:: Les plaisanteries funéraires en milieu moaaga au Burkina Faso : analyse (…)

Résumé

Cette étude a permis de recenser et d’analyser les formes de plaisanteries qui s’opèrent lors des funérailles traditionnelles. Elle s’est bâtie sur les hypothèses qui supposent que lors des funérailles, les plaisanteries prennent plusieurs formes, occupent une place importante dans la détente de l’atmosphère et remplissent multiples fonctions. Cette étude répertorie trois types de plaisanteries. Nous avons des plaisanteries qui consistent à la rétention de cadavres, à des exigences de paiement de taxes de laisser-passer de cortèges funéraires, à des discours et chansons provocateurs ainsi qu’à des empoignades physiques.

Au titre des acteurs, nous avons des plaisanteries développées par les bi-paagba(les belles-filles), les yagense( petits-fils) et la foule, et ce, par le truchement des danses, d’animations musicales et des gestes sacrificiels comiques, des réclamations d’argent, de viandes, de bières de mil ( dolo) et de nourriture. Enfin, nous avons les plaisanteries jouées par des personnages spécifiques tels la Kט-togsa (annonceuse de funérailles) et son clown, le masque des Yarsés, et celles entre les Peulhs, les Yarsés et les masques, etc. Ces plaisanteries remplissent des fonctions distractive, sociale, symbolique, psychothérapeutique, culturelle et enfin éducative indéniables par le biais des leçons de solidarité et de compassion apprises.
Mots clefs : formes, fonctions, plaisanteries funéraires, Moose.

Introduction

A l’instar des autres communautés africaines et burkinabè, les Moose ont toujours utilisé des subterfuges pour dédramatiser des situations difficiles comme celle de deuil. Pour concilier la survenue d’une situation dramatique et celle de sa banalisation ou même l’importance de maintenir le rire malgré les larmes, les Moose utilisent diverses formes de plaisanteries dont l’analyse peut être intéressante au plan culturel et sociologique. Par conséquent, la problématique du thème pourrait bien se résumer à travers cette question principale : quel est la place et le rôle des plaisanteries lors des funérailles traditionnelles chez les Moose ? Cela nous amène aux interrogations secondaires ci-après : quelles sont les formes des plaisanteries que l’on peut observer pendant le deuil en pays moaaga ?

Quels sont les objectifs visés par ces pratiques ? Quelles sont les fonctions socioculturelles que l’on peut retenir de la plaisanterie au cours des funérailles ? La réponse à ces interrogations nous conduit à des hypothèses dont la principale stipule que les plaisanteries en période de deuil en pays moaaga occupent une place importante dans cette société. Quant aux hypothèses secondaires, elles font remarquer que lors des funérailles en milieu moaaga, les plaisanteries prennent plusieurs formes, occupent une place importante dans la détente de l’atmosphère et remplissent de multiples fonctions qui ennoblissent leur rôle socioculturel de choix.

Pour répondre à cette problématique, l’article s’est bâti autour des grands axes suivants : circonstances de pleurs et occasions de rires : les formes de plaisanteries en situation de funérailles (1), la place et le rôle de choix accordés à la plaisanterie en situation de deuil(2) et fonctions des plaisanteries (3).
Méthodologie de collectées des données

Dans cette recherche déjà publiée sous forme d’un article scientifique de fond (P. Kouraogo, 2024), nous avons privilégié l’approche qualitative et l’usage de la théorie fonctionnaliste comme outils de collecte et de modèle d’analyse de ces matériaux que sont les plaisanteries funéraires. Notre zone d’étude concerne la province du Namentenga, surtout dans certains villages environnants de la ville de Boulsa (chef-lieu de Province). En particulier, beaucoup d’exemples sont également tirés des réalités nationales. Les pratiques funéraires observées et examinées l’ont été à travers les outils que sont les observations participantes, les entretiens, les récits de vie, et ce, majoritairement dans le village de Zambanga (7 kms de Boulsa) de cette zone d’étude. Pour la collecte des données, nous avons observé cinq(5) pratiques funéraires (enterrement, funérailles sèches, funérailles définitives). Comme public cible, nous avons interrogé 42 personnes dont des acteurs directs de ces plaisanteries, des proches des défunts et des personnes-ressource du milieu étudié entre le 25 mars 2022 et le 25 mars 2024.

