ActualitésDOSSIERS :: Tout en s’efforçant de s’approprier la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo entend en (...)

Qui peut penser qu’on en aura fini un jour avec lui sans jamais prendre les décisions qui s’imposent ? Et les mettre en œuvre. Il faudra bien, si on veut sortir de cette confusion politico-diplomatico-économique, lui « foutre la pelle au cul » comme on disait en France, au XVIIIème siècle, à la veille de la Révolution ; autrement dit le renvoyer violemment.

Dans un contexte d’étranglement économique qui commence à peine à faire sentir ses effets (et, sans aucun doute, ce sont bien plus les Ivoiriens que les « gbagboïstes » qui en souffrent), Laurent Gbagbo continue d’imaginer une Côte d’Ivoire entièrement à sa dévotion, nouveau Saint-Michel terrassant le dragon impérialiste ; comme si ce qu’avait imaginé sa femme, Simone, dans un bouquin sans surprises (« Paroles d’honneur ») : « Amener à l’existence une vision que Dieu à inscrite derrière tes paupières », devait se réaliser.

Mais avant d’être canonisé (je dis bien canonisé, pas « canonné »), Gbagbo entend auparavant - car sa « spiritualité » ne l’empêche pas de se soucier de ce qui se passe dans le « siècle » - nous démontrer qu’il est « légitimement » le descendant du « père de l’indépendance ». Et qu’il s’inscrit dans une continuité historique.

Il ne faut pas considérer Gbagbo plus intelligent qu’il ne l’est. Roublard, certes ; sans scrupules, O.K. ; manipulateur, c’est vrai tout autant. Pour le reste, il y près de vingt deux ans (octobre 1989) que je suis convaincu de ses limites intellectuelles et « politiques ». Je mets le mot « politique » entre guillemets car je le prends dans son acception la plus noble, qui n’a rien à voir avec le galimatias dont nous abreuve « Monsieur Simone ». Il serait tout aussi idiot de penser que Gbagbo mène son action de façon autonome. Il est conforté dans sa mégalomanie par une clique qui l’instrumentalise et de le conforte dans l’idée qu’il est l’ultime rempart contre une « Françafrique » post-coloniale. Simone avait déjà exprimé ce point de vue dans son livre : « C’est la « Françafrique » qui attaque la Côte d’Ivoire, pour faire main basse sur nos richesses. Elle bénéficie de la complicité d’enfants de la Côte d’Ivoire. Elle bénéficie également du soutien d’étrangers à la Côte d’Ivoire […] Alassane Ouattara […] n’était rien d’autre, qu’un allié, qu’un instrument de la France chiraquienne et de ces étrangers ».

Ce discours « souverainiste » - qui ne manque pas d’impact du côté de Luanda et de Pretoria - n’est pas celui des Gbagbo - Laurent et Simone - mais d’une « nébuleuse » franco-française, franco-ivoirienne, franco-libanaise qui profite largement d’une économie informelle dans laquelle tous les coups (surtout les mauvais coups) sont permis. Au cœur de cette nébuleuse, deux groupes français, Bouygues et Bolloré, dont le jeu trouble ne cesse plus d’être dénoncé par les médias (c’est une nouveauté), ce qui, manifestement, n’empêche pas de dormir Martin Bouygues et Vincent Bolloré, même s’ils prennent garde, ici et là, à « ne pas injurier l’avenir » ; après tout, ce sont aussi les amis de Nicolas Sarkozy et de Alassane Ouattara et de bien d’autres chefs d’Etat de la sous-région. Si « Paris vaut bien une messe », les concessions portuaires sur la côte ouest-africaine, les concessions de distribution de l’eau et de l’électricité, etc. valent bien quelques… concessions politiques et diplomatiques. Histoire de montrer aux autres que les multinationales savent aussi être « nationalistes » tant que les dictatures durent.

C’est une relation « gagnant-gagnant », nous dit-on. Les entreprises françaises bénéficient de l’extrême considération que leur porte Gbagbo en reconnaissant, dans des marchés de gré à gré, leur indéniable compétence tandis qu’elles « battent le tambour avec le tibia des morts » pour célébrer la gloire de l’heureux élu. Vision idyllique des choses. La réalité est bien plus triviale ; elle relève du jeu de dupe ou du « je te tiens, tu me tiens par la barbichette… ». C’est que les entreprises veulent bien faire du fric mais ne pas être totalement otages pour autant d’un régime qui est montré du doigt par la « communauté internationale ».

