Actualités :: Elections à la CENI : Le Tocsin déplore la cacophonie
Albert Ouédraogo

"La composante défense des droits humains de la société civile sort diminuée des élections du 12 août 2006." C’est la conclussion à laquelle est parvenu le Tocsin, qui déplore "les conditions calamiteuses et la cacaphonie" dans lesquelles ont eu lieu les élections.

La démocratie est un processus qui doit permettre aux citoyens de se sentir les véritables acteurs du devenir de la nation, et les responsables des choix politiques, économiques et culturels opérés par leurs dirigeants. Ceci est vrai lorsque les urnes reflètent le libre choix conscient des électeurs. Mais peut-on promouvoir et impulser la démocratie dans un pays où l’analphabétisme frappe plus de 80% de la population ?

La démocratie a-t-elle un sens dans des sociétés où la majorité de la population a pour référence les lois et les valeurs tribales centrées sur le caractère sacré et inamovible du chef ou du roi ? La démocratie peut-elle s’épanouir dans un espace inégalitaire où les riches se croient supérieurs aux pauvres, où les diplômés pensent avoir plus de droits que les analphabètes, où les hommes montrent du mépris pour la promotion des femmes, où des hommes se fondent sur leur naissance pour dévaloriser les descendants d’esclaves et les hommes de castes ?

Des écueils évités

La tradition politique et les textes fondamentaux régissant la vie publique ont permis au Burkina d’éviter les écueils du régionalisme, du tribalisme et de l’ethnicisme. Aucun parti politique n’est autorisé à se créer sur des bases sectaires. Le pays, qui compte plus de soixante groupes ethniques, a le devoir de cultiver la tolérance entre les cultures afin de permettre la co-existence pacifique et les échanges mutuellement enrichissants. Le multipartisme, qui a été source de fractures, de déchirures et de guerres civiles dans de nombreux pays africains, a, au contraire, été au Burkina une source de liberté et d’expression plurielle.

Ceci est à mettre au compte d’une tradition démocratique qui a permis aux acteurs sociaux, depuis la colonisation, d’exprimer leurs attentes ou leurs défiances aux dirigeants de l’heure. L’on en veut pour preuves la grogne syndicale qui a abouti à la chute de la première République, le mouvement populaire qui a fait échec à la tentative de capitalisation du pouvoir par les régimes militaires du Renouveau et du CMPRN, l’historique ballottage du président Sangoulé Lamizana face à son adversaire Ouédraogo Macaire en 1978, etc.

Le suffrage différent du blanc seing

Après la période révolutionnaire qui a permis de solder certaines frustrations et de renouveler la classe politique, le Burkina semble vouloir s’installer dans un confort démocratique caractérisé par la création de toutes les institutions sans pour autant leur permettre d’assumer pleinement leurs missions. En effet, aucune société ne peut se construire durablement si le désespoir s’installe, et si la désillusion est totale pour l’immense majorité de la population. Tout régime doit se souvenir en démocratie qu’il n’est que l’émanation de la volonté exprimée à travers le suffrage universel. Une volonté qui peut changer à tout instant, en fonction de l’agissement des responsables. Le suffrage des urnes ne signifie nullement un blanc seing pour les élus du jour.

Les politiques, par leurs comportements (promesses souvent non tenues, absence d’idéal, course à l’enrichissement et aux intérêts personnels, etc.), ont fini par créer au niveau de la population une certaine lassitude qui se manifeste au Burkina par un fort taux d’absentéisme lors des élections. L’on assiste ainsi à un paradoxe : ceux qui comprennent le mieux les mécanismes de la démocratie votent peu, et ceux qui ne comprennent rien, ou très peu, aux joutes électorales sont ceux qui s’alignent devant les bureaux de vote pour accomplir leur devoir citoyen. Malheureusement, ainsi va la démocratie sous nos tropiques !

"...sociétés civiles alimentaires, satelliteés, cagoules..."

Mais que dire de la société civile, grande donneuse de leçons aux politiques ? Pendant un certain temps, l’on a cru que les organisations de la société civile étaient le creuset où les idéalistes et certains déçus de la politique pouvaient s’exprimer en conformant leurs dires à leurs actes dans le sens de l’intérêt général. Mais passées les premières générations des organisations de la société civile où l’engagement personnel et l’altruisme étaient les maîtres mots, l’on se trouve à l’ère des sociétés civiles alimentaires, satellites, cagoules ou caisses de résonance qui ne font que répercuter, pour la plupart, les échos de leurs maîtres politiques ou courir après le lucre et les honneurs.

En effet, quand des organisations de la société civile, de surcroît des mouvements de défense des droits humains, usent de la pratique du bétail électoral pour se faire élire afin de siéger à la structure chargée de gérer les élections nationales, on est en droit de se poser une fois de plus des questions sur la morale au Faso. Il est prouvé par de nombreuses études que la corruption en démocratie commence par la corruption électorale. Ainsi, lorsque des dirigeants ont été élus sur des bases de corruption, ils n’ont de choix que de reproduire le modèle et d’en faire un système de gouvernance.

