, et une centaine de cadres ivoiriens ainsi que 400 collaborateurs.

Césaréo contrôlait, techniquement, économiquement et financièrement, toutes les réalisations entreprises dans le pays et a participé, dans les années 1980, à ce titre, aux négociations sur la dette extérieure ivoirienne avec la Banque mondiale à Washington. Quand il a quitté Abidjan, il venait d’achever la basilique de Yamoussoukro (son effigie figure, comme c’est la tradition chez les bâtisseurs, sur un vitrail) et la Fondation Houphouët-Boigny parmi des centaines d’autres réalisations : routes, autoroutes, échangeurs, aéroports, logements…, y compris l’enlèvement des ordures ménagères.

On comprend que la DCGTx ait été perçue comme un « Etat dans l’Etat » et qu’alors que le « miracle ivoirien » n’était plus qu’un mirage à la fin des années 1980, il était urgent de passer à autre chose.

Une « DCGTx dénaturée » témoin d’une « lutte de succession pour le pouvoir suprême »

Alassane D. Ouattara, gouverneur de la BCEAO depuis le 22 décembre 1988, ne tardera pas (18 avril 1990) à être nommé par Félix Houphouët-Boigny président du Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance économique. A la tête de la DCGTx, au début de l’année 1990, c’est Philippe Serey, directeur général adjoint, qui prendra la suite de Antoine Césaréo. Qui avait dit de lui autrefois : « C’est un jeune homme plutôt frêle mais au regard malicieux et plein d’intelligence ». Serey était un Français, ingénieur (Ponts et Chaussées), recruté dès 1979 par… Césaréo. Quand il sortira de l’ombre, il ajoutera à son patronyme celui de Eiffel, constructeur de la tour qui porte son nom et symbolise Paris et la France. Il en est l’arrière-arrière petit-fils par les femmes.

Au lendemain de la mort du « Vieux » et de l’accession au pouvoir de Henri Konan Bédié, Serey-Eiffel sera remplacé à la tête de la DCGTx (qui deviendra le Bureau national d’études techniques et de développement-BNETD) par Tidjane Thiam. Il rejoindra alors l’Institut international pour l’Afrique (IIA), le cabinet créé par Ouattara, un club d’ex-FMI : Christian Buchet, Hugues Alexandre Barro Chambrier, Evangelo Calamitis, Clément François…, au sein duquel il sera en charge des projets d’infrastructures. Il sera par la suite, notamment, conseiller spécial du président de la République (en l’occurrence Ouattara) avec le titre de ministre, étant alors le seul « blanc » a participer au conseil des ministres, avant d’être démis en 2017 de la fonction qu’il occupait (directeur de cabinet de Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre), trop enclin, dit-on, à prendre des initiatives personnelles.

Césaréo, dans le courrier qu’il m’a adressé, avait déploré que la « DCGTx dénaturée [soit] redevenue la BNETD » sous la présidence de Bédié. Il jugeait aussi que « la lutte de succession au pouvoir suprême de la nation s’est progressivement armée et s’est installée avec tous les désordres qui ont suivi. Le développement de la Côte d’Ivoire durant cette triste période non seulement n’a pas progressé mais a malheureusement fait économiquement un bon en arrière qu’il convient d’évaluer. Le pays s’est dégradé, la population s’est divisée ». C’était le moins que l’on puisse dire et, cependant, tout le monde ne le disait pas.

L’homme du président devient un homme du Roussillon

Antoine Césaréo est mort le 10 septembre 2022 dans la maison de retraite du Saint-Sacrement à Perpignan. Il avait 91 ans. Il est enterré ce samedi 24 septembre, à 15 heures, la cérémonie religieuse devant se dérouler en l’église de Villelongue-de-la-Salanque, non loin de Canet-en-Roussillon. Césaréo y avait acquis un mas au début des années 1990.

A Canet-en-Roussillon, il s’était illustré par son combat contre la maire, la prof de français Arlette Franco qui a été en place de 1989 à 2010 (elle a été députée RPR puis UMP en 2002 et 2007), mais sans jamais parvenir à la déloger (Arlette Franco est morte d’une tumeur au cerveau en 2010). Les Canétois ont, raconte-t-on, gardé le souvenir des « petits bulletins bleus solidement détaillés – concernant la gestion municipale et le cadre environnemental » que Césaréo diffusait dans les boîtes-aux-lettres des habitants.

Né à Gafsa, en Tunisie, l’ingénieur Césaréo a été coopérant en Côte d’Ivoire, à Divo et Dimbokro, de 1958 à 1971, après avoir passé deux années en Guinée. De retour en France, il a dirigé la construction du tunnel routier franco-italien de Fréjus. Après six années passées dans l’hexagone, il reviendra en Côte d’Ivoire, sollicité par Désiré Boni, ministre des Travaux publics et des Transports, pour créer un conseil des travaux publics placé sous l’autorité directe du chef de l’Etat, qui deviendra la DCGTx.

L’épouse de Césaréo, Thérèse, est morte en 2015 ; sa fille Aude-Hélène est morte également, prématurément, à 59 ans, en 2017. Il était le père de trois autres filles : Marie-Laure, Carol, Patricia. Césaréo n’a pas écrit, me semble-t-il, le livre auquel parfois il faisait allusion. Dommage. Il est une mémoire de la Côte d’Ivoire. Et non des moindres.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
23 septembre 2022

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