Actualités :: Zoundwéogo : chasse à des présumés sorciers à Nobili

La famille Bilgo est interdite de séjour dans le village de Nobili (département de Nobéré) dans la province du Zoundwéogo. Un de ses membres a été accusé de sorcellerie avec mort d’homme et toute la famille paie...

Outre la destruction de leurs biens meubles et immeubles, la famille Bilgo a été obligée de se disperser le 13 mars dernier. Le chef de Nobili souhaite qu’elle reste même où elle est présentement afin de préserver le climat social dans son village. Ce que certains membres de la famille n’admettent pas car estiment-ils, cette accusation de sorcellerie n’est qu’un montage. La justice qui a été saisie instruit le dossier... L’administration prône la retenue.

Enquête de notre équipe à Nobili, Nobéré, Manga et Ouagadougou sur une affaire qui échappe encore aux lois de la République.

Tout a commencé par la maladie puis le décès d’un jeune du village de Nobili : Issaka. Réputé bon joueur de football, Issaka était la "coqueluche" de l’équipe du village de Nobili tant et si bien que sa mort à 26 ans a provoqué un véritable choc dans les milieux jeunes de cette localité située à 22 km de Nobéré, le chef-lieu du département, sur l’axe Ouaga-Pô.

Et comme toute mort surtout d’un jeune à qui la vie souriait n’est presque jamais "gratuite" sous nos tropiques, on a entrepris de rechercher et de châtier les coupables qui ne pouvaient être que des sorciers. Là intervint le Dapoya Naaba, un des ministres du Nobili Naaba. Il affirme d’abord avoir eu un rêve qui signifiait que Issaka avait a été victime de sorciers. Il affirme ensuite que le défunt lui aurait fait la révélation avant sa mort. Il dit enfin avoir consulté des devins pour contrer les sorciers mais il était tard. Il considère même Rasmané Bilgo, ami et commerçant de poulets comme le regretté, principal auteur de sa mort. Pour lui, Sambo, demi-frère de Issaka (le disparu) serait le complice de Rasmané. Il en parle à des proches puis s’ouvre au chef de Nobili. Ce dernier après réflexion convoque les protagonistes en réunion à son domicile le dimanche 13 mars 2005.

"Lorsque les protagonistes sont arrivés, j’ai donné la parole à tout un chacun. Le Dapoya Naaba a formulé son accusation affirmant que le défunt lui a dit que Rasmané et Sambo l’avaient tué. Quelques temps après, il mourrait. Les accusés ont nié. Rasmané a juré même sur la tête de son défunt père. J’ai répliqué que cela ne signifiait pas grand chose car le sorcier avoue rarement son crime sauf si on le contraint avec une potion. Rasmané a alors uriné. C’était un aveu indiscutable. les jeunes qui aimaient beaucoup le disparu ont alors souhaité que les coupables soient interdits d’accès au forage, au marché, au pâturage..." rapporte le Nobili Naaba. Il dit avoir renvoyé les parties, même si Rasmané est resté cloué sur son fauteuil. "Je suis rentré après le départ des gens dans ma cour et quand je suis ressorti, il n’était plus là". Toujours est-il qu’après la réunion, des actes de vandalisme seront perpétrés sur les domiciles de Rasmané et de Sambo.

La maison de Rasmané sera saccagée puis incendiée de même que ses greniers, ses engins (4 vélos et une moto Yamaha nouvellement achetée). Juste après, la concession de Sambo est saccagée. Lui aussi n’était pas retourné chez lui après la réunion.

Selon le chef de Nobili, ces actes ont été posés par les jeunes de son village qui étaient alors en colère. D’après lui, ils auraient agi à son insu. "Je les ai vus passer en bande. Je ne savais pas qu’ils partaient détruire des concessions. Sinon je les aurais dissuadés. A un moment donné, j’ai cru qu’ils recherchaient les sorciers. Je les ai appelés pour leur dire de laisser tomber avant qu’il n’y ait mort d’homme. C’est par la police que j’apprendrai plus tard qu’il y a eu destruction de biens" ajoute le Nobili Naaba.

Certaines sources indexent le Dapoya Naaba qui auraient donné les ordres, juste au sortir de la rencontre. Le principal accusé Rasmané Bilgo confirme : "lorsque la sentence nous a été communiquée, on nous a dit de partir. J’ai quitté immédiatement les lieux et je suis allé à la recherche de mes frères pour les en informer. J’ai su par la suite que le Dapoya Naaba avait donné l’ordre de nous rattraper pour nous tuer et surtout détruire nos biens et nos maisons. Je suis encore vivant parce que je ne suis pas retourné chez moi après la réunion. Ma vieille qui s’y trouvait a failli être égorgée. Elle a eu la vie sauve parce que les uns et les autres tergiversaient...".

