Actualités :: Dépigmentation artificielle : Des fortunes pour détruire sa peau et sa beauté (...)

Le phénomène de la dépigmentation dans notre pays, même s’il n’est pas aussi vieux que le monde, se pratique depuis plusieurs années. Les causes qui sous-tendent cette pratique sont nombreuses et diverses.

Elles varient même d’un milieu à un autre. Mais, qu’est-ce que la dépigmentation ? Pourquoi constitue-t-elle un mal ? Qui sont les victimes ? Quelles en sont les conséquences ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre à travers cette enquête réalisée à Ouagadougou. Nous donnerons aussi l’avis de certains spécialistes (dermatologues, psychologues).

D’entrée, il convient de préciser que réaliser une enquête sur certains sujets est bien difficile, surtout quand il s’agit de "sujets qui peuvent fâcher". En effet, nombreuses sont les personnes que nous avons rencontrées qui ont refusé de parler ou d’être photographiées.

Tout en ayant une peau dépigmentée, elles refusent de l’admettre en martelant que "Je ne frotte pas de produits, ma peau claire est naturelle". Qu’à cela ne tienne, nous avons pu faire notre travail, non sans trop de peine.

Qu’est-ce que la dépigmentation ?

La dépigmentation peut-être définie comme l’absence ou la perte du pigment. Le pigment étant une substance de la peau produite par l’organisme doué d’un pouvoir élevé. Il est destiné à donner une coloration superficielle au support qu’est la peau.

Quant à la peau, elle a essentiellement pour fonction la protection du corps contre l’entrée de l’eau et des microbes. Elle protège également contre les frottements, les chocs, les agents chimiques. En sus, elle régule la température (lutte contre la chaleur par la sudation ; contre le froid grâce aux poils et à la graisse). La peau agit comme un organe auxiliaire de la respiration et de l’excrétion et comme une réserve de graisse. Tout en produisant la vitamine D par action du soleil sur le cholestérol et absorbe des solutions alcooliques, la peau continue au niveau des orifices naturels par les muqueuses digestives ou respiratoires.

Bref , cette petite "présentation" pour montrer le rôle et la place de la peau dans l’organisme. Par exemple, selon les scientifiques, jusqu’à 30 ans si plus de 22 % de la peau est détruite, la mort peut s’ensuivre.

Dans ce cas, comment comprendre la propension de certaines personnes à s’attaquer d’une manière ou d’une autre à leur peau par des pratiques aussi négatives que diverses aux conséquences mortelles.

Pourquoi la dépigmentation ?

Les raisons de la dépigmentation au Burkina Faso sont nombreuses et varient d’un milieu à un autre. D’abord, il est important de préciser que contrairement à certains pays, la dépigmentation au Burkina concerne plus les femmes que les hommes. Elle est en tout cas, plus répandue au niveau des femmes.

Est-ce parce que les femmes de teint noir se sentent mal dans leur peau ? Est-ce les hommes qui préfèrent ou qui aiment les femmes au teint clair ? Nous avons tenté de répondre à ces questions en tendant notre micro à quelques personnes dans la rue.

Mlle C.P est secrétaire dans une institution de la place (elle n’a pas voulu être photographiée), la trentaine bien sonnée, elle se dépigmente depuis plus de quatre ans. A la question de savoir pourquoi elle se dépigmente, elle répond : "Vous même vous savez que nous sommes à Ouagadougou et les Mossis aiment les femmes teint clair". Avec une dose d’humour propre au Samo, elle soutient qu’elle se dépigmente pour plaire aux hommes.

"Comme je ne suis pas encore mariée, ; … bon peut-être qu’avec ça, je pourrais avoir un mari". Comme s’il n’y avait pas de femmes teint noire mariées et fières de leur peau noirs, C.P, fini par dire que la pratique coûte chère. Et chaque fin du mois, elle est obligée de voter un budget pour l’achat des produits.

Contrairement à C.P ; Mlle F.O a commencé à pratiquer la dépigmentation parce que : "mon copain m’a traitée de sauvage et il m’a laissée tomber par la suite pour aller chercher une fille claire. Comme je l’aimais, j’ai commencer à me dépigmenter pour aller le reconquérir… Malheureusement, ça n’a pas marché", affirme F.O avec un soupire qui cache mal son complexe.

