ActualitésDOSSIERS :: La mort de Francis Wodié, acteur politique de haut niveau cantonné, hélas, (...)

Il était d’une remarquable ténacité, porteur d’un projet politique de « gauche » qui n’était pas dans l’air du temps de la mondialisation. Il a été, du même coup, condamné à l’impuissance concluant, en 2010, son long itinéraire militant par ce qu’il qualifiera de « véritable débâcle électorale ». Il abandonnera la présidence du parti qu’il avait créé et acceptera, dans la foulée, la présidence d’un Conseil constitutionnel ivoirien totalement disqualifié au lendemain de la présidentielle 2010.

Il en démissionnera en 2015 à la veille de la présidentielle et alors qu’une nouvelle constitution devait être adoptée qui permettra, contre toute attente, à Alassane D. Ouattara de briguer un « troisième » mandat. Francis Wodié est mort à Abidjan le lundi 3 juillet 2023. Il avait 87 ans.

Né en 1936, c’est au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) que Francis Wodié a fait son apprentissage de militant politique. La période était propice à la mobilisation « à gauche » des étudiants africains. C’était le temps de la guerre d’Algérie et de la lutte pour les indépendances, les guerres coloniales menées par le Portugal, l’apartheid en Afrique du Sud, la dénonciation de l’assassinat par les « impérialistes » de Patrice Lumumba, le leader congolais, etc.

En 1961, Wodié, étudiant en droit, fera partie de la flopée des expulsés de France. En Côte d’Ivoire, la situation politique est loin d’être sereine. Le 5 avril 1962, Félix Houphouët-Boigny exigera le vote d’un loi autorisant le gouvernement à prendre des mesures d’internement et d’assignation à résidence, voire d’obligation de travail, contre toute personne qui pourrait être suspectée d’opposition au pouvoir. L’année suivante, en 1963, une cour de sûreté de l’État sera implantée à Yamoussoukro, le « village » de Houphouët-Boigny. Un tiers des membres du bureau politique du PDCI, le parti unique, sera alors arrêté et emprisonné. Houphouët-Boigny voyait des complots partout ; y compris dans son propre camp. A plus forte raison, pensait-il, parmi les intellectuels « subversifs ».

Pour Wodié, c’est le temps du yo-yo, alternance entre enseignement, emprisonnement, études (il sera agrégé de droit public), exil (en Algérie), militantisme (il participera à la fondation du Synares, le syndicat des professeurs du supérieur), les récompenses et la reconnaissance (il deviendra doyen de la faculté de droit)…

Le PIT pose les bonnes questions sans donner les bonnes réponses

A la fin des années 1980, la situation sociale de la Côte d’Ivoire devient intenable. La revendication d’un changement de mode de gouvernance économique se transforme en exigence de la démocratie, « seul remède au laxisme et à la corruption qui gangrènent tous les niveaux de l’appareil de l’Etat ». Le syndicalisme cède le pas à l’action politique et à l’exigence du multipartisme. Le congrès constitutif du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) se tiendra le 8 avril 1990. Wodié sera élu Premier secrétaire national. La crise, dira-t-il alors, « n’est plus seulement économique et sociale. Elle est également politique et imputable au système du parti unique ». Wodié va réclamer une conférence nationale alors que Houphouët-Boigny cherchera une parade en appelant Alassane D. Ouattara, gouverneur de la BCEAO, à remettre le pays sur les rails.

La Côte d’Ivoire est en ébullition. Le PIT a une vision idéologique de la situation mais ne propose, hélas, que des analyses tandis que Laurent Gbagbo, le leader du Front populaire ivoirien (FPI) a une vision militante et entend faire reculer le pouvoir. Moins dogmatique, il se présentera, d’emblée, comme l’alternative démocratique. Dès lors, il imposera le temps : la marche du 31 août 1990, à Abidjan, en fera le leader de l’opposition dont il deviendra la tête d’affiche lors de la présidentielle du 28 octobre 1990. Alors que la Coordination de la gauche démocratique – dont le FPI était membre – appelait au boycott de la présidentielle, considérant que les conditions d’une élection pluraliste n’étaient pas réunies, Gbagbo s’opposera à Houphouët-Boigny, bénéficiant du support de la télévision à l’occasion de la campagne.