Le frère qu’il cherchait Etienne Bilgo était en fait venu de Ouagadougou pour présenter ses condoléances à la famille du disparu.

Il a vu les assaillants détruire le domicile de son frère et saccager la concession paternelle. "Quand ils sont arrivés, c’était dans l’intention de tuer. Rasmané n’étant pas là, ils ont alors exercé une violence inouïe dans la destruction des biens et de la concession. J’ai tout observé depuis ma mobylette à quelques pas de la concession. J’ai failli être pris à partie à mon tour mais un enfant m’a prévenu à temps. Je suis parti pour Passamtenga où la police m’a conseillé de continuer à Manga ou Nobéré car Nobili n’était pas dans leur juridiction ; j’ai préféré aller à Manga saisir la gendarmerie qui a saisi à son tour la police", témoigne Etienne Bilgo qui se dit convaincu de l’innocence de son frère.

Un montage ?

"C’est un montage car Rasmané dérangeait. Il était aisé et ne cautionnait pas certaines décisions du chef et du Dapoya Naaba. Je suis convaincu qu’il ne s’agit pas d’une affaire de sorcellerie. Nous mêmes, nous ne voulons pas de sorcier dans notre famille" soutient Etienne Bilgo.

Il ne comprend d’ailleurs pas pourquoi on a détruit les biens et tenté de tuer son frère car en général, le sorcier est expulsé et on a enlevé le toit de sa case pour éviter qu’il revienne. Dans le cas présent, on a même saccagé la cour paternelle. "Où allons-nous dormir quand nous reviendrons au village’’, s’interroge-t-il.

Son frère Ablassé Bilgo chercheur au CNRST est du même avis : "Rasmané est innocent. Le malade a succombé parce qu’on a probablement traîné avant de l’amener au CSPS. On m’a dit qu’il avait un côté du ventre qui était dur. C’est sans doute un problème de foie. Je soupçonne même un problème d’hépatite car en biologie, cette pathologie se développe ainsi et la mort survient environ 4 semaines après quand le malade n’est pas convenablement traité’’.

L’infirmier du village a confié au préfet de Nobéré que le malade était mort probablement de pneumonie.

Ce que contestent les villageois arguant que ce sont les sorciers, en l’occurrence Rasmané et Sambo qui l’ont tué.

"Sur son lit, il pleurait et demandait qu’on lui donne de l’eau avant qu’il ne meurt", avance le chef de Nobili.

"Faux’’ rétorque Rasmané Bilgo qui dit être resté de bout en bout avec son ami au CSPS jusqu’à sa mort et mis ses moyens financiers à contribution pour que le malade recouvre la santé. "Croyez-vous que j’aurai agi ainsi si j’étais la cause de sa maladie. J’aurai économisé mes moyens et surtout mon énergie car j’aurais su par avance l’issue... Mieux, quand il est mort, je me suis occupé du transfert de son corps à la maison où j’y suis resté jusqu’à son enterrement. C’est par jalousie qu’on m’accuse’’. Il affirme avoir en outre un litige avec le Dapoya Naaba. Un de ces bœufs a brouté quelques pieds de mil dans le champ du Dapoya Naaba qui avait mal pris la chose et menacé de le faire partir du village et d’abattre ses animaux.

Des affaires qui en cachent d’autres ?

Il y aurait également un contentieux entre lui et le Nobili Naaba. "Le chef a fait des avances à la femme de mon frère. L’affaire avait fait grand bruit mais on a pardonné’’, indique Etienne Bilgo. Pour le Dapoya Naaba, il ne lui a pas tenu rigueur. "Je n’avais aucun problème avec Rasmané. Mon seul problème, c’est qu’il a mangé l’âme de mon petit-fils Issaka. Et ça, je ne peux lui pardonner", souligne le Dapoya Naaba.

Le Nobili Naaba insiste aussi qu’en dehors de la sorcellerie, il n’y a pas de litiges entre eux. "Ce n’est pas la première fois que Rasmané mange l’âme de quelqu’un. Il avait tué un de mes ministres qui était allé le sortir de prison en Côte d’Ivoire. Il était enfermé pour avoir volé un sac qui contenait en fait le caleçon du fils d’un gendarme’’, déclare le Nobili Naba. Il précise que son ministre était mort de la même façon. Un détecteur de sorcier dit-il avait désigné Rasmané comme l’auteur de la mort du ministre. "Cette fois, les jeunes nous ont débarrassé de lui’’, estime le chef qui croit que si Rasmané n’était pas parti, il y aurait eu d’autres morts "bizarres" à Nobili. Toutefois, reconnaît-il, il n’était pas le seul sorcier.