Résultats de la recherche

Cette partie expose les résultats des enquêtes sur les formes de plaisanteries en situation de funérailles(1), sur la place et rôle de choix accordés à la plaisanterie en situation de deuil et sur la Discussions des résultats de l’étude

1-Circonstances des pleurs et occasions des rires : les formes de plaisanteries en situation de funérailles
Dans le milieu moaaga, seules les disparitions (à partir de 50 ans) donnent lieu à des funérailles-réjouissance, occasions lors desquelles, les plaisanteries sont autorisées partant du principe que ceux qui sont morts sont repartis d’où ils étaient venus et surtout en considérant qu’ils ont bien vécu. Sous le vocable « funérailles », nous mettons les actes funéraires qui partent de l’annonce du décès jusqu’aux grandes ou définitives funérailles. C’est ainsi que l’enterrement, les « funérailles du troisième jour » (pour l’homme) ou du « quatrième jour » (pour la femme) (nangbing sagbo), les « funérailles fraîches » (Kט-toagsa ), funérailles tenues quelques semaines après le décès) et les grandes ou définitives funérailles (Kט-sat m) sont concernés.
Il ressort trois principales plaisanteries qui s’observent lors de ces funérailles.

1-1-plaisenteries intergroupes déjà en situation de « parenté à plaisanterie » : parents à vie, parents à mort
D’abord, au niveau des plaisanteries funéraires intergroupes en situation de parenté à plaisanterie, nous avons, pendant l’enterrement, la rétention du cadavre et les exigences de paie de taxes. Lorsqu’un membre d’un groupe ou d’une communauté donnée meurt, au cours de l’enterrement, des scènes de lutte s’engagent entre la communauté éplorée et celle qui est alliée à plaisanterie. C’est ainsi que le cortège funéraire peut être stoppé et empêché d’avancer par les parents à plaisanterie. Pour surmonter l’obstacle, la communauté en perte de membre doit payer le passage du cadavre.

C’est ainsi qu’une cotisation volontaire va être instituée et l’argent récolté sera utilisé comme les frais de taxe de passage. Cette donne n’est pas uniquement chez les Moose. Dans plusieurs communautés culturelles burkinabè, ce jeu est permanent. C’est le cas du blocus qui a été dressé le 31 janvier 2024 à l’entrée de la ville de Bobo par les peulhs au passage du cortège funéraire de Bognésa Arsène Ye, ancien ministre, ancien président de l’Assemblé Nationale. Autre cas, lors de la messe des obsèques de Madame Véronique Nana le 24 mars 2024 à la cathédrale de l’immaculée conception de Ouagadougou, l’Abbé Ki, un Samo (parents à plaisanterie des Moose), s’est saisi du cercueil devant l’autel et a exigé que les Moose paient. Il a exigé une quête spéciale comme frais de franchissement. Ce qui fut fait.
Souvent, les parents à plaisanterie sont prêt à « voler » le corps du défunt afin d’être payés lors des veillées funèbres ou des adieux. Cela fut le cas lors des funérailles du cardinal Zoungrana (de l’ethnie mossi) à Ouagadougou en juin 2000 où il a fallu monter la garde autour du défunt pour éviter que les Samo enlèvent la dépouille.

Une autre forme de rétention est l’accaparement de la tombe. Elle se fait quand le cadavre doit être mis au tombeau. Les parents à plaisanterie envahissent la tombe où le cercueil doit être placé et exigent des taxes.
De nos observations et questionnements, nous nous rendons compte que cette première forme de plaisanterie ne concerne pas uniquement les Moose. Elle existe dans d’autres ethnies burkinabè. Aussi, l’argent qu’on réclame au passage des cortèges ou dans la tombe n’est pas un montant exigé et ne servira pas pour un usage personnel ou commercial. Par exemple, la somme que le prêtre a fait cotiser à l’église est allée dans un orphelinat.

