ActualitésDOSSIERS :: Côte d’Ivoire : Pendant combien de temps encore faudra-t-il que la population (...)

Il faudra combien de temps pour que les grottos ivoiriens nous communiquent les noms de ces femmes d’Abobo qui, hier, ont été froidement assassinées par les sbires de Gbagbo à la suite des tirs d’une « mitrailleuse lourde » : touchées par des munitions de calibre 12,7, elles se sont effondrées dans un anonymat insupportable alors que, toute la journée, on n’entend parler que de Gbagbo et de Ouattara. Gbagbo et Ouattara, Gbagbo et Ouattara. Rien d’autre.

Elles étaient des filles, des fiancées, des épouses, des mères ; elles avaient les mains nues, elles protestaient contre une vie qui n’en était plus une ; leur vie. Un blindé s’est posté face à elle et les a « rafalées ». Posément, froidement, pour tuer ces femmes et tuer l’espérance chez ceux qui ne sont pas encore morts.

Les populations ivoiriennes vivent le pire depuis vingt ans. Dans les années 1990, on leur a laissé croire que le multipartisme allait résoudre leurs problèmes ; on y a ajouté la rigueur économique, les compressions de personnel liées aux privatisations, les hausses de prix des produits de première nécessité à la suite d’une dévaluation du franc CFA dont on disait pourtant qu’elle avait été faite sur mesures pour la Côte d’Ivoire… Et puis, ce qui avait été bâti en trente ans allait être mis par terre en moins de temps. « L’éléphant d’Afrique » tant prôné par Henri Konan Bédié et les siens allait se révéler n’être qu’une « grosse vache à lait » pour la bureaucratie qui s’était installée au pouvoir. Dans le même temps, déjà, on stigmatisait les populations d’Abobo et les « porteurs de boubou ». D’où 1999 et l’espérance née du changement.

Le changement, pour les populations, s’est résumé à « l’émergence » d’une nouvelle bureaucratie parasitaire, les grottos socialos et leurs alliés nationaux et multinationaux allaient mettre la main sur l’économie ivoirienne et faire tourner la machine à leur profit. D’où 2002. Entre-temps, le pouvoir avait établi un principe de base : il valait mieux tabler sur « un homme en boubou, une balle », que sur « un homme, une voix ». Le principe démocratique ne résistait pas face au pragmatisme de Gbagbo et des siens. Les « quartiers », à Abidjan, allaient découvrir les escadrons de la mort, les « suicides », les charniers, les exécutions sommaires… Sans compter les spoliations, les viols, les vols, les tortures et tout le reste.

Malgré cela, le monde entier a continué à considérer que Gbagbo demeurait un homme « fréquentable ». Il n’y aura que François Hollande, alors leader du Parti socialiste, à Paris, pour penser le contraire ; et Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, à Ouagadougou, pour prédire que Gbagbo finirait un jour devant le Tribunal pénal international. Les autres, tous les autres, ont continué à faire « comme si ». « Comme si », il y avait un jeu politique démocratique en Côte d’Ivoire, « comme si » Gbagbo n’était pas le chef d’un clan mafieux dont on connaît les membres, « comme si » Simone et Laurent étaient sains d’esprit et non pas des illuminés dont la « religiosité » n’était que de façade, « comme si » le régime en place à Abidjan depuis octobre 2000 était un modèle de « bonne gouvernance » économique, politique et sociale, « comme si » les soutiens internationaux à Gbagbo, en France comme en Afrique (Afrique du Sud, Angola…), n’étaient pas eux-mêmes des hommes et des pouvoirs dont la « faillite morale » était avérée.

Je veux savoir le nom de ces filles, de ces fiancées, de ces épouses, de ces mères, qui, hier, jeudi 3 mars 2011, à Abobo, à l’occasion d’une marche des femmes ont été froidement assassinées. Je veux connaître leur nom et dire, avec elles, à Gbagbo et à Ouattara que « trop c’ trop », que la compassion ne sert à rien, que l’attentisme est criminel, que le respect de la règle du jeu n’est qu’un « piège à cons » quand on ne sait plus à quel jeu on joue mais que, par ailleurs, tout le monde triche. Le sens des réalités, le courage politique, la détermination… sont du côté des « femmes d’Abobo ». « Les bonnes politiques économiques, ce sont des recettes de bonne femme, des choses très simples », me disait Ouattara, à Washington, le 28 novembre 1988, alors qu’il quittait le FMI pour prendre le gouvernorat de la BCEAO. « Les recettes de bonne femme », ces « choses très simples » ce sont ces corps sans nom étendus dans des mares de sang du côté d’Abobo, loin du palais présidentiel, loin de l’Hôtel du Golf.