Le PIT perd son âme en jouant le jeu du pouvoir

Dès lors l’isolement du PIT va s’accentuer. A la veille de la présidentielle de 1995, alors que le Front républicain, créé entre le FPI de Gbagbo et le RDR de Ouattara, appelle au boycott actif, le PIT présentera Wodié face à Henri Konan Bédié, président de la République par la grâce de la Constitution, depuis la mort du « Vieux » en 1993. « Il fallait tester la bonne foi des autorités et aussi des textes » se justifiera Wodié qui ajoutera avoir « voulu jouer le jeu de la légalité ». L’opposition lui reprochera d’avoir effectivement... légalisé la victoire de Bédié. Ce sera pire encore quand Wodié acceptera, le 12 août 1998, le portefeuille de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique afin de « montrer une fois encore que le PIT travaille pour le pays ».
La contestation universitaire menée par Charles Blé Goudé puis le renversement de Bédié en 1999 vont faire oublier Wodié. Ce qui ne l’empêchera pas de se présenter à la présidentielle d’octobre 2000 que Gbagbo va remporter face au général Robert Gueï (alors au pouvoir) sans avoir besoin des voix du PIT. Wodié, pourtant, avait souhaité un accord de gouvernement avec Gbgbo, sauf que ! Sauf que si les programmes des deux partis « ne sont pas très éloignés », il y a un « gouffre infranchissable » au niveau des méthodes, Wodié dénonçant « le côté théâtral et populiste » de Gbagbo, « chef de clan » bien plus que chef d’État. Wodié stigmatisera les « pratiques antidémocratiques » alors que le PIT disait vouloir « doter le citoyen ivoirien d’une culture politique afin qu’il choisisse, de manière libre et responsable, le système social et politique qui lui convient ».


Débâcle électorale, incompréhensions et démissions

Espérance déçue. Engoncé dans une vision idéologique d’une réalité politico-sociale qui lui échappait totalement le PIT de Wodié ne sera jamais que l’expression d’un intellectualisme politique dépassé. Pourtant, au sein de la classe politique, compte tenu de son passé et de sa prégnance, Wodié incarnera encore une « vision de gauche » que le FPI a reniée depuis longtemps.

Les chiffres sont cruels. En 1995, Wodié avait obtenu 3,56 % des voix face à Bédié. En 2000, face à Gbagbo et Gueï, il obtiendra 5,25 % des suffrages. En 2010, il terminait le premier tour de la présidentielle derrière Ouattara, Gbagbo, Bédié mais aussi les candidats de l’UDPCI et de l’UPCI n’obtenant que 13.406 voix (0,29 % des suffrages exprimés).

Wodié démissionnera de la présidence du PIT. Il a alors 74 ans et constate avec amertume qu’il n’a pas « sa place dans la politique à base de régionalisme et de clientélisme » que veulent les électeurs. « Nous nous sentons humiliés par le spectacle déplorable que nous offrons au monde. Tout cela doit prendre fin sans délais afin que nous puissions nous rassembler pour former un seul bloc autour de la Côte d’Ivoire ».
En juillet 2011, Ouattara ayant accédé effectivement au pouvoir à la suite de la capture de Gbagbo, Wodié se verra nommé à la présidence du Conseil constitutionnel. Il en démissionnera moins de quatre ans plus tard ayant mesuré les limites des institutions dans la vie d’une nation. La Côte d’Ivoire était alors à la veille de la victoire annoncée de Ouattara à la présidentielle de 2015 et de l’élaboration d’une nouvelle constitution.

Jean-Pierre Béjot
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