ActualitésDOSSIERS :: La Côte d’Ivoire veut ressusciter le « royaume des saigneurs » (...)

Peuple du Burkina Faso ;
Rendons nous à l’évidence. Il est nécessaire d’avoir une grille de lecture « houphouëtiste » pour décrypter ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire, consciemment ou inconsciemment. Prenons Abengourou dans l’Est du pays. C’est le territoire des Agni dont certains historiens veulent faire des descendants des Egyptiens.

Comme les Ashanti du Ghana et les Baoulé de Côte d’Ivoire, ils sont un sous-groupe des Akan. Ils ont quitté le groupe-mère, devenant du même coup Agni, quand la situation en Gold Coast (Ghana actuel) est devenue intenable compte tenu, notamment, de la traite négrière. Il est vrai aussi qu’ils étaient attirés par l’or que l’on trouvait alors dans les petites rivières. Abengourou, aujourd’hui, fait plutôt penser à une cité rurale active. Avec, comme il se doit, sa cathédrale et sa mosquée. Et son collège moderne qui porte le nom historique de « Reine Noufan ». C’est là que Félix Houphouët (qui n’était pas encore Houphouët-Boigny) a été nommé « médaf », médecin-africain, en 1929. C’était une promotion : le poste était jusqu’alors réservé aux médecins européens : cette « capitale » de la région de l’Indénié était alors le premier centre de café et de cacao. C’est à Abengourou aussi qu’Houphouët épousera, en 1930, une jeune musulmane : Khady Racine Sow, nièce du roi Agni Nanan Boa Kouassi, et fille d’Aly Sow, originaire de Saint-Louis du Sénégal.

C’est à Abengourou encore que se déroulera une des pages les plus sanglantes de la colonisation française en Côte d’Ivoire : le 7 février 1947, des gendarmes, débordés lors d’une manifestation, feront usage de leurs armes. Bilan : 12 morts. Cette « bavure » provoquera le rappel à Paris du gouverneur Latrille qui sera remplacé, l’année suivante, par Laurent Péchoux, chargé de « casser le RDA » créé quelques années auparavant.

Houphouët était en poste à Abengourou quand, le 22 décembre 1932, il rédigera son fameux tract : « On nous a trop volé ». « Ce fut Lambert, racontera Félix Houphouët-Boigny, un Antillais imprimeur installé à Grand-Bassam, qui le publia. J’avais signé cet article. Il déclara : « Non, pas de signature. Il faut protéger ce jeune homme. Il ira loin. Les colons sont trop puissants. L’administrateur est à leur solde. Ils le briseront ». L’article, finalement, paraîtra sous un pseudonyme dans la revue « Trait d’union », éditée par la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Ce n’est que le 17 janvier 1964 que le quotidien Fraternité-Matin révélera que ce « cri » avait été poussé par Houphouët. 79 ans plus tard, c’est non loin d’Abengourou, à Agnibilékrou, qu’Albert Konan et Dian Kouadio, ont appelé à relancer la culture de l’hévéa en Côte d’Ivoire. Ils veulent ressusciter le « royaume des saigneurs ».

L’hévéaculture a démarré assez tard, en Côte d’Ivoire, par rapport aux autres grandes productions agricoles. Personne n’y croyait, au départ, lorsque la première société d’exploitation privée avait été créée en 1956. Il faudra l’intervention de l’Etat, à partir de 1965, et la mise en place d’un programme de développement hévéicole mettant l’accent sur la qualité de la production pour que cette spéculation s’impose en milieu rural. En quelques décennies, la Côte d’Ivoire deviendra le deuxième producteur de caoutchouc du continent, derrière le Nigeria. Avec l’ambition de devenir, alors, le numéro un. Ce qu’elle est devenue depuis.

C’est donc en 1956 qu’avait été créée la Société africaine de plantations d’hévéas (SAPH), héritière des grandes compagnies caoutchoutières coloniales françaises d’Asie du Sud-Est (ex-possession française jusqu’à la défaite de Diên Biên Phu le 7 mai 1954). La SAPH a initié la Côte d’Ivoire à l’hévéa, au latex et au caoutchouc. Une initiation qui portera ses fruits. Quand les actionnaires français ont commencé à connaître des difficultés, l’Etat ivoirien a repris l’affaire en main et Jean-Baptiste Améthier* en a été nommé PDG à compter de 1974. Il va en faire une des toutes premières entreprises agro-industrielles du pays. Sa réussite au sein d’une entreprise publique, son intérêt pour le monde rural, sa connaissance du milieu et des hommes, sa capacité de négociation et ses excellentes relations internationales joueront en sa faveur, quelques années plus tard, quand les relations se seront détériorées entre le groupe français Michelin et l’état-major de la SOGB.

