ActualitésDOSSIERS :: Laurent Gbagbo en meilleure posture comme prisonnier à La Haye que comme (...)

C’est parti. Du 19 au 28 février 2013, Laurent Gbagbo, président de la République de 2000 à 2005 et on ne sait pas trop quoi de 2005 à 2010, comparait devant la CPI, la Cour pénale internationale de La Haye. Capturé le 11 avril 2011, transféré à La Haye le 29 novembre 2011, il est, depuis près de deux ans, un homme privé de liberté mais aussi de parole. Ce qui, en soi, ne saurait me chagriner.

Depuis près d’un quart de siècle, je sais ses insuffisances. Dépourvu à mes yeux de toute crédibilité quand il était dans l’opposition à Félix Houphouët-Boigny (d’autant moins crédible qu’il se drapait dans une idéologie « socialiste » qu’il ne maîtrisait pas tandis que sa culture – pour un professeur d’histoire – laissait à désirer), son mode de production politique et son comportement ont été à des années-lumières de ce que je pense devoir être ceux d’un leader « de gauche » dans un pays tel que la Côte d’Ivoire.

Homme sympathique, attachant même parfois par la naïveté qu’il était capable d’exprimer, il a été un manipulateur d’autant plus redoutable que la « classe politique » ivoirienne était du genre à se laisser tripatouiller sans rechigner ; vieille habitude. Gbagbo a été un maquignon madré ; pas grand chose d’un homme politique ; encore moins d’un homme d’Etat. Et alors qu’il fallait être « concret », ses dérives « existentialistes » - car le manipulateur a été largement manipulé par Simone Gbagbo – l’ont conduit là où il se trouve aujourd’hui. Rien à redire.

Il est vrai, cependant, que ceux qui étaient là avant lui (Félix Houphouët-Boigny, le « père de la nation », Henri Konan Bédié, « l’héritier sans héritage », et Robert Gueï, « le putschiste malgré lui »), peuvent être jugés plus déplaisants que ne l’était Gbagbo. D’abord pour des raisons liées au fait qu’ils étaient l’archétype des hommes de « pouvoir » : un politicien milliardaire formaté par la France coloniale ; un politicien milliardaire formaté par son prédécesseur ; un officier répressif avant d’être opportunément putschiste. Ensuite parce que ces hommes ont été du côté du manche ; ce qui n’était pas le cas de Gbagbo.

Enfin parce que jamais personne n’aurait parié 100 francs CFA sur une victoire électorale de Gbagbo dans un pays tel que la Côte d’Ivoire : il a fallu des circonstances exceptionnelles pour que l’inattendu se produise dans des conditions que Gbagbo lui-même qualifiera de « calamiteuses ».

Aujourd’hui, les commentateurs se souviennent que Gbagbo a perdu le pouvoir dans des conditions tout autant « calamiteuses » que celles qui lui avaient permis de le conquérir, face à un challenger qui cumulait toutes les « tares » : belle formation, belle carrière, belle fortune, beau carnet d’adresses mais une pratique politique déficiente, une détermination qui peut paraître, trop souvent, « indéterminée », et cerise sur le gâteau, un soutien sans faille de la communauté internationale et, tout d’abord, d’une France militairement présente sur le terrain. David contre Goliath, le « populo » et les commentateurs pouvaient s’enthousiasmer pour David.

Gbagbo est à La Haye pour les conditions dans lesquelles il a refusé de céder le pouvoir à l’issue de la présidentielle 2010. Quatre événements sont examinés par la CPI pour savoir s’il doit être mis en accusation : la répression d’une manifestation à la télévision ivoirienne, d’une manifestation de femmes à Abobo, le pilonnage de ce quartier, les crimes commis à Yopougon après la capture de Gbagbo. En 2011, opinion et commentateurs, las des tergiversations de la classe politique, tous bords confondus, voulait d’abord que « ça s’arrête ».

Le jugement de la CPI ne sera pas celui de l’Histoire. Mais d’une Histoire tronquée et déracinée. 2010, c’est l’aboutissement d’un processus de délitement de la République qui a débuté avec le mode de dévolution du pouvoir voulu par Félix Houphouët-Boigny, situation exacerbée par l’opposition entre dauphins désignés – Bédié et ADO – et des entourages qui espéraient bien, à cette occasion, grappiller des places dans la hiérarchie et les prébendes qui vont avec.