Le deuxième volet des plaisanteries funéraires intergroupes en situation de parenté à plaisanterie concerne aussi les discours et chansons provocateurs. De l’annonce du décès jusqu’aux différentes funérailles, les parents à plaisanterie du (de la) disparu(e) s’illustrent dans des propos et chansons socialement discourtois tendant à exprimer une certaine joie suite au départ pour l’au-delà. Les propos du genre : « il/elle a fui avec mon argent », « il/elle ne vaut rien car comment peut-il se laisser avoir par la mort », « enfin, nous avons la joie de voir que le nombre des membres de la famille décroit », « on pourra tranquillement manger ou boire ( le plat ou la boisson préféré ( e) du/de la défunt(e) sans être épié par un/un tel(le) ( nom du/de la disparu (e) » sont lancés pour provoquer, pour plaisanter suivant les principes et les règles de la parenté à plaisanterie. Un cas pratique de discours discourtois que nous avons assisté et écouté fut celui du Dr Paré Emile, à l’occasion de l’enterrement du papa de Roch Marc Christian Kaboré, ancien chef d’Etat du Burkina Faso. Au nom des Samo, parents à plaisanterie des Moose, il explique que Roch Kaboré a l’art de sacrifier ses proches pour accéder au pouvoir. Il aurait tué sa maman en 2014 pour avoir son premier mandat en 2015 et il rebelote en 2019 avec la mort de son papa pour avoir le 2ème mandat en 2020.
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Outre les propos, les parents à plaisanterie peuvent également entonner des chansons comiques et provocatrices soit qui reprennent les mêmes sarcasmes soit évoquent certains pans de la vie de l’intéressé. Les chansons sont souvent suivies de danses et de réclamations d’argent et ont pour vocation de jouer la joie alors que c’est la tristesse qui domine l’atmosphère.

Enfin, nous évoquons les luttes physiques. Aussi bien pendant les blocages des cortèges funèbres, l’envahissement des tombes que pendant le rite de rag-giligri (tour du marché), des véritables empoignades peuvent avoir lieu entre les communautés et les groupes de parents à plaisanterie.

1-2- Plaisanteries funéraires circonstancielles intergroupes : funérailles, chantre de foires et de réjouissances des couches sociales spécifiques

Nous avons observé d’autres formes de plaisanteries circonstancielles intergroupes. Ici, il s’agit de groupes qui vont plaisanter uniquement pendant les funérailles. En temps normal, ils ne développent pas ces types de jeu. Nous retenons trois genres. Les principaux acteurs sont les bi-paagba(les belles-filles), les yagense (petits-fils) et la foule de funérailles.

Les bi-pagba (belles-filles) jouent un rôle important dans les funérailles. Elles vont participer aux différentes danses des troupes musicales d’animation soit en dansant comiquement et soit par des accoutrements atypiques et hilarants. Elles y possèderont par des gestes et mouvements mimiques. Par exemple, elles vont utiliser les tiges de mil pour s’attribuer des tailles supplémentaires pour atteindre celles des masques (confère photo1) et se muniront des ceinturions à base de pagnes usés et noués autour des hanches pour imiter ceux des danseurs de warba

Photo1 : belles-filles imitant les masques

Photo2 : elles imitant masques et tambourinaires

Source : Dr KOURAOGO

Aussi, en guise des bidons et des boites usés (photo2), elles feront des tambours qu’elles joueront fort en compagnie de vrais tambourinaires.

Deuxièmement, lors des rites sacrificiels des volailles et bétail, elles se présenteront avec des objets (bois ou fers, etc…) auxquels elles attacheront des cordes pour simuler des animaux et poulets à immoler pour le mort. De même, lorsque les autres membres vont participer à la quête en mettant quelques pièces ou billet dans les paniers lors des veillées funéraires, elles vont y mettre des papiers ou des feuilles d’arbre ou encore des cailloux.

