ActualitésDOSSIERS :: Ouaga, capitale politique sous-régionale, presse Abidjan de jouer son rôle (...)

Qui pourrait refuser de marquer d’une pierre blanche ce vendredi 18 novembre 2001 ? Dans ma vie de journaliste, j’ai eu l’occasion de vivre - en exclusivité « presse internationale » - quelques moments rares. Kadhafi et Habré à Bamako, Dos Santos et Savimbi à Franceville et Libreville, Camdessus, Touré et Ouattara à Washington, Mobutu à Pékin, Kérékou à Paris au lendemain du « 11 septembre » et tant d’autres événements qui font une vie professionnelle.

J’ai connu Alassane D. Ouattara le jour où, dans la capitale US, il passait la main de directeur Afrique du FMI pour le gouvernorat de la BCEAO et je l’ai « suivi » pas à pas tout au long des années où il a été un acteur de premier plan en Côte d’Ivoire. Blaise Compaoré à Ouagadougou, jeune capitaine installé au Conseil de l’Entente, physique de haricot vert, treillis, bottes de saut, montre camouflée. Luc Tiao, pas encore ambassadeur à Paris, pas encore premier ministre, mais déjà président du Conseil supérieur de l’information. Guillaume Soro, c’était à Paris, lors des accords de Marcoussis, promu leader d’une insurrection ivoirienne avortée dans la suite d’Omar Bongo face aux jardins des Tuileries, croisé alors que j’échangeais avec Jean Ping, qui n’était pas encore la bête noire de l’UA ; quelques semaines plus tard, je retrouverai Soro à Ouaga, au Silmandé.

Ils sont là, tous les quatre, côte à côte, sur la photo de famille qui illustrera cette journée du vendredi 18 novembre 2011. Quand je regarde d’où ils viennent, j’ai le vertige. « Ouaga 18.XI.11 », ce n’est pas qu’un événement ; c’est un aboutissement. L’issue d’une long processus. Filippe Savadogo, ancien ambassadeur à Paris, ancien ministre et porte parole du gouvernement Tertius Zongo, me dit : « Avec cette crise ivoirienne, le Burkina Faso était entré dans un long tunnel dont on ne voyait jamais l’issue. Le Président du Faso s’est totalement investi, pendant des années, pour que l’on sorte de ce tunnel. C’est fait ». Pour beaucoup, cet aboutissement est inespéré alors qu’il y a peu de mois nombreux était ceux qui pensaient que Gbagbo pouvait, une fois de plus, « rouler dans la farine » les acteurs politiques ivoiriens et la « communauté internationale ».

Plutôt « bandant » de voir rassemblés à Ouaga 2000, dans l’enceinte de la présidence du Faso, aux côtés des Burkinabè, ces dizaines de ministres ivoiriens dont beaucoup n’ont jamais, sans doute, mis les pieds au Burkina Faso et qui découvrent une capitale en ordre, active, entreprenante, structurée, organisée, avec ses entreprises, ses banques, ses commerces, ses quartiers résidentiels, une circulation dense mais où tout fonctionne (enfin presque). Les « raouts » internationaux, les Burkinabè savent faire. Et sans ostentation (pas plus que nécessaire quand on est une République qui ne doit rien à personne) ni pression protocolaire ou sécuritaire.

Le Burkina Faso, ça tourne. ADO, qui entend ressusciter le Conseil de l’Entente (il a annoncé un prochain sommet, début décembre 2011, à Cotonou), le dira spontanément lors de la conférence de presse : « Nous sommes en de bonnes mains ». Cela tranquillise ce régime encore fragile de s’adosser sur une nation dont le mode de fonctionnement n’a rien à envier à qui que ce soit en Afrique noire, capable de résoudre en interne ses problèmes. L’assurance qu’affiche la classe politique burkinabè rassure un Ouattara qui maîtrise bien plus les problèmes économiques et financiers que le savoir-faire politique (et encore moins le faire savoir).