La Société des caoutchoucs de Grand Bérébi était une société d’économie mixte créée en mars 1979 ; elle s’était lancée, avec succès, dans l’hévéa sur une vaste plantation dans l’Ouest ivoirien. L’Etat y était associé, initialement, dans une proportion de 90/10 avec Michelin. Mais le manufacturier français, qui avait ramené sa participation à 5 % ultérieurement, n’avait pas apprécié le mode de gestion de l’entreprise. Il était prêt à quitter la Côte d’Ivoire avec ses cadres, son savoir-faire et ses débouchés. Mauvaise opération pour le pays quand un leader mondial met brutalement le doigt, publiquement, sur quelques « malversations » peu compatibles avec une saine gestion. Mais l’état-major de Clermont-Ferrand, siège français de Michelin, n’était pas du genre à apprécier les comptabilités « tropicalisées ».

En Auvergne, plus qu’ailleurs, « un sou, c’est un sou ». Les autorités gouvernementales ivoiriennes et la multinationale française seront au bord de la rupture. C’est une fois encore Améthier qui, avec diplomatie, va redresser la barre. Fin 1988, il sera nommé PDG de la SOGB. Quelques mois lui suffiront pour dissiper les « malentendus » et remettre l’entreprise dans le bon chemin. Il va, du même coup, être considéré comme le « Monsieur hévéa » non seulement de la Côte d’Ivoire mais, aussi, de l’Afrique. Il deviendra l’initiateur de l’Apromac, l’Association des producteurs et manufacturiers de caoutchouc, qui regroupera les producteurs, usiniers et manufacturiers de Côte d’Ivoire (ainsi que l’IRCA, l’Institut de recherche sur le caoutchouc). Il sera aussi à l’origine de la création de l’Association professionnelle du caoutchouc naturel en Afrique qui regroupera les producteurs africains, les manufacturiers, les exportateurs, les centres de recherche et l’IRCA-France.

La SOGB sera le plus beau fleuron du secteur de l’hévéa en Côte d’Ivoire. Améthier en fera l’entreprise des records du monde : le plus fort rendement à l’hectare : 2.100 kg/ha ; la plus forte productivité par saigneurs. Grand Bérébi a été créée de toutes pièces au cœur même de la forêt tropicale. San Pédro, la ville la plus proche, est à 70 km à l’Est ; à l’Ouest, Tabou est à une distance équivalente. La plantation avait été créée à coups de machette dans une forêt vierge, de pénétration difficile. La prospection a été héroïque, le ravitaillement des hommes étant assuré par portage humain ou largage par parachute. Et cette aventure-là ne remonte pas à la nuit des temps. Elle date des années soixante-dix. A l’origine, la main-d’œuvre était composée, pour 85 % de travailleurs burkinabè mais, au début des années 1990, on ne comptera plus que 60 % de Burkinabè dès lors que les Ivoiriens, touchés par la crise économique et à la recherche d’un travail salarié correctement payé (un saigneur était payé, en 1990, 20.000 francs CFA par mois), vont venir embaucher.

* Jean-Baptiste Améthier, qui a fait de la SAPH et de la SOGB de véritables pôles de développement économiques, sociaux et culturels (avec notamment, sur les plantations, des écoles maternelles où les enfants chantaient des comptines en l’honneur de l’hévéa : « Hévéa, c’est à l’âge que nous avons aujourd’hui, cinq ans, que tu commences à produire »), docteur en économie du développement, a été le promoteur des caisses rurales d’épargne et de prêts en Côte d’Ivoire et a débuté sa carrière dans l’économie et la finance (il a été directeur de cabinet de Henri Konan Bédié quand celui-ci était ministre) avant de se consacrer à l’hévéa. Il est mort le 1er juillet 2009. Maire de Bonoua, il était le petit-neveu du guerrier Abouré, Kadio Amangoua, qui avait combattu la colonisation française et mourra en déportation, au Gabon, au début du XXème siècle. Améthier fera rapatrié ses restes et organisera ses funérailles à Bonoua en avril 2004.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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