Ce matin, vendredi 4 mars 2011, dans le quotidien La Croix, Pierre Cochez rendait compte de ce qui se passe à Abidjan. « A Abobo, écrit-il, Ali considère qu’il est temps de faire cesser cette peur : « Gbagbo est en train de rendre idiote une génération. Il a trahi la jeunesse ». Ali compte sur son combat et celui de ses « frères ». Il n’attend plus grand-chose de l’Hôtel du Golf, où vivent retranchés Alassane Ouattara et son gouvernement. « Ils ne nous prenaient pas au sérieux. Aujourd’hui, nous luttons pour notre survie. Cela donne plus de force que de lutter pour ses intérêts. Si Alassane Ouattara veut faire de la politique, il n’a qu’à en faire. Nous nous allons finir par arracher les kalachnikovs de ces jeunes fous » [il évoque là les milices formées par Gbagbo et les « Jeunes Patriotes » et lâchées dans les quartiers « pro-Ouattara » depuis le résultat de la présidentielle].

« Lutter pour notre survie donne plus de force que de lutter pour ses intérêts ». Ali a raison. Je ne suis même plus certain, aujourd’hui, que Ouattara soit en mesure, un jour, d’exercer le pouvoir en Côte d’Ivoire et que Guillaume Soro, son premier ministre, soit à même de gouverner. Combien de morts, aujourd’hui, parmi les membres du gouvernement ? Combien de blessés ? Ils asphyxient économiquement Gbagbo, disent-ils, mais c’est la population qui étouffe. Lisez les pancartes. « On veut pas Gbagbo ! », « Gbagbo dégage ! », « Trop c’ trop ». Les mots d’ordre sont clairs et nets dans les quartiers tandis que les « Forces nouvelles » sont à la parade dans le Nord où affalées dans les chambres des villas cossues de Ouaga 2000. Les populations ivoiriennes se foutent pas mal de Gbagbo ou de Ouattara. Elles veulent reconquérir une dignité qui leur a été refusée trop longtemps et qui a été annihilée, pendant des années, dans le combat pour les « élections ».

La présidentielle a eu lieu pour laquelle la population s’est mobilisée massivement ; Ouattara a été élu et pourtant sa situation ne cesse d’empirer. Et si les « pro-Gbagbo » pillent les maisons des ministres « Ouattara » à La Riviera, c’est qu’il n’y a rien à piller ou à saccager dans les « quartiers ». Depuis trop longtemps, on y meurt pour rien. Il est temps, sans doute, de mourir pour quelque chose. Et ce quelque chose ne pourra pas être un « remake » de ce que Gbagbo a proposé pendant dix ans ; l’ostentation des uns et la commisération à l’égard des autres ne pourront plus être de mise. Il faudra penser autrement le mode de production politique de la Côte d’Ivoire. Ce ne sont pas les « politiques » qui le disent ; c’est la jeunesse qui va l’imposer. Au nom des filles, des fiancées, des épouses et des mères qui ont été assassinées hier à Abobo. Pas des « Gbagbo » ou des « Ouattara » ; des femmes sans nom.

Abidjan bascule dans la guerre civile ? Et alors. « Quand la dictature est un fait, la révolution est un devoir » proclamait la révolution des Œillets, au Portugal, au printemps 1974. On ne peut que souhaiter à la jeunesse ivoirienne de prendre conscience que le temps est venu de cesser d’accepter l’inacceptable au nom de la défense des intérêts de ses dirigeants et d’affirmer que, dès aujourd’hui, une autre Afrique est possible. Au nom des mères, des épouses, des fiancées, des filles assassinées hier à Abobo. Des femmes sans nom ! Mais pour combien de temps encore ? « Gbagbo dégage. Trop c’ trop ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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