Quant aux yagense ou petits-fils/petites filles, on peut les considérer comme l’ensemble des enfants des bi-pagba du coté mère et ceux des enfants (hommes et femmes) du/ de la disparu (e) de toute la famille élargie. Les petits-fils lors des funérailles s’érigent en demandeurs d’argent auprès de leurs oncles et tantes (pugdba). Pour eux, ces manifestations sont des occasions de fête et ils taquinent tout le monde pour obtenir des petits sous. Ainsi, ils vont poursuivre les ku-bissi(les enfants du défunt, devenus orphelins et assimilés) pour réclamer l’argent, nommé yagen-ligdi (argent du petit fils). Très souvent, des joutes verbales s’engagent pour convaincre de donner l’argent. Ils peuvent même fouiller et tenter de vider les poches de leurs oncles, réclamer des parts de viandes, de bières (dolo) et de nourriture. Enfin, il y a la séance de rag-saasgo qui peut conduire à l’amusement. Il s’agit d’une opération de « pillage » ou de « prélèvement obligatoire au marché » qui consiste à passer prélever chez tous les vendeurs, les marchandises (surtout friandises) de façon symbolique.

1-3-Les plaisanteries jouées par des individus spécifiques

D’abord, nous avons le personnage de Kט-togsa(annonceuse de funérailles) ou la mascotte des funérailles, qui est une belle-fille désignée pour incarner le personnage de plaisanterie puisqu’elle porte les habits, tient les objets inséparables du défunt (canne, pioche, sabre, pipe, etc.) et elle imite les mimiques et gestes favoris, les dadas du disparu. Dans les lieux publics(marchés, rencontres, fêtes), elle doit continuer de faire vivre le personnage du disparu qu’elle incarne en buvant, en mangeant et en vivant comme l’aurait fait ce dernier s’il était toujours vivat. Vu qu’elle porte les anciens habits du disparu, une ressemblance troublante entre elle et le défunt est constatée à première vue.

Cela crée de l’étonnement mais aussi de l’amusement pour beaucoup de membres de la communauté. Aussi, à l’occasion des funérailles définitives, grâce à la parenté à plaisanterie, la Kט-togsa a son clown. S’il y a une communauté qui joue la parenté à plaisanterie avec celle du défunt, une de ses femmes peut se déguiser comme le Kט-togsa et venir la provoquer. Tout ce que l’une fait, l’autre le fera et elles vont se taquiner en imitant les gestes, la voix et tiques du défunt. C’est cette scène que nous observons sur la photo ci-dessous. Une Kט-togsa moaaga est imitée par une femme du sous-groupe Yarsé, parenté à plaisanterie oblige.

Photo3 : La mascotte funéraire (à droite) et sa parenté à plaisanterie (à gauche)
Source : Dr KOURAOGO

Ensuite, nous avons le masque des yarsés qui imite celui des Moose. Rappelons qu’il y a une parenté à plaisanterie entre les yarsés et les Moose même s’ils appartiennent tous au même grand groupe « moose ». A l’occasion des cérémonies de l’enterrement d’un moaaga du village de Zambanga dans la commune de Boulsa, nous avons noté la présence remarquée d’un masque extraordinaire et il est de la fabrication des yarsés, certainement pour provoquer les vrais masques.

Photo4 : Masque de Yarsés

Photo5 : Masque Moaaga

Source : Dr KOURAOGO

A la vue de ces images, on voit la provocation des Yarsés. Le masque rafistolé est un véritable bouffon. Il est confectionné à base de vieux habits, porte de chausseurs et a certaines parties du corps dehors. Or, le vrai masque est appelé fantôme car aucun signe de l’humain ne doit se laisser transparaitre. Autrement, les Yarsés par cet acte veulent démystifier le masque pour signifier que c’est un être humain qui s’y cache pour se donner certains droits et considérations.

 les peulh et les yarsés, les bêtes noires des masques :

Les masques, pourchassent les Yarsés lors de leurs différentes sorties (évènements festifs ou funérailles). Aussi, la communauté peule n’est pas épargnée par cette phobie des masques. Dans ce milieu, on dit que le masque ne peut pas rester sous la même ombre que le Yarga ou le Peul. Plusieurs anecdotes servent à décrire ces « détestations » par la découverte de certains secrets des masques par ces individus. A titre d’exemples, le vieux Wumnoogo, Yarga, explique qu’un jour, un Yarga en promenade en brousse a vu un masque assis sous un arbre. Ce dernier était pris de piège par une épine.

