Actualités :: Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

La révolution d’août 1983 a été un profond bouleversement sur tous les plans. La justice a subi dans cette période des changements profonds tant dans sa forme et que dans son contenu, un changement conformément aux idéaux révolutionnaires portés par ses ténors.

Les Tribunaux populaires de la révolution, en abrégé TPR, étaient un système de tribunaux grâce auquel le peuple révolutionnaire du Burkina Faso pouvait participer et surveiller les procès des crimes économiques des régimes passés, les procès de la gestion des responsables politiques et des hauts fonctionnaires de l’État. Les TPR ont été une expérience majeure dans l’histoire politique du Burkina Faso que l’on ne peut oublier.

Contexte et naissance des TPR

Le Tribunal populaire de la révolution fut la toute première juridiction populaire créée par le CNR. Il a été créé par l’ordonnance N°83- 18/CNR/PRES du 19 octobre 1983. Selon l’article 2 de ladite ordonnance, le TPR avait pour compétence le jugement des crimes et délits politiques contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, des cas de détournements de deniers publics dont il jugeait utile de se saisir et, de façon globale, de tous les crimes et délits commis par des fonctionnaires, agents et préposés de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions.

Comme nous l’avons noté en haut, l’institution de cette forme de juridiction s’inscrit en droite ligne avec l’idéal révolutionnaire qui entendait donner aux masses populaires une justice simple, accessible et sincère. A ce propos, Benoît Lompo, président de la haute cour de justice de Ouagadougou en 1984 affirme : « Dans la conception révolutionnaire de la justice, il y a cette conviction que la perfection de l’ordre judiciaire est que la justice se trouve à la portée de chaque citoyen. Pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire l’accès à la justice, il faut associer les citoyens à la résolution des litiges dans une procédure judiciaire simplifiée ».

Il faut dire que la justice, telle qu’elle se pratiquait avant l’avènement de la révolution, n’a pas pu prendre la main dans le sac, les détourneurs des deniers publics. Les régimes passés ont sombré dans la gabegie, la corruption et le trafic des biens de l’État. Les révolutionnaires jugeaient qu’il était nécessaire de traduire les autorités qui ont conduit ces régimes devant le tribunal du peuple pour qu’elles répondent de leur gestion. C’est ainsi que plusieurs responsables des régimes passés, à commencer bien notamment par les présidents, vont passer sur le banc des accusés.

L’objectif des TPR

Si beaucoup craignaient à travers l’institution des TPR une chasse aux sorcières ou des juridictions qui vont fouler aux pieds les droits de l’homme, le président du CNR, à l’ouverture des procès des TPR, rassure avec le verbe et l’accent qui lui est habituel en ces termes : « On y verra à ne point en douter, un instrument de répression sinon d’inquisition politique. On criera certainement au bafouement des droits de l’homme. Mais qu’à cela ne tienne ! Notre justice populaire se distingue de la justice dans une société où les exploiteurs et les oppresseurs détiennent l’appareil d’État en ce qu’elle s’attachera à mettre à jour, à dévoiler publiquement tous les dessous politiques et sociaux des crimes perpétrés contre le peuple, à amener celui-ci à saisir leur portée afin d’en tirer les leçons de morale sociale et de politique pratique ».

Pour "le camarade président", cette forme de juridiction a une leçon hautement politique : la justice est au service du peuple. Il ne s’agit pas de rendre justice à un individu, mais à tout un peuple qui croupit dans la misère au fil des années. Il n’est pas question du droit d’un homme mais du droit de l’homme, de millions d’individus, précise-t-il dans son discours : « Nous jugeons un homme pour rétablir des millions d’hommes dans leurs droits. Nous sommes par conséquent de fervents défenseurs des droits de l’homme et non des droits d’un homme ».

L’autre élément important à souligner, est que les Tribunaux populaires de la révolution se sont donné une mission pédagogique à l’endroit du peuple. A travers les procès rendus publics et diffusés dans les radios, il s’agit pour les révolutionnaires d’éduquer le peuple, pour qu’il soit au courant des dessous de ses dirigeants et qu’il y tire une leçon révolutionnaire.

A croire Train Raymond Poda, le ministre de la justice sous le CNR, les TPR constituaient « une véritable école d’éducation politique ».

Lire aussi : Révolution sankariste : Les tribunaux populaires n’avaient pas pour vocation d’humilier ni de tuer, selon Train Raymond Poda

Le déroulé des procès des TPR

Comme nous venons de le souligner, les procès initiés par les TPR sont rendus à la place publique notamment à la Maison du peuple pour ce qui concerne l’essentiel des délibérations. Chacun pouvait, s’il le voulait, se rendre sur les lieux pour assister aux jugements des personnes accusées. A défaut, il était possible de suivre les procès en direct à la radio. Ces procès ont connu un engouement et un entrain incroyable de la part des populations car des dossiers emblématiques devraient enfin être traités.

Des hauts dignitaires des régimes passés sont appelés à la barre pour se défendre devant un tribunal dont le présidium comptait onze membres, dont sept titulaires comprenant cinq militants des Comités de défense de la révolution (CDR), un magistrat, un militaire ou un gendarme. Il n’y avait pas d’avocats qui assistaient les accusés. Chacun devrait se défendre seul. Les TPR ont pu juger de grandes personnalités des régimes passés comme Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo, Jean Baptiste Ouedraogo, Gérard Kango, Joseph Konombo, …

Les limites d’une justice révolutionnaire

La conception de la justice des révolutionnaires est issue de la doctrine marxiste qui considérait le droit de l’État comme un instrument de la bourgeoisie pour maintenir les masses populaires dans la précarité. Le discours du président du CNR lors de l’ouverture des assises confirme cet état de fait. En effet, le "camarade président", le capitaine Thomas Sankara, n’a pas manqué de fustiger le droit classique qu’il considère comme un droit bourgeois réactionnaire auquel il faut substituer le droit issu du peuple, le droit des millions d’hommes et non le droit d’un homme. En s’attaquant au droit classique basé sur des ressorts rationnels et complexes, le président instaurerait par là un autre droit très séduisant par son but mais inefficace dans sa forme et dans son organisation.

Car l’organisation de ce droit était de nature politique et empêchait un jugement équilibré et rationnel. Les CDR qui occupaient une place importante dans le tribunal délibératif pouvaient se laisser aller à leurs impressions et à leurs jugements subjectifs. Même si beaucoup de procès ont pu être rendus de manière objective -le cas de l’ancien président Sangoulé Lamizana qui a été acquitté-, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu des abus. Compte tenu de son organisation, les TPR pouvaient être utilisés pour traquer les dissidents du régime et faire taire les voix discordantes.

Lire aussi : Général Sangoulé Lamizana : Qui était-il ?

Le président du CNR, dans une autocritique, semble avoir admis que les Tribunaux populaires de la révolution et les CDR étaient souvent utilisés pour régler des comptes privés, plutôt que de rendre une justice révolutionnaire.

Lire aussi : De la justesse de la révolution de Thomas Sankara

Quoi que l’on dise, à travers ces tribunaux d’exceptions mis en place par le régime du CNR, on a pu mesurer les enjeux qui sous-tendent le droit, et cela constitue une leçon politique majeure pour le Faso.

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net
Sources :
- Sidwaya 1983.
- Marcel Marie Anselme Lalsaga (Université de Ouagadougou-Maîtrise 2007)
Crédit photo : archives du Burkina

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