Quand on pense que le législateur, pour donner à la CENI un caractère consensuel, a stipulé que les représentants des partis politiques ne pouvaient être désignés comme président de l’institution, l’on est effaré de constater les conditions calamiteuses et la cacophonie dans lesquelles s’est déroulée la désignation du représentant des organisations de défense des droits humains le 12 août dernier.

Le MATD responsable

Les autorités administratives ne sont pas exemptes de tout reproche dans le cafouillage du 12 août. Comment comprendre que le MATD soit dans l’incapacité de constituer le fichier électoral alors que le ministère chargé de la Promotion des droits humains dispose d’un registre fiable sur lequel l’on a recensé 114 organisations dûment reconnues et actives dans le domaine ? Le MATD a beau être le ministère qui délivre les récépissés de création des associations, il lui faut modestement reconnaître son incapacité à les suivre sur le terrain.

Aussi nous semble-t-il logique que les différents ministères spécialisés soient les plus indiqués pour dresser la liste des organisations relevant de leurs domaines de compétence. En n’agissant pas ainsi, le MATD porte une certaine responsabilité dans les événements du samedi 12 août 2006. Non content de cette insuffisance, il a été imposé aux organisations de défense des droits humains de désigner leur unique représentant au plus tard le 14 août. Le temps imparti à une telle opération a été un motif de récrimination lors de la rencontre d’information du 9 août à la salle de conférences du ministère des Affaires étrangères. Que s’est-il passé lors des élections du 12 août ?

Certains des candidats, profitant du fait qu’il avait été autorisée l’inscription de nouvelles organisations à la liste du ministère de la Promotion des droits humains, ont littéralement montré qu’ils agissaient uniquement pour des intérêts personnels, plutôt que pour la défense véritable des droits humains. Pour s’en convaincre, le spectacle de la faune électorale du 12 août est là pour le prouver ! Le ministère des Affaires étrangères était envahi par des représentants de toutes sortes d’associations et de syndicats qui n’avaient strictement rien à voir avec le caucus défense des droits humains. Les 4/5 des associations avaient été instrumentalisés par certains candidats qui ont usé des méthodes peu orthodoxes de certains politiciens que les organisations de la société civile ne cessent justement de dénoncer à longueur de journée.

Quelle image de la société civile ?

Désormais, quelle est l’image, et surtout le crédit que la société civile, de surcroît celle qui est censée défendre les droits humains et les libertés, donne-t-elle d’elle à l’opinion publique nationale et internationale ? Face à un tel désastre, l’on est fondé à donner raison à certaines organisations de la société civile qui montrent de la méfiance, voire de la défiance, vis-à-vis des structures mises en place par l’Etat (CNDH, CENI, Haute autorité de coordination de lutte contre la corruption, etc.). Comment les condamner quand on voit le comportement affiché par les candidats à la représentation des organisations de défense des droits humains à la CENI ? Les cinq candidats ont été incapables de trouver un consensus, en dépit des efforts déployés par le CGD et la Cellule nationale de renforcement des organisations de la société civile.

Une occasion ratée

En étalant au grand jour notre incapacité à cultiver le consensus, le dialogue et la concertation, les organisations de défense des droits humains ont raté une occasion de se faire valoir. Des cinq prétendants au trône, quatre ont claqué finalement la porte, étalant ainsi au grand jour les luttes de pouvoir et non la volonté de servir et l’esprit de sacrifice. Le consensus était impossible car certains des candidats, et non des moindres, se sont frauduleusement procuré des récépissés d’associations et ont procédé à leur inscription, sur les listes électorales au siège du CGD et ou ont fait convoyer, à leurs frais, toutes sortes d’ associations-supporters des provinces.

A notre sens, il aurait été judicieux que le CGD et la Cellule nationale de renforcement des organisations de la société civile se retirassent de l’organisation d’une élection qui, par la faute des candidats, a été dévoyée, et par conséquent ne peut grandir ou honorer la démocratie burkinabè ni les acteurs chargés de l’implémenter. L’histoire nous enseigne que les vainqueurs d’élections calamiteuses sont condamnés à user de la violence pour asseoir une légitimité que les urnes n’ont pas su leur octroyer. La société civile burkinabè mérite mieux et ne saurait être représentée à travers des procédés entachés de suspicions et de manœuvres peu orthodoxes.

Si la société politique ne veut pas d’une société civile crédible, alors elle peut se satisfaire d’un tel résultat. Un représentant non consensuel est si fragilisé qu’il ne peut être la conscience de l’idéal démocratique dans un univers où les partis politiques recherchent la victoire, quels que soient les moyens utilisés. Quelles que puissent être, par ailleurs, les qualités et les compétences de l’élu, la société civile burkinabè, du moins sa composante défense des droits humains, sort diminuée des élections du 12 août 2006. Organisations de défense de droits humains du Burkina qui avez contribué à ternir l’auréole des luttes citoyennes : shame on you !

Ouagadougou, le 2 septembre

Le Tocsin

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