Il l’aida à extirper le danger. Une fois arrivé au lieu des festivités dans le village, craignant que le Yarga ne dévoile le secret de sa vulnérabilité et de démystifier ses supposés pouvoirs de fantôme le masque afficha une hostilité incroyable vis-à-vis du Yarga.
Concernant le rapport tendu entre le masque et le peulh aussi, il semble être du même ordre. Il se raconte, selon Dianda (peulh) qu’une poulotte avait déposé sa calebasse de lait aux abords d’un marigot pour se rincer les pieds. Affamé, le masque ayant trouvé ce délicieux repas ne s’est pas fait prier. Il prit la calebasse et envoya à son ventre plusieurs bouchées salvatrices. Mais avant de le faire, il a fallu enlever son masque et laisser la tête pour dégager la bouche. Il fut surpris par la poulotte qui a découvert le secret que le masque n’était qu’une personne et non un fantôme. A parti de ce jour, le masque pourchasse aussi bien la poulotte que son mari peul lors des cérémonies.

 Prise au pied et promesse de femme : Au cimetière, en vue de trouver une couche de terre argileuse pour le rituel de polissage de la tombe, une séance de creusage de sol rassemble une foule. Sous le rythme des tambours, un yagenga (petit-fils) se lance dans le creusage. Il s’arrête subitement, prétexte la fatigue mais empoigne soudain le pied d’une des femmes ménopausées. On court avertir les hommes de la famille du défunt qui s’invitent dans la foule. Seule une promesse de donner une fille (qui naîtra de la ménopausée) en mariage au kidnappeur permettra de libérer la victime. Nous voyons clairement que c’est de la plaisanterie dans la mesure où d’ailleurs, un petit-fils n’épouse pas cette catégorie de fille réclamée et cette fille ne viendra jamais au monde car sa maman ne pourra plus enfanter.

2-Place et rôle de choix accordés à la plaisanterie en situation de deuil

Nous avons perçu deux canaux par lesquels la plaisanterie se joue en période de deuil. Il s’agit de la parenté à plaisanterie et la plaisanterie circonstancielle. Il convient de rappeler l’importance de la plaisanterie dans le quotidien des Moose.

2-2 De la distraction à la psychothérapie : les riches et diverses fonctions des plaisanteries funèbres
Nous nous sommes poser la question : pourquoi cette omniprésence quasi-mécanique des formes de plaisanterie durant les funérailles ? La réponse à cette question se trouve dans l’analyse du rôle des celles-ci. Ici, on pourrait bien confondre le rôle et les fonctions de cette forme atypique de communication en période douloureuse.

D’abord, nous avons la fonction distractive de ces plaisanteries. Il ressort qu’elles ont tous pour mission de provoquer le rire en lieu et place des pleurs. Toutes les formes décrites poussent à se distraire durant des périodes d’angoisses où les esprits peuvent être submergés par la tristesse en raison des vides et des souvenirs laissés par les disparus. En mettant en scène des acteurs qui jouent à la comédie, la communauté fait côtoyer des sentiments ambivalents du duel pleurer-rire ou du rire-pleurer. Voici le ressenti de l’enquêté Tinga : « ceux qui voulaient dramatiser la disparition d’un proche sont vite ramenés à laisser l’atmosphère se détendre au vu de la diversité des formes de plaisanterie développées ».

