ActualitésDOSSIERS :: Côte d’Ivoire : La victoire du RHDP aux élections locales illustre l’échec (...)

Les élections locales (municipales + régionales) viennent de se tenir en Côte d’Ivoire. Dans un contexte particulier. La dernière présidentielle a eu lieu, de manière acrobatique, il y a trois ans. La prochaine aura lieu dans deux ans. Si, en 2020, le candidat du parti présidentiel, le RHDP, est décédé à la veille du scrutin, en 2023, à l’occasion des « locales », c’est la mort inattendue du patron du PDCI, principal parti d’opposition - son leader étant par ailleurs un ancien président de la République (1993-1999) dégagé du pouvoir par des militaires -, qui a été l’événement majeur. Ajoutons à cela le coup d’Etat au Niger (après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso) puis le dégagement en touche du président gabonais par ceux qui étaient chargés de sa sécurité.

Dans cette atmosphère incertaine, la victoire électorale, quasi absolue, du parti présidentiel ivoirien aux « locales » signe l’échec politique du pays. Si ce n’est plus le temps du parti unique c’est cependant la consécration, une fois encore, de la fin du pluralisme politique qui, depuis plus de trente ans, a été la règle du jeu (trop souvent transgressées hélas) et le fondement des institutions. Espérons que les militaires ivoiriens ne verront pas dans cette monopolisation des activités politiques du pays, un souhait du peuple à aller plus loin encore dans la caporalisation du pays.

Ces élections locales avaient valeur de test. Le RHDP, parti présidentiel au pouvoir depuis 2011, se trouvait face au PDCI, parti historique, au pouvoir de 1960 à 1999. Un PDCI qui se présentait seul ou en partenariat avec le PPA-CI, nouveau parti de Laurent Gbagbo sensé représenter la « rupture ». Autrement dit nous avions Alassane D. Ouattara face à Henri Konan Bédié (décédé tout juste un mois avant le scrutin) et à un Gbagbo ressuscité. De quoi rappeler bien des souvenirs aux Ivoiriens ; mais pas de bons souvenirs.

Il ne faut donc pas s’étonner que ce scrutin n’ait pas fait le plein des électeurs alors qu’il est, par essence, un scrutin de « proximité » puisqu’il s’agit d’élire des conseillers municipaux et des conseillers régionaux. A peine plus de 36 % de participation pour les municipales et près de 45 % pour les régionales (en 2018, il y avait eu boycott partiel des scrutins mais cependant un taux de participation plus élevé). Il est vrai que la proximité est très relative : les municipales tout comme les régionales font la part belle aux élites nationales qui occupent des fonctions politiques majeures dans la capitale. Y compris au sein de gouvernement et de l’Assemblée nationale.

Un « ressenti » de parti unique trente ans après l’instauration du multipartisme

Trois présidents de la République : deux anciens et un en exercice comme leaders politiques. De la droite (PDCI) à la gauche (PPA-CI) en passant par le centre (RHDP) – si je simplifie – on peut penser que toutes les sensibilités politiques ivoiriennes sont représentées. Or, le « ressenti », à la lecture des résultats du double scrutin électoral, est que, plus que jamais, la vie politique de la Côte d’Ivoire ressemble à ce qu’elle était au temps du parti unique. Certes, il y a des institutions fondées sur le pluralisme, il y a des échéances électorales mais, dans le même temps, il y a cette volonté (que d’aucuns qualifieront de « tradition africaine ») de consensus autour d’un seul chef porteur d’un discours présenté comme rassembleur. C’est la raison d’être du RHDP, « rassemblement des houphouëtistes » qui honore quand même un chef d’État (Félix Houphouët Boigny) qui a fait la part belle, au temps du parti unique, à une nomenklatura cumulant mandats politiques, nationaux et locaux, fonctions administratives et entrepreneuriales.

