ActualitésDOSSIERS :: Laurent Gbagbo relève désormais bien plus de la psychiatrie, ou de (...)

La bataille d’Abidjan est engagée. Sans que l’on sache ce qu’il est advenu de Laurent Gbagbo. Le régime, qui avait perdu son âme depuis longtemps, a perdu brutalement ses chefs. Je n’aimerais pas m’appeler Mangou. Le général de corps d’armée Philippe Mangou n’avait pas honoré son nom, déjà, en se mettant aux ordres de Gbagbo au lendemain de la présidentielle de 2010 ; il le déshonore plus encore en n’allant pas jusqu’au bout de son infamie et en cherchant refuge, avec femme (s) et enfants à l’ambassade d’Afrique du Sud. Pas glorieux tout cela.

Se démettre sans se soumettre, on ne peut même pas penser - qu’on me pardonne cette vulgarité - « qu’il sauve ses couilles » ; elles aussi manquent à l’appel ! Mangou n’est pas le seul dans cette situation. Et il y aura un Who’s Who a rédiger sur tous ceux qui, depuis plus de dix ans, nous bassinent avec Gbagbo, « l’opposant historique », « le nationaliste », « l’homme choisi par Dieu », etc. et qui font défection au moment critique. Il fallait que la Côte d’Ivoire soit bien malade pour accoucher d’un tel régime en octobre 2000. Il fallait que l’entourage de Gbagbo (à commencer par Simone) soit bien déglingué pour que « le petit prof » d’histoire mute ainsi en monstruosité politico-mystique. Il va y avoir du boulot pour ceux qui vont tenter d’expliquer pourquoi la Côte d’Ivoire est devenue, en l’espace de deux décennies (je me refuse à faire l’impasse sur la gestion « calamiteuse » de Henri Konan Bédié), un pays dont l’évolution est une des pires du continent alors qu’il était considéré - de 1960 à 1993 - comme un « modèle ».

Il ne l’était sans doute pas ; mais la Côte d’Ivoire n’était pas ce pays déliquescent et de plus en plus mafieux qu’il est devenu sous la férule des Gbagbo. Félix Houphouët-Boigny, en 1993, était ce même homme que l’on avait connu au lendemain de la Deuxième guerre mondiale puis de l’indépendance. Henri Konan Bédié est, aujourd’hui, l’homme qu’il était sous Houphouët puis sous… lui-même. Il y a un peu plus de sept ans (cf. LDD Côte d’Ivoire 096/Mardi 2 décembre 2003), j’avais titré : « Docteur Gbagbo et Mister Haine. L’étrange cas (désespéré ?) du président de la République de Côte d’Ivoire ». J’écrivais que la caractéristique de Gbagbo était « la constance dans l’inconstance ». Je m’interrogeais alors : « Qui peut encore penser qu’un dialogue peut être instauré avec Gbagbo pour tenter de régler les graves problèmes auxquels son pays est confronté ? Qui peut penser qu’il est nécessaire, encore, de lui donner la parole alors que c’est à l’infini qu’il pratique la fuite en avant, revendiquant haut et fort son irresponsabilité totale ? ».
Je n’ai pas connu un seul homme politique qui ait autant muté que Gbagbo en aussi peu d’années. Notre premier entretien date d’octobre 1989. Compte tenu des diplômes revendiqués, il m’avait semblé intellectuellement insuffisant ; mais pas un mauvais bougre. Pas non plus un « politique » ; il avait quelques idées mais pas d’idéologie (et dans les années 1980, pour un homme de sa génération qui se voulait « opposant » dans son pays, c’était étonnant). Léger, très léger ; mais conscient qu’il n’avait pas l’envergure d’un leader : le FPI n’était encore qu’un groupuscule (son congrès constitutif a eu lieu les 19-20 novembre 1988) et Simone, une vraie « politique », ne l’avait pas encore formaté (en couple depuis plusieurs années, il se sont mariés le 19 janvier 1989).