Ensuite, une fonction symbolique de la victoire de la vie sur la mort. Banaliser l’avènement de la mort en faisant régner en permanence le rire. La joie devient une façon de défier la mort et de lui dire que personnes n’a peur d’elle. Louis-Vincent (1982, p239-240), illustre bien cet état des faits en ces termes :

« Il faut amuser le mort et le flatter en lui donnant le spectacle de ses attitudes familières, se moquer des attributs de la vie sociale. N’est ce pas une manière de dénoncer la futilité de l’existence terrestre individuelle et même de l’inanité de la mort ? L’être humain n’est il pas invité à perdurer par delà l’événement de la mort ? La mort d’un individu ne clôt pas la vie ; elle devient, non pas une perte, mais un « gain de vie » et de paix sociale ».

En outre, nous notons la fonction psychothérapeutique. Comme le dit l’enquêté Paul-marie : « La mort est un phénomène traumatisant en raison du fait que nul ne peut savoir ce qui adviendra après que vous ayez rendu l’âme. Pour atténuer les effets contrariés, des bonnes doses de plaisanteries sont les bienvenues ». Cela est un témoigne de ce que ces plaisanteries requinquent les esprits des proches et même de tous les membres de la communauté. « L’humour et la raillerie font partie du jeu afin de décrisper l’assistance. Il faut banaliser le mort, minimiser la perte que représente la mort d’un individu dans le groupe, d’où les injures et les moqueries des parents à plaisanterie », Louis-Vincent (1982, p.247).

En plus, elles ont une fonction sociale. En effet, le développement des formes de ces plaisanteries nécessitent la mobilisation sociale des acteurs divers. Durant les évènements funéraires, toute la communauté se met en ordre de solidarité pour que chaque membre joue sa partition dans le sens d’exprimer la solidarité, la compassion et la cohésion. Comme le fait observer Sibiri, fils d’un défunt :

Lorsqu’on voit la mobilisation générale dont tout le monde fait preuve non pas pour exécuter toutes les tâches nécessaires mais pour jouer aussi à la plaisanterie, en tant que premiers concernés (en tant que fils et frères) du disparu, nous ne sommes plus en légitimé de se sentir seuls. Nous voyons que notre douleur est portée par tous et le disparu semble faire l’unanimité.

Aussi, la fonction culturelle est également perceptible dans ces plaisanteries. Elles contiennent des éléments importants de la culture de la communauté. Par exemple, la sortie des masques témoigne que la communauté a, en son sein, des sociétés de masques et leur sortie constitue une exhumation de tous les rituels et fonctions du masque. Aussi, les rôles culturels des petits-fils, des belles-filles et ceux des communautés de parents à plaisanterie sont mis en exergue dans ces jeux. Ces plaisanteries constituent une foison des expressions du patrimoine culturel immatériel, défini par la convention (Unesco, 2003) comme l’ensemble :
des pratiques, des représentations, expressions, connaissances et savoir-faire ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel… .

Nos objets d’étude sont effectivement des pratiques communautaires ayant des significations pour l’ensemble des membres. Ils expriment des sens, contiennent des savoirs et savoir-faire et surtout utilisent un ensemble d’outils et gestes culturels connus et acceptés de tous comme traduisant au mieux leur appartenance à cette communauté culturelle. Le patrimoine culturel immatériel se manifeste dans les domaines des traditions, des expressions orales, des arts du spectacle, des pratiques sociales, rituels et événements festifs, des connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers, les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. Par analogie, ces plaisanteries incarnant des traditions, des us et coutumes centenaires, sont usitées comme des moyens d’expression de la dynamique d’une communauté humaine et contiennent dans leurs formes des dimensions artistiques (danses et chansons), rituelles (luttes, empoignades) et évènementielles festives (réjouissances générales), etc.