« Ouaga 18.XI.11 » est un acte fondateur. Celui d’une Côte d’Ivoire « nouvelle » ; mais surtout celui d’une relation désormais différenciée entre Abidjan et Ouaga. Ainsi que de la reconnaissance que, sans tapage (mais non sans tangage), le Burkina Faso a été l’acteur essentiel de la résolution de la « crise ivoiro-ivoirienne » quand il aurait pu mettre le feu non seulement à la forêt ivoirienne mais à toute la sous-région dès lors qu’Abidjan entreprenait de passer les Burkinabè à la moulinette de « l’ivoirité ». Ouaga aura ainsi été l’outil du retour aux fondamentaux… ivoiriens. La presse burkinabè évoque d’ailleurs, désormais, dans un parallélisme avec le « pays des hommes intègres », le « pays de Houphouët-Boigny ». Dans sa déclaration publique de ce jour, ADO n’a pas manqué « d’exprimer sa gratitude au Burkina Faso pour son implication dans la résolution de la crise » qui a ravagé son pays et son peuple. Boureima Badini, le représentant spécial du facilitateur, me rappelle, alors que les cérémonies du « Ouaga 18.XI.11 » s’achèvent, que « le Burkina Faso a subi le plus gros du choc » dans cette affaire et qu’après avoir été accusé d’avoir mis le feu on lui reprochera de jouer le pompier.

Que retiendront les Burkinabè de cette journée ? Il est trop tôt encore pour le dire*. Mais il y a deux éléments à prendre en compte. 1 - Les Burkinabè sont conscients d’avoir été la cible de cette « crise ivoiro-ivoirienne » dès lors que Ouattara a été fustigé en tant que tel. Autant dire que le « dommage » remonte non pas à Robert Gueï ou à Laurent Gbagbo mais à Henri Konan Bédié. Et, aujourd’hui, ADO leur semble un peu des leurs. 2 - Les Burkinabè sont conscients d’avoir eu, après l’échec de toutes les médiations antérieures, l’équipe capable de penser et de réaliser la paix. Il ne faut jamais oublier que si les Burkinabè sont nombreux en Côte d’Ivoire, les Burkinabè rapatriés de Côte d’Ivoire au cours de la décennie passée sont eux aussi visibles sur le territoire national. La tenue à Ouaga de ce deuxième conseil des ministres conjoints, le déplacement en masse des Ivoiriens, ADO et Soro en tête, sont une source d’orgueil national. Mais à Ouaga, la même question est posée depuis que le Burkina Faso est entré dans la « facilitation » : les Burkinabè seront-ils suffisamment payés en retour des préjudices subis et des efforts fournis ? Le retour au statu quo d’avant la crise (en un mot la mort de « l’ivoirité ») ne saurait être une satisfaction. Ouaga a réussi là où tous les autres - l’Afrique, l’Union européenne, la « communauté internationale » - ont échoué (même si la réussite burkinabè s’appuie sur les efforts menés précédemment par les autres). ADO et ses ministres se sont rendus à Ouaga et ont été reçus avec tous les égards dus à leurs rangs dans une capitale qui s’était considérablement développée quand la leur, Abidjan, s’est totalement déglinguée.

Dans les milieux politiques ouagalais, on ne manque pas de se réjouir que « Ouaga 18.XI.11 » ne soit pas une première ; mais seulement une nouvelle étape dans un processus lancé au temps de… Gbagbo. Il s’agit de ne pas laisser penser à une connexion étroite Blaise-ADO qui, d’ailleurs, ne s’inscrirait pas dans le pragmatisme que sait pratiquer Ouaga 2000. Pour le reste, il s’agit de n’avoir pas d’états d’âme. « Les Ivoiriens vont très vite oublier ce que nous avons fait pour qu’ils soient là où ils sont aujourd’hui » me confie l’un de mes interlocuteurs, n’entendant pas que les fruits de l’arbre que les Burkinabè ont planté tombent dans le jardin d’un autre. Il ajoute : « Il ne faut pas hésiter à devenir des prédateurs dès lors que les autres partenaires de la Côte d’Ivoire n’hésiteront pas à se comporter comme tels. Sinon ce que les Burkinabè auront fait pour ramener la paix et la stabilité en Côte d’Ivoire aura été vain. Pour eux ».

* On peut s’étonner que dans un pays où la presse ne paraît pas pendant le week-end, un événement de cette importance se déroule un vendredi, ce qui en repousse le commentaire au lundi suivant. On m’objectera que dans un pays majoritairement analphabète, cela est sans importance ; ce qui est s’aligner sur le programme minimum quand il est temps, enfin, de viser le programme maximum.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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