Or les connexions entre les groupes français et la « mafia gbagboïste » (à ce niveau-là, on ne peut plus parler de classe politique) sont étroites. Marcel Gossio, directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA) et un des plus grands voyous de la République de Côte d’Ivoire, est tout autant l’homme de Bolloré que l’homme de Gbagbo (« Vous connaissez les liens qui m’unissent à Gossio, votre directeur général. Gossio est mon ami, il est mon petit frère » a déclaré Gbagbo lors de sa rencontre avec les agents du PAA le mardi 3 octobre 2006). Résultat : quand le journaliste Pascal Airault interroge Gossio sur le lancement d’un appel d’offres lorsque la concession du groupe Bolloré arrivera à expiration en 2018 (ce n’est quand même pas demain) - concession qui a fait l’objet initialement d’un marché de gré à gré - Gossio répond dans frémir : « On peut tout simplement reconduire la concession de la SETV dont nous sommes très satisfaits. Vincent Bolloré a investi dans la modernisation des activités au-delà de nos espérances » (Jeune Afrique - 8 août 2010). On remarquera l’étonnant enthousiasme de Gossio vis-à-vis de l’opérateur français, ce qui n’est pas une démarche véritablement « commerciale », ainsi que l’identification du groupe Bolloré au seul Vincent Bolloré. C’est tout dire.

Autant d’éléments qui permettaient à Philippe Bernard d’écrire dans Le Monde (daté du 16 février 2011) : « Tout en agitant une rhétorique antifrançaise et en cultivant une image anti-impérialiste, M. Gbagbo a confié à des entreprises issues de l’ancienne puissance coloniale les clés d’une grande partie de l’économie ivoirienne. A elles seules, les 600 entreprises françaises implantées en Côte d’Ivoire assurent 40 % des recettes de l’Etat ». C’est dire que cela fait quelque peu désordre alors que les soutiens africains et internationaux de Gbagbo se trouvent dans le camp considéré comme « progressiste » : Angola et Afrique du Sud, dont les partis au pouvoir (MPLA et ANC) sont tous deux membres de l’Internationale socialiste (tout comme le FPI de Gbagbo) ; Russie et Chine, deux piliers du « stalinisme » (ou de ce qu’il en reste, c’est-à-dire le pire, des dictatures bureaucratiques fondées sur l’action des services secrets).

Autre problème : les pro-Gbagbo ont longtemps reproché à Ouattara, lorsqu’étant premier ministre il a mis en œuvre la privatisation des entreprises publiques ivoiriennes, de les avoir accordées à ses amis : Bolloré, Bouygues, etc. Difficile de le traiter de « laquais des institutions de Bretton Woods et surtout de la Françafrique » et, dans le même temps, d’être « cul et chemise » avec ceux qu’il est sensé avoir privilégié.

C’est pourquoi Gbagbo a entrepris de peaufiner son image. Et, pour cela, de s’inscrire dans une filiation : celle de Félix Houphouët-Boigny, un des fondateurs du RDA, le plus ancien parti politique africain, « père de l’indépendance », apôtre du « dialogue », etc. Un homme dont la stature africaine et internationale demeure intacte. L’occasion, dans le même temps, de ratisser du côté des « houphouëtistes » à l’instar de Laurent Dona Fologo, actuel président du Conseil économique et social (cf. LDD Côte d’Ivoire 0295/Jeudi 20 janvier 2011).

C’est donc Fologo qui préfacera l’imposant volume consacré à Félix Houphouët-Boigny. Vie et témoignages, dont Gbagbo a confié la réalisation à Liliane Lombardo. Cette franco-ivoirienne d’origine corse, installée en Côte d’Ivoire depuis une trentaine d’année, a été la coordinatrice des « nègres » de Simone Gbagbo pour son « Paroles d’honneur ». « Productrice multimédia », nommée en 2005 à la présidence de la République comme conseiller technique au cabinet de Gbagbo, Lombardo a été, par le passé, chargée de mission du RPR (devenu UMP).

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
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