En Afrique, le pouvoir va souvent au pouvoir (sauf quand l’armée ou la rue s’en mêlent). Le RHDP, parti présidentiel, remporte quatre fois plus de municipalités que le PDCI, parti d’opposition ; et 25 des 31 régions. C’est un gain de 31 communes et de 7 régions par rapport à 2018 quand le scrutin avait été partiellement boycotté. Aucune des grandes villes significatives (à commencer par Bouaké) ne lui échappe et les « barons » du régime, qu’il s’agisse du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale, du ministre de la Défense, frère du président de la République, etc. transforment leur essai. Ce qui n’est pas le cas de certaines têtes d’affiche du PDCI, du PPA-CI, plus encore quand les deux partis jouent collectif ; ainsi Alphonse Djédjé Mady, PDCI soutenu par le PPA-CI, perd son poste de conseiller régional du Haut Sassandra (Daloa), battu par le ministre Mamadou Touré.

La guerre des chefs a empêché l’émergence de nouveaux leaders politiques

Le RHDP gagne ; le PDCI perd et se trouve même dépassé, aux municipales (certes une municipalité ne vaut pas nécessairement une autre) par les candidats indépendants qui sont, souvent, des transfuges du RHDP ; le PPA-CI et le FPI (parti présidentiel de 2000 à 2010), quant à eux, sont laminés y compris dans leurs fiefs historiques (Yopougon notamment). Il ne serait pas juste d’incriminer le RHDP. Il a fait le job depuis maintenant une douzaine d’années et en cueille les fruits. Sauf qu’il faut se poser la question. Sa victoire électorale n’est-elle pas l’expression de l’échec politique du pays ?

Pendant plus de trente ans, la vie politique de la Côte d’Ivoire s’est limitée à être une guerre des chef. Bédié et Gbagbo contre Ouattara ; Ouattara et Gbagbo contre Bédié ; Ouattara contre Gbagbo et Bédié, lui aussi, contre Gbagbo mais pas pour les mêmes raisons ; Ouattara et Bédié contre Gbagbo ; Bédié contre Ouattara... Guerre des chefs avec des armistices au nom de la raison et des réconciliations qui ne pouvaient pas en être. Les ennemis d’hier s’efforçaient de laisser penser qu’ils étaient, sans hypocrisie, devenus des amis. Jusqu’à ce que la raison vacille sous la pression des opportunités.

Le PDCI, le RDR, le RHDP qu’ils ont cofondés, le FPI… ont perdu leur âme et leur raison d’être. Des opportunités se sont présentées aux uns et aux autres (ainsi la mort de Amadou Gon Coulibaly a permis à Ouattara de briguer un premier-troisième mandat présidentiel en 2020 et peut-être un deuxième-quatrième mandat en 2025 !). Mais, dans le même temps, aucune figure politique majeure n’a émergé (à l’exception de Guillaume Soro dévoré par son ambition dévorante). Personne pour prendre la suite de Ouattara en 2020 quand Gon Coulibaly, candidat RHDP à la présidentielle, est mort ; personne pour s’imposer d’emblée, dans une période cruciale et à deux ans de la présidentielle, à la tête du PDCI à la suite de la mort de Bédié. Le verrouillage a été total au nom de la fidélité au chef. On a assisté à un immobilisme féodal, les princes se retranchant dans leur forteresse entourés de leurs vassaux et de leurs hommes liges. Gare aux têtes qui dépassent. Gare à ceux et celles qui sont tentés de jeter un œil à l’extérieur. Le paysage politique ivoirien est figé. Seul le paysage économique évolue ; il évolue même de façon très significative et performante, mais comme on dit en Côte d’Ivoire : « La croissance ne se mange pas ».

Les affairo-militaires comme principale alternative ?

Pour ceux qui veulent le changement et se lassent de voir toujours les mêmes leaders à la tête du pays, expérimentant toutes sortes d’alliances opportunistes et souvent contre-nature, il reste peu d’alternatives : les affairo-politiques (ou, plus, prosaïquement, les « technocrates ») ou les affairo-militaires.