Le problème de F.O, c’est qu’elle n’a pas d’argent pour continuer régulièrement la pratique. "Comme je n’ai pas l’argent, je peux faire deux ou trois mois sans frotter les produits. Tu vois que j’ai des parties du corps qui sont noires d’autres un peu claires. C’est ça ! Y a longtemps que je n’ai pas eu les produits…", reconnaît F.O, qui compte en tout cas continuer quand elle aura l’argent. "Vous savez que tout le monde aime les femmes claires, comment on va faire ! on est obligé de rentrer dedans". Conclut F.O, qui reconnaît qu’elle ignore les conséquences de la dépigmentation. Ce qu’elle sait, est que "ça gâte la peau et quand tu es malade si on t’opère on ne peut pas coudre". Ce qu’elle sait est déjà suffisant pour qu’elle arrête cette pratique.

La dépigmentation, malheureusement n’est pas seulement l’apanage des jeunes filles. Elle est aussi pratiquée par les femmes d’âge mûr.

Mme O.Z, mère de quatre enfants et employée dans un ministère de la place ne sait même plus quand elle a commencé à se dépigmenter : "Je ne sais même plus quand ; ça m’a pris comme ça et une amie m’a conseillée quelques produits et depuis lors je continue. Ça va avec moi et je n’ai pas de problème, même pas avec mon mari, qui ne sait même pas que je me dépigmente. Et même s’il le savait ? Dans tous les cas je ne lui demande pas de l’argent pour ça", déclare-t-elle sans gêne, ni remord et avec une assurance qui semble dire qu’elle est "posée". Lorsqu’on aborde les conséquences, sa mine "d’assurée" change. "Je loue Dieu pour ne pas attraper une maladie qui nécessite une intervention chirurgicale. J’ai arrêté de faire des enfants donc pas de probabilité de césarienne", conclut O.Z.

B.S est étudiante à l’Université de Ouagadougou. A Abidjan où elle a fait ses études secondaires, elle a été ou est (c’est selon) victime de la dépigmentation qu’elle pratique depuis la 5e. Suite à une maladie, elle devait subir une intervention chirurgicale. Elle a failli y laisser sa vie à cause d’une "peau moins résistante" conséquence de la dépigmentation. Fort heureusement, elle s’en est sortie avec des "séquelles indélébiles".

Aujourd’hui, elle n’est ni de teint clair ni de teint noir. Tout son corps est parsemé de tâches "bizarres" selon ses propres termes. Elle projette même créer une association de lutte contre la dépigmentation qui sera chargée de sensibiliser "surtout les jeunes filles".

Une belle initiative quand on sait que les associations de lutte contre ce mal social sont rares, pour ne pas dire inexistantes.

" Ah les hommes ! "

Vous l’aurez certainement remarqué, ce qui transparaît dans les propos de ces femmes, c’est qu’elles veulent plaire aux hommes. Ah les hommes, serait-on tenté de dire. Nous avons donc interrogé quelques hommes sur le phénomène.

Madi Zongo, journaliste, reconnaît lui aussi que les femmes ou les filles se dépigmentent pour faire plaisir aux hommes. Quand on lui demande s’il préfèrent les femmes claires ou les femmes de teint noir, il répond : "Vous savez, la femme, ce n’est pas le teint. La femme comme on le dit, c’est le caractère. Sinon, je n’ai pas de préférence". Pourquoi les femmes se dépigmentent : "C’est pour ressembler aux blanches, regardez les mèches qu’elles portent, tout ça c’est pour ressembler aux femmes européennes. C’est la conséquences de notre acculturation" déclare Madi Zongo qui s’offusque d’ailleurs du fait que certains hommes pensent que la femme de teint clair est meilleure.

Omar Traoré ne dit pas autres chose que Madi Zongo lorsqu’il affirme : "La dépigmentation est l’aspect le plus primitif de l’acculturation de nos sœurs qui, en voulant ressembler aux Blanches frottent des produits, des pommades… très nocifs d’ailleurs et ce qui pose pas mal de problèmes lors des interventions chirurgicales. D’abord, la peau a du mal à se cicatriser. Et les peaux très atteintes par la dépigmentation dégagent une certaine odeur qui n’est pas commune. En tous les cas, la dépigmentation est un phénomène à combattre. Malheureusement, certains hommes ont tendance à préférer les femmes claires aux femmes noires. Fort heureusement aussi, ce ne sont pas tous les hommes".

Ouédraogo Salif, élève en vacances, est de ceux qui préfèrent les femmes de teint clair. Quand on lui demande pourquoi cette préférence, il donne des raisons qui ne tiennent pas la route, comme dirait l’autre : "… une femme claire est par essence une femme jolie et belle. Chez nous, on dit que même si une femme claire n’est pas belle (de visage), ses cuisses sont jolies, et c’est l’essentiel. Donc moi ma femme doit d’abord être claire…".

