ActualitésDOSSIERS :: Côte d’Ivoire : Dégagez, y’a rien à négocier ! (1/2)

Les « révoltes arabes » ont pris leur vitesse de croisière. La Tunisie organise sa transition avec sérénité ; à coups de remaniements les « benalistes » ont dû quitter le gouvernement et l’ex-parti présidentiel a été dissous officiellement tandis que les organes de la police politique ont été « supprimés ».

Autant dire que la révolte tunisienne prend, chaque jour, de plus en plus, des allures de révolution démocratique qui s’organise encore, pour l’instant, autour d’un « consensus instable » selon les mots de la juriste Senna Ben Achour, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), mais qui a le mérite de se structurer politiquement.

En Egypte, la situation est plus délicate compte tenu du caractère « géopolitique » du pays et des tensions religieuses et sociales. Si Ben Ali est parti, Hosni Moubarack est toujours dans le pays (même s’il n’est plus dans la capitale) et la classe politique au pouvoir n’a pas encore été renouvelée, loin de là ; il faudra du temps, beaucoup de temps, avant que la conjoncture politique et sociale du pays évolue.

En Libye, ce n’est pas la position « géopolitique » du pays qui est à prendre en compte mais sa position « diplomatico-économique » : pays producteur de pétrole présent dans le capital de sociétés européennes et africaines, mais également « pôle de fixation » d’une partie de l’immigration africaine vers les pays de l’Union européenne. D’où l’attention particulière que portent Washington, Londres, Paris, Rome et Bruxelles sur ce qui se passe entre Tripoli et Benghazi. Sans que personne ne puisse prédire comment cela finira ; sauf que, bien sûr, Kadhafi est « historiquement » déglingué et que chaque mot qu’il prononce disqualifie un peu plus « le roi des rois traditionnels d’Afrique ».

Trois pays arabes, trois pays africains. Mais tout cela n’a pas l’air de concerner l’Afrique ; sauf que la manne libyenne est désormais tarie ; et ce n’est pas négligeable. Pour autant, je n’ai pas entendu une seule voix africaine s’élever pour trouver au « leader de la révolution libyenne », instigateur de « l’Union africaine » et de quelques autres institutions régionales à sa dévotion, une quelconque qualité. Il n’y a plus personne pour affirmer que Kadhafi était de ses « amis » et lui tresser des lauriers de « grand panafricain ». Mais il est vrai qu’on a connu cela, à la fin des années 1990, quand Mobutu Sese Seko, abandonné par ses partenaires « occidentaux », avait été dégagé en touche par un Laurent-Désiré Kabila érigé en « révolutionnaire » opposé à toutes les dictatures (sauf la sienne bien sûr).

En fait, dans les palais présidentiels, personne n’ose bouger une oreille, chacun craignant que l’on remarque qu’il est là depuis trop longtemps, ou qu’il est trop vieux, ou que sa famille profite trop du pouvoir, ou que son régime est loin d’être démocratique, ou que sa gestion économique du pays est bien plus patrimoniale que transparente, etc. Les chefs d’Etat africains tendent à devenir des « hommes invisibles » et, partout, on risque de voir promouvoir, à nouveau, les « premiers ministres » qui serviront d’écran et que l’on pourra charger de tous les maux. « M’sieur, c’est pas moi, c’est lui ! ».

Si l’Afrique subsaharienne ne dit rien de l’Afrique du Nord, il faut bien reconnaître qu’elle ne dit pas grand-chose non plus d’elle-même. Et c’est avec appréhension que les consultations électorales désormais s’organisent (le Bénin en est aujourd’hui l’illustration et a bien du mal à passer à l’acte, reportant de semaine en semaine sa « présidentielle »).

En Afrique, il est un nom devenu tabou : « Gbagbo ». Et il n’est plus personne pour penser qu’il puisse sortir quelque chose de cohérent du chaos dans lequel il a plongé la « capitale » de la Côte d’Ivoire. Ce matin, mercredi 9 mars 2011, reçu en audience à Paris par un chef d’Etat de la sous-région, alors que je lui faisais remarquer que la « crise ivoirienne » n’évoluait pas, il m’a aussitôt interrompu : « Si, elle évolue vers la guerre ! ». Tout était dit sans que, pour autant, l’Afrique noire n’en soit bouleversée.