Il y fort à parier que l’armée l’emportera sur la technocratie dès lors que les politiques eux-mêmes arrivent à se convaincre que la « force des baïonnettes », disqualifiant le pouvoir en place jusqu’alors, peut ouvrir la voie de l’alternance aux exclus du jeu politique « démocratique ». Mortelle illusion dès lors que l’entrée en lice des militaires s’accompagne, tout à la fois, d’une dénonciation de la démocratie à « l’occidentale » et de la glorification des régimes autoritaires pour ne pas dire dictatoriaux.

A Bamako, à Conakry, à Ouagadougou, à Niamey et à Libreville les régimes politiques en place sont tombés sans que les partis politiques résistent et, généralement, sans qu’un coup de feu soit tiré. Comme des fruits mûrs (parfois même totalement gâtés). IBK, à Bamako, avait été élu en 2013 et réélu en 2018 ; il a été chassé en 2020 et a cédé le pouvoir. Alpha Condé, à Conakry, avait été élu en 2010, réélu en 2015 et 2020. Sitôt réélu, il a été dégagé et a cédé le pouvoir. Roch Kaboré a été élu à Ouagadougou en 2015 et réélu en 2020 ; en janvier 2022, il dégage et cède le pouvoir. Pour l’instant, il n’est que Mohamed Bazoum, à Niamey, qui, élu en 2021 au second tour, n’ait pas accepté de céder le pouvoir aux militaires à l’issue du coup d’État de 2023. Je fais l’impasse sur Ali Bongo Ondimba qui n’a jamais été qu’une mauvaise caricature et il n’est pas sûr que le général qui le remplace n’en soit pas une à son tour, pire encore.

A Abidjan, il serait bien de se pencher avec sérieux et détermination sur la faillite de ces régimes, tous élus et même réélus, et qui, cependant, se sont effondrés sans que quiconque se lève pour ne serait-ce tenter de résister aux putschistes.

Ils ne se sont pas effondrés sous les coups de boutoir des djihadistes, une conjoncture économique et sociale détériorée, une idéologie en rupture, « révolutionnaire » ou « anti-impérialiste ». Ils se sont effondrés parce que les populations des pays africains se refusent, désormais, à être complices d’un jeu démocratique qui fixe des règles strictes mais que leurs instigateurs ne respectent pas. Ce n’est pas nouveau. Mais, désormais, en cette matière, le multipartisme étant un acquis politique, il y a moins d’états d’âme relatif à la démocratie. Il y a même une désillusion démocratique dans la plupart, pour ne pas dire la totalité, des pays africains. D’où cette affirmation du géopoliticien américain Robert D. Kaplan qui, en 2012, écrivait « que le totalitarisme peut, dans certaines circonstances, être préférable à une situation où personne ne gouverne ». Jacques Chirac n’avait-il pas déclaré, en 1990, que « la démocratie est un luxe en Afrique ». Sauf que partout le totalitarisme a montré ses limites et que les coups d’État militaires n’ont nulle part fait mieux, pour les populations, que les démocraties aussi peu excellentes soient-elles.

Débattre des dysfonctionnements de la démocratie en Afrique et dans le monde

En Afrique, le débat est clos ; il l’est plus encore là où les militaires imposent leur « loi patriotique ». Ils surfent, à juste titre mais pas à juste raison, sur les dysfonctionnements organisés de la démocratie électorale. Le multipartisme, conquis souvent durement, dans la rue, n’est plus que d’apparence. Les élus gèrent l’existant sans se poser de questions concernant ce qu’en pensent les électeurs. Pas seulement ceux qui votent mais ceux qui pourraient voter et ne votent pas. Les laissés-pour-compte de démocratie. Il est donc urgent de se poser des questions et de trouver des réponses. Sinon les victoires électorales apparaîtront très vite comme des échecs politiques que les affairo-militaires exploiteront au mieux de leurs intérêts.

Jean-Pierre Béjot
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