Enfin, les différentes formes de plaisanteries étudiées contiennent chacune, une fonction éducative indéniable. S’il faut entendre par éducatif, toute situation ou phénomène qui dans son expression laisse percevoir des leçons et des expériences personnelles ou des autres à retenir pour les autres cas futurs, nous concluons que ces plaisanteries servent de leçons de morale, de vie et d’apprentissage. Elles illustrent que tout humain est mortel et qu’il est inutile de se morfondre lorsque la mort surgit. Elles enseignent à chaque membre de la communauté de toujours être solidaire avec les autres pour bénéficier du retour de cet élan de compassion. Elles indiquent que les membres se valent, pauvres ou riches, devant la mort et bénéficieront tous des égards et considérations de la communauté si chacun se comporte conformément aux prescriptions sociales établies et édictées dans l’éducation. Malgré ces riches fonctions, quelques bémols peuvent être relevés.

3 - Discussions des résultats de l’étude

Dans la représentation sociale des Moose, la tenue des funérailles sans ces plages amusantes peut être vécue comme un psychodrame social au sens où elles seraient traitées de non réussies car peu réjouissantes. Néanmoins, il nous revient de retenir quelques menaces sur cet important phénomène.
 D’abord, il faut noter qu’avec les religions révélées et la modernité, non seulement les funérailles traditionnelles sont en voie de disparition mais encore plus les plaisanteries funéraires. Les religions chrétiennes et musulmanes constituent des tombeaux de ces pratiques considérées comme ancestrales et dépassées. C’est vrai qu’elles-mêmes usent souvent de ces jeux de plaisanteries mais ce ne sont pas toutes les formes qui sont pratiquées.

 Ensuite, selon nos observations, il n’y a pratiquement pas dans ces jeux des innovations tendant à les rendre plus attractifs. Presque tous les membres de la communauté connaissent les formats qu’on répète dans chaque célébration des funérailles. Cela crée de la monotonie dans la pratique et la valeur ajoutée est faible.
 En plus, nous avons observé que il n’y a pas de pédagogie qui accompagne le déroulement de ces pratiques de plaisanterie, ce qui ne permet pas aux participants de comprendre les sens et les symboliques des actes afin d’assurer la perpétuation.

 Enfin, nous suggérons qu’il ait davantage des actions tendant à promouvoir ce pan de la parenté à plaisanterie ou des funérailles. Nous assistons actuellement à des manifestations tous azimuts de valorisation de la parenté à plaisanterie au Burkina Faso. Malheureusement, ce volet de la plaisanterie en contexte de deuil ne bénéficie pas de cette promotion. Pourtant, il peut bien atteindre les mêmes objectifs à savoir détendre l’atmosphère en banalisant le phénomène de la mort et surtout cultiver la cohésion sociale.

Conclusion

En somme, partie d’hypothèses que lors des funérailles en milieu moaaga, les plaisanteries prennent plusieurs formes, occupent une place importante dans la détente de l’atmosphère, remplissent multiples fonctions qui ennoblissent leur rôle socioculturel de choix, cette recherche a atteint des résultats probants.
D’une part, nous avons des plaisanteries intergroupes déjà en situation de « parenté à plaisanterie » telles la rétention du cadavre et les exigences de paie de taxes, les discours et chansons provocateurs et des empoignades physiques. D’autre part, nous avons des plaisanteries intergroupes circonstancielles qui regroupent les plaisanteries développées par les bi-paagba (les belles-filles), les yagense (petits-fils), la foule de funérailles et les plaisanteries jouées par des individus spécifiques que sont le personnage de Kט-togsa (annonceuse de funérailles) et son clown, le masque des Yarsés, les poursuites des Peulh et des Yarsés par les masques et la prise au pied d’une femme .

Ainsi, les fonctions distractive, sociale, culturelle et éducative de ces jeux sont indéniables. Il convient d’insister sur la richesse de ces pratiques socioculturelles même si on note un relâchement ou une disparition possible avec les religions révélées, la modernité, le manquement et l’absence de pédagogie permettant la compréhension des sens et les symboliques par les participants.

Dr Patrice KOURAOGO, Maître de recherche en Sociologie de la culture à l’Institut des Sciences de Sociétés au Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (CNRST). Kouraogopat@gmail.com, kou_patrice3yahoo.fr, tel : 70964891

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