Gbagbo avait cultivé l’image du bon bougre mais un an après son élection, lors du Forum national de la réconciliation, il était apparu particulièrement affligeant (cf. LDD Côte d’Ivoire 005/Lundi 3 décembre 2001) lorsqu’il s’était présenté comme « l’un des leaders politiques ivoiriens qui rient le plus, qui embrassent le plus, parce que je pense que l’on ne m’a pas obligé à faire la politique [sic] ». Ses modèles, disait-il alors, étaient Moïse, François Mitterrand et Houphouët : « je pense que ceux-là méritent les pouvoirs qu’ils ont parce qu’ils sont allés les chercher » ; il fustigeait alors le « chef d’Etat qui serait un homme d’affaires » et se glorifiait d’avoir un revenu présidentiel modeste : « J’ai calculé déjà, je sais combien je vais toucher quand je serai à la retraite, en tant qu’ancien chef d’Etat. Et comme je ne suis pas un homme avec de grands besoins, donc ça me suffit ». Le « ç’am suffit » de Gbagbo s’est transformé, depuis, en fortune colossale. Et l’ex-maoïste s’est vite affranchi de ses engagements « socialistes » pour sauter l’étape du capitalisme et s’avérer être un des pire mafieux (au plan économique s’entend) du continent (qui, pourtant, en la matière, ne manque de candidats).

Si on pouvait attendre de Bokassa qu’il soit Bokassa, de Idi Amin Dada qu’il soit Idi Amin Dada, etc. rien ne semblait prédisposer le « petit prof » à devenir le fossoyeur de la démocratie ivoirienne, un « national-tribaliste » puis un dictateur. Sauf les notoires insuffisances de la classe politique ivoirienne, toutes tendances confondues. L’accession au pouvoir de Gbagbo a été une énorme surprise en octobre 2000, moins d’un an après les événements du 25 décembre 1999. Dès lors tout a dérapé et il était évident que « l’ivoirité » allait être un concept largement instrumentalisé par le nouveau pouvoir (même s’il n’en avait pas été l’inventeur) pour bloquer la percée politique de Alassane Ouattara. Dès lors, personne ne pouvait douter que le pire n’était pas à venir mais qu’il était déjà là.

Ceux qui pensent que la détérioration de la situation démocratique de la Côte d’Ivoire remonte aux événements du 18-19 septembre 2002 se trompent. Le drame de la Côte d’Ivoire, c’est que l’on ait permis l’accession au pouvoir de Gbagbo en octobre 2000 et ceux qui disent : « on ne savait pas », sont des imbéciles ou des illettrés. Le jeudi 18 octobre 2001, lors d’une réunion organisée au siège parisien de la fondation France Libertés (dont la présidente est Danielle Mitterrand), le socialiste Jean-Yves Barrère déclarait : « Laurent a milité chez nous quand il était à Paris. Il était rédacteur de 1982 à 1986 à Libération Afrique qu’animait alors Guy Labertit [qui sera par la suite délégué national Afrique du PS]. Notre amitié est ancienne, mais la réalité d’aujourd’hui est telle que je suis convaincu, et c’est un message que j’ai fait passer, qu’il ne peut pas laisser dire ce qui a été dit dans le journal du FPI et faire ce qu’il a fait depuis qu’il est au pouvoir ». J’ai publié cette déclaration dans la première des « dépêches » consacrées à la Côte d’Ivoire le jeudi 18 octobre 2001. Gbagbo n’était pas au pouvoir depuis un an (il a prêté serment le jeudi 26 octobre 2000) et il y a près de dix ans de cela.

L’ancrage de Gbagbo, très rapidement, dans les milieux évangéliques, va lui permettre de tourner la page « politique » de son mandat pour sa page « mystique ». « J’ai dit au Seigneur : tu m’envoie une épreuve supplémentaire, mais je te demande une chose : permets-moi d’être juste et sans faiblesse » (jeudi 14 septembre 2006 ; rencontre avec les forces de défense et de sécurité). Ce mysticisme, il en fera le fondement de son action ; ce même jour de septembre 2006, il déclarera : « En 1999, le chef de l’Etat est parti. Moi, je ne partirai pas. Je suis ici avec vous. Je suis ici avec mes soldats. Je suis ici avec mon peuple. Je suis de culture latine et helléniste. Dans l’histoire de Rome [Gbagbo alors lisait l’histoire de Jules César], le chef de l’Etat était effectivement non pas seulement le chef des armées, mais le chef de guerre. Il dormait au milieu de sa troupe ».

Aujourd’hui, la troupe s’est débandée ; et nul ne sait où se trouve son chef. Mais la paranoïa de Gbagbo aura fait bien des dégâts. Ouattara va devenir dans l’histoire de l’Afrique le seul président légitimement élu par les urnes qui aura dû reconquérir son pouvoir par les armes et le soutien de quelques puissances « étrangères ». Le voilà débiteur ; espérons qu’il ne sera pas otage. Et que les Ivoiriens sauront se rassembler autour de lui plutôt que s’opposer.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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