ActualitésDOSSIERS :: Côte d’Ivoire : L’ivoirité politique perd un de ses éminents promoteurs, Henri (...)

Henri Konan Bédié, est mort le 1er août 2023 à 89 ans avec toutes ses dents et son envie de croquer encore le pouvoir, de redevenir président de la Côte d’Ivoire. Lui qui a hérité de la succession de Houphouët Boigny après sa mort en 1993, alors qu’Alassane Dramane Ouattara, le seul Premier ministre que le « Vieux » s’est choisi, avait la gestion du pays pendant sa maladie, et murissait aussi des prétentions successorales que la constitution ivoirienne ne validait pas.

Face à cette rivalité, Henri Konan Bédié, qui est arrivé dans les arcanes du pouvoir jeune, choisi par le premier président du pays à 26 ans comme ambassadeur et ministre des finances à 32 ans, a manqué de combativité et de stratégie pour battre à la loyale dans les urnes ce rival qu’il jugeait dangereux. Il va recourir à un remède qui se révélera à l’usage très dangereux pour le pays et que ses deux successeurs ne renieront pas. Retour sur la carrière politique de cet homme politique ivoirien qui restera au Burkina Faso comme le géniteur de l’ivoirité politique et le faiseur de roi qui, au gré des alliances, sera avec l’un contre l’autre de la bande des autres héritiers du président Houphouët Boigny. La disparition de Bédié emmènera-t-elle Alassane Dramane Ouattara et Laurent Gbagbo à se retirer de la course à la présidentielle pour que le pays écrive une autre page de son histoire ?

Bédié a eu une carrière pépère jusqu’à sa chute du pouvoir par coup d’Etat en 1999. Entré jeune dans le sérail politique du père des indépendances de la Côte d’Ivoire à des hautes fonctions, il n’a pas connu d’accrocs dans son accession jusqu’à devenir le dauphin constitutionnel. Il sera ainsi ministre des finances et de l’économie pendant 10 ans (1966 – 1976) et président de l’Assemblée nationale pendant 13 ans jusqu’à la mort du président Houphouët en 1993 dont il termine le mandat pendant deux ans et est élu en 1995 comme président de la république de Côte d’Ivoire.

Il était de ceux dont on dit que ce sont les enfants gâtés de la République. Tout semblait lui être dû. Mais voilà que surgit devant lui un obstacle : Alassane Dramane Ouattara, le Premier ministre désigné pour faire face à la crise du café cacao en provenance du FMI. Comment l’écarter de la vache, pour qu’il n’ait pas l’envie de « traire le lait » comme on dirait au Burkina Faso, pays dont il serait originaire.

L’ivoirité, le poison identitaire qui va diviser le pays en deux

HKB a été président de l’Assemblée, une chambre monocolore du temps du parti unique. Avec le multipartisme il tremble devant le technocrate, car il n’a pas appris à se battre contre des opposants. Aussi va-t-il recourir à un concept culturel au départ qu’il importera dans le champ politique. Bédié n’est pas l’inventeur de l’ivoirité, c’est un emprunt et un détournement à des fins politiques de quelque chose proche de l’authenticité de Mobutu Sésé Seko avec le port de l’abacos. C’est un concept « apparu en 1974, créé par Pierre Niava parlant de l’œuvre et du projet d’un jeune intellectuel, Niangoran Porquet » qui symbolise l’apport des Ivoiriens à l’unité africaine. En politique, cela donnera sous la plume des proches de Henri Konan Bédié « Le peuple ivoirien doit d’abord affirmer son autorité face aux menaces de dépossession et d’assujettissement : qu’il s’agisse de l’immigration ou du pouvoir économique et politique. […] L’individu qui revendique son ivoirité est supposé avoir pour pays la Côte d’Ivoire, être né de parents ivoiriens appartenant à l’une des ethnies autochtones de la Côte d’Ivoire. »

Et le débat politique prend une tournure démentielle avec certains considérés comme des allogènes en parlant de peuples vivant en Côte d’Ivoire depuis des siècles. On parle désormais des Ivoiriens de souche. Le pays est en quête du « sang pur », c’est la crise identitaire et dans les agoras, les maquis, chacun y va de l’écriture de l’histoire, selon l’antériorité de l’occupation du sol, qui serait le fondement de la légitimité politique.

Pour détendre en venant au Burkina on dirait que les Samos, que les Mossis considèrent comme premiers occupants avec leurs cousins Bissas, seraient les seuls à pouvoir diriger le pays. Désormais pour être président, il faut avoir les deux parents ivoiriens. Un tournant xénophobe s’installe et la chasse à l’étranger est ouverte. Les peuples du nord de la Côte d’Ivoire se sentent citoyens de seconde zone, assimilés aux étrangers dans leur pays. Alassane Dramane Ouattara est écarté du scrutin. Bédié est élu puis renversé par coup d’Etat, mais Robert Guéi qui lui succède, puis Laurent Gbagbo tous marcheront dans le sillon tracé par HKB. Les Burkinabè en Côte d’Ivoire vivront l’enfer. Les politiciens écartent leurs rivaux mais les autres refusent de payer le loyer au propriétaire étranger par « patriotisme », pendant que d’autres chassent les étrangers de leurs plantations. Houphouët, avec son passé communiste, était partisan de la terre à celui qui la travaille, ce qui explique ce fait. Henri Konan Bédié est celui qui a ouvert les vannes de ce déferlement de haine, qui a fait de nombreuses victimes sans compter la guerre qui a divisé le pays dont ses successeurs sont plus responsables.

Cet homme qui quitte la scène, n’a jamais abandonné la tête du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire). En cela il est houphouétiste puisqu’il est mort les poings fermés autour de la direction du parti. Il revendique l’héritage d’Houphouët Boigny, mais il n’avait pas son charisme, sa combativité, sa culture politique et sa capacité de manœuvrer la classe politique française. Son passage à la tête du pays n’a pas été marqué par une croissance économique non plus. Sur ce plan Alassane Dramane Ouattara est bien plus l’héritier d’Houphouët car il a ramené le pays sur le chemin de la croissance économique, même si elle ne profite pas à tous. Ce départ est une fenêtre ouverte pour la réconciliation. L’avenir du pays que les trois rivaux ont pris dans leurs guerres d’égo va s’éclaircir un peu, puisqu’ils ne sont plus que deux, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Vont-ils toujours se battre l’un contre l’autre pour le pouvoir, ou accepter de passer la main à d’autres ?

Sana Guy
Lefaso.net

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