Comment comprendre ce qui s’est passé en 2010-2011 sans prendre en compte la première décennie de ce XXIème siècle mais aussi la dernière du XXème siècle ? Stéphanie Maupas, dans Le Monde (daté du 20 février 2013) dit que, selon le rapport établi par le psychiatre Pierre Lamothe, « Laurent Gbagbo est très soucieux ‘de la façon dont il sera jugé par l’Histoire’ et ‘attend impatiemment l’opportunité’ de faire valoir ses thèses ».

La fin de l’histoire – pour Gbagbo –, quel que soit le jugement de la CPI, restera comme un moment douloureux de l’Histoire de la Côte d’Ivoire, résultat d’un mauvais choix. Il aurait pu être un acteur politique responsable ; en se voulant la victime, il risque fort de n’être perçu que comme un bourreau. Il pouvait être celui qui s’effaçait, après avoir frôlé la réélection, devant une campagne médiatique qui lui était défavorable et un rapport de forces (militaires) qui l’était plus encore. Il restait alors un leader qui avait sa place sur la scène politique. Il avait résisté à la tentative de coup de force du 18-19 septembre 2002, géré Marcoussis qui lui était défavorable, survécu aux intrigues nouées, dans le cadre de gouvernements dits d’union nationale, par des premiers ministres opportunistes et des ministres plus opportunistes encore, élu pour cinq ans il aura régné dix ans.

Politiquement, il n’avait rien à perdre en cédant le pouvoir à son challenger. Sauf qu’en 2010 l’enjeu n’était plus politique mais financier. En permettant à sa famille, à ses amis, à ses proches de s’enrichir sans limite, Gbagbo a changé la donne : on peut accepter de perdre le pouvoir ; on n’accepte jamais de perdre le « pognon » qu’on a volé. Quant à ceux qui, dans le camp d’en face, pendant ce temps-là, ce sont tout autant enrichis, ils n’ont guère envie de voir leurs exactions mises au jour. En montrant du doigt Gbagbo, à La Haye, on évite que le regard se porte sur ceux qui pointent le doigt. Et ils sont nombreux. Si Gbagbo était resté dans le jeu politique normal, il aurait eu tout loisir de demander aux uns et aux autres de lui rappeler le nom de celui qui leur avait permis de devenir « rois » dans leur quartier ou leur village.

On peut imaginer que les audiences de La Haye ne débouchent sur rien. Ce serait une injure à l’Histoire et à la Justice. On me rétorquera que la mise en accusation de Gbagbo le sera tout autant : c’est vrai. Trop de margoulins sont aujourd’hui installés au pouvoir, qu’il soit politique ou économique ; ou dans un exil doré. Il y a dix ans, ils n’étaient rien ou pas grand-chose ; ils ont fait carrière en surfant sur la « crise ivoiro-ivoirienne ». Sauf que Gbagbo s’est toujours présenté comme un leader politique quand d’autres (dont Bédié et Gueï) n’étaient que des « personnalités politiques ». Il était porteur d’une nouvelle attente, en rupture avec les pratiques du passé qu’il n’avait cessé de dénoncer. Ce n’est pas Léon Trotsky bien sûr, mais c’est autre chose que Laurent Dona Fologo ou une flopée d’autres qui se revendiquent pragmatiques quand ils n’ont été qu’opportunistes.

Gbagbo se doit d’assumer. Ses choix mais aussi ses dérives (selon moi religieuses) qui ont, trop souvent, rendu caduques ses choix. C’est en leader politique qu’il doit affronter la CPI, l’opinion publique internationale, la classe politique et la société civile ivoiriennes. Sinon tout cela n’aura servi et ne servira à rien.

C’est mal parti selon Thomas Hofnung qui, dans Libération (20 février 2013), écrit que Gbagbo « est impatient de se défendre et de prouver qu’il est, selon lui, la victime d’un complot ourdi par la France pour installer Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire ». Mauvaise pioche. Il pourra bien sauver sa tête (ou, au moins, sa liberté), il ne sauvera pas le rôle qu’il a joué dans l’Histoire de la Côte d’Ivoire. Alors que Ouattara doit encore prouver qu’il est un véritable chef d’Etat, alors que Bédié a failli n’étant même pas un président de la République crédible (et je ne parle pas de Gueï), Gbagbo peut choisir : avoir été l’acteur d’un drame qui, trop souvent, l’a dépassé ; ou se vouloir, misérablement, une victime. Ce n’est plus Saint-Georges s’efforçant de terrasser le dragon (mais ayant échoué). C’est l’agneau du sacrifice. Pas motivant.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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