"Les autres n’opèrent pas comme lui. Il en a fait un fonds de commerce et il prospère vraiment. Du mil, il en avait. Des moutons, il en avait une trentaine contre une dizaine de bovins. Et pourtant, il y a à peine dix ans qu’il est revenu de la Côte d’Ivoire. Un tel enrichissement ne peut que provenir de la sorcellerie", martèle le chef. Il soupçonne du reste la mère de Sambo d’avoir transmis la chose à son fils bien-aimé. Ils nous l’a confié en aparté. Alors, et les autres membres de la famille. Pourquoi sont-ils interdits de séjour à Nobili ?

"Ils savent ce qu’ils ont fait. C’est pourquoi ils ont fui sinon personne ne les a chassés", répond le Nobili Naaba. Peuvent-ils alors revenir lorsque la situation sera apaisée ? "Non, je ne peux leur conseiller cela car j’ignore la réaction des jeunes. Du reste, je préfère qu’ils demeurent où ils sont, car leur retour troublerait l’ordre public. Le pire a été évité. Je ne voudrais pas qu’il y ait mort d’homme dans mon village", affirme catégoriquement le chef.

"Rasmané Bilgo est innocent. C’est un montage. Nous sommes chrétiens et n’avons pas de fétiches. D’ailleurs, nous avons renoncé à succéder à notre père à son décès en 1979 pour éviter de procéder à des sacrifices. On nous en veut parce qu’on est orphelins, mais on a réussi. C’est Dieu qui l’a voulu", renchérit Ablassé Bilgo. Il dit s’en remettre à la justice mais craint que des pressions politiques n’étouffent l’affaire. "C’est souvent le cas en pareille circonstance. Il y a même eu mort d’homme à 7 km de Nobili. Après quelques mois de détention, les intéressés sont revenus. Cette impunité n’arrange pas les choses et la loi devrait connaître de ce problème de sorcellerie car la situation est préoccupante dans le Zoundwéogo. ce qui est regrettable, c’est qu’on accuse toujours des gens qui commencent à émerger socialement", confirme un habitant de Manga.

La police qui mène l’enquête affirme que le procureur a été saisi et que les investigations se poursuivent. "Au stade actuel, nous ne pouvons dire si X ou Y est responsable des actes de vandalismes. Les auteurs seront poursuivis pour destruction et incendie de biens d’autrui puisqu’il n’y a pas eu mort d’homme", a laissé entendre un représentant de la police régionale de Manga.

Le préfet de Nobéré, Janjua Désiré Lompo, prône le dialogue et la retenue. Il regrette que l’autorité coutumière ait décidé de convoquer les parties sans le saisir mais avoue que l’administration a une faible marge de manœuvre dans le domaine. "La sorcellerie relève des coutumes. La loi n’en dispose pas. Généralement, les chefs gèrent ces affaires sans nous en toucher mot. C’est lorsque l’ordre public est menacé qu’on nous appelle", reconnaît M. Lompo. Il salue le retour au calme sur le terrain et invite les uns et les autres à la retenue afin de laisser la justice faire sereinement son travail. "Nul n’a le droit de se faire soi-même justice", insiste le préfet.

La famille Bilgo veut bien faire confiance aux autorités mais elle souhaite vraiment retourner à Nobili où reposent ses pères et les pères de ses pères.

"Les verdicts de procès en sorcellerie sont irrévocables. Personne ne peut les remettre en cause", prévient un natif de la région.

Ablassé Bilgo en appelle au Mogho Naaba car estime-t-il, le chef de Nobili qui est nommé par l’Empereur des Mossés a failli et n’a pas respecté la procédure en la matière. "Le chef n’a pas recouru au test que je n’approuve pas du reste parce que c’est une drogue, un alcool à forte dose qu’on administre aux accusés. Mieux, il s’est comporté comme un bandit de grand chemin. Il devait conseiller le traitement du dossier avec sagesse... Le Mogho Naaba doit faire quelque chose", clame Ablassé Bilgo.

Là, c’est une autre paire de manches. Notre souhait est que justice soit rendue et que la paix revienne car le disparu était le parent de tous les protagonistes. Alors, une solution pouvait être trouvée en famille... Le linge sale ne se lave-t-il pas en famille ? Au moment de notre passage le samedi 19 mars 2005, Sambo qui venait de regagner Nobili était contraint de repartir. Nous n’avons donc pas pu le rencontrer.

Victorien A. SAWADOGO (visaw@yahoo.fr)
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