Je voulais les noms des femmes ivoiriennes massacrées à Abobo la semaine dernière (cf. LDD Côte d’Ivoire 0302/Vendredi 4 mars 2011) ; l’ADDL, association de défense de la démocratie et des libertés basée en France, m’a communiqué les éléments en sa possession :
- Adjaratou Touré (41 ans).

- Coulibaly Fatoumata (34 ans).

- Sylla Malon (24 ans).

- Koné Moyamou (23 ans).

- Ouattara Gnon Rokya (21 ans).

- Bamba Massiami (18 ans).

- Ami Coulibaly.

- X (15 ans).

Pour ces femmes et leurs familles et pour beaucoup d’autres en Côte d’Ivoire, la guerre est déjà là (selon les Nations unies 370 personnes ont été tuées en Côte d’Ivoire depuis la mi-décembre 2010). Ces femmes aux mains nues ne sont pas mortes dans un accident de car, mais assassinées de sang froid par des hommes venus d’ailleurs équipés d’armes de guerre. La Journée de la femme, le mardi 8 mars 2011, a été, à Abidjan, une journée de protestation et de deuil. Ce qui n’a pas entamé les certitudes de Laurent Gbagbo et de son clan. « Y’a rien à négocier » répète le « boucher des lagunes » comme l’appellent désormais les femmes ivoiriennes.

C’est vrai ; il n’y a rien à négocier. Et toutes les simagrées pseudo-diplomatiques du « panel » ne font pas plus illusion aujourd’hui qu’hier. Dans une ambiance où on « solde » quelques dictateurs du continent (Ben Ali, Moubarak, Kadhafi), Gbagbo a désormais pris sa place dans la file d’attente de ceux qui sont appelés à « dégager ». « Dictateur » ? Eh oui, comment appeler, sinon, un homme qui s’incruste au pouvoir depuis octobre 2005 et qui, battu à la régulière dans une élection présidentielle dont le résultat a été validé par la « communauté africaine » et la « communauté internationale », entend rester en place par la force, la terreur, l’assassinat, recourant au concours de mercenaires et se livrant au trafic d’armes (en violation de l’embargo) avec le concours du Zimbabwe.

« Gbagbo dictateur », il faut le dire quand des femmes et des jeunes filles aux mains nues sont froidement assassinées. « Gbagbo dictateur », il faut le répéter quand, avant même la présidentielle, il affirmait déjà : « J’y suis, j’y reste ». « Gbagbo dictateur », il faut le dire et le dire encore quand l’homme actuellement au pouvoir n’a pas hérité d’une situation conflictuelle mais en a créé les conditions.

La Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, y compris de Henri Konan Bédié et même du général Robert Gueï, n’a jamais été une Côte d’Ivoire où l’on assassinait les femmes et les jeunes filles ; pas même au nom du pouvoir pour le pouvoir. La Côte d’Ivoire n’est pas le Tchad, ni le Congo, ni la RDC, ni l’Angola… Quelles que soient les « limites » auxquelles étaient parvenus les précédents régimes, jamais ils n’avaient été au-delà de cette limite.

Gbagbo n’est plus un « opposant historique » ; ce n’est rien d’autre qu’un « dictateur ». Et je m’étonne encore que des journalistes puissent qualifier de « forces loyalistes » les tueurs à gage qui le servent. « Gbagbo dictateur » ; et rien d’autre si ce n’est un « tueur ». Il faut quand même reconnaître qu’il est difficile de trouver, au sein de l’Union africaine, un président de la République élu (je parle de l’élection présidentielle de 2000), leader d’un parti membre de l’Internationale socialiste, dont le parcours soit aussi désastreux et le bilan plus catastrophique encore. Et pourtant il y a parmi eux quelques voyous.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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