Drôle de raisons et de raisonnements avec un tel raisonnement, on comprend aisément la propension de certaines femmes à se dépigmenter et à avoir pour conviction que la femme belle, c’est la femme de teint clair. Et pourtant !

Pour tenter de mieux comprendre l’assertion de C.P qui avait affirmé que : "Vous savez que nous sommes à Ouagadougou et les Mossis aiment les femmes teint clair", nous avons approché plusieurs notables mossis qui ont tous réfutés cette affirmation en la mettant au compte de ceux ou celles qui ne "connaissent pas leur propre culture ou qui aiment faire comme les Blancs".

Des échanges avec ces notables, il ressort que c’est une "erreur grave" de penser que le Moagha n’aime que les femmes de teint clair. Claire ou pas claire, ils estiment que la femme, ce n’est surtout pas la beauté d’abord. La femme selon eux, c’est d’abord et avant tout l’éducation, le caractère, l’humilité et le respect envers autrui. Toujours selon eux, le teint n’a rien à voir avec les qualités d’une bonne femme.

Une vision partagée par Mariam Lingani, opératrice de saisie qui estime que son éducation ne lui permet pas de se dépigmenter. A la question de savoir si elle connaît les filles qui se dépigmentent, elle répond : "beaucoup" tout en accusant les garçons qui ont une "propension" pour les femmes de teint clair.

Mariam Lingani soutient en outre que de nombreuses filles ignorent les conséquences de la dépigmentation. Sera-t-elle prête à se dépigmenter si son copain l’exigeait ? Réponse : "Si c’est une condition pour qu’on soit ensemble, je lui dirais qu’il est préférable qu’on se quitte. Ma famille, mon éducation ne permettent pas ce genre de chose. La femme ce n’est pas la couleur de la peau".

Comme ou le constate, le débat est loin d’être clos. D’ailleurs, au regard de l’ampleur du phénomène, il n’est même pas souhaitable que le débat soit clos. C’est pourquoi, nous avons approché un dermatologue et un psychologue pour qu’ils nous donnent leur point de vue sur le phénomène et ses conséquences.

Idrissa KABORE


Entretien avec le Docteur Niamba Pascal : "Les conséquences de la dépigmentation doivent dissuader plus d’une personne"

Pour en savoir plus sur la dépigmentation et ses conséquences, nous avons rencontré le docteur Niamba Pascal (NP) du service de dermatologie de l’hôpital Yalgado. Il commence par nous définir ce qu’est la dépigmentation.

Dr. Pascal Niamba

Niamba Pascal (NP) : La dépigmentation c’est l’usage d’un certain nombre de moyens chimiques qui ont pour conséquence de rendre la peau claire. Les moyens utilisés sont très variés. Il y a plusieurs catégories. Il y a un certain nombre de produits qu’on appelle les corticoïdes à usage essentiellement sur la peau. Il y a également des corticoïdes qu’on peut utiliser par voie générale. C’est souvent des comprimés ou des injections.

Cela entraîne aussi la dépigmentation de la peau, on peut souvent rencontrer ces cas dans le cadre d’un traitement conventionnel mais avec effet secondaire.

En dehors donc des corticoïdes, il y a d’autres produits à base de mercure comme le savon, il y a aussi l’alcool en fonction du dosage. On peut ajouter des produits comme l’hydroquinone qui est contenu dans beaucoup de pommades utilisées couramment sur le marché.

Ce sont en général les produits utilisés pour la dépigmentation. L’utilisation ou le choix de tel ou tel produit dépend du milieu ou des moyens. Il y a parfois certains mélanges qui associent de l’eau de javel, du savon en poudre ou des pommades que l’on associe à des corticoïdes, véritables cocktails très toxiques.

Quelles sont les conséquences sur la peau ?

Il y a d’abord cet aspect disgracieux de la peau lorsque la dépigmentation n’est pas uniforme on aura dans ce cas des parties qui sont plus dépigmentés que d’autres ce qui donne souvent l’aspect de "peau léopard". C’est généralement le dos, les mains… alors souvent on a l’effet contraire de ce qu’on recherchait. Ensuite la dépigmentation rend la peau vulnérable, elle n’est plus protégée naturellement ce qui fait qu’on peut avoir facilement des infections soit par des champignons, des bactéries ou par des parasites. On peut aussi avoir des boutons qui poussent de manière exagérée sur le visage et même sur le reste du corps. Sans oublier bien évidemment le cancer de la peau.

Tout cela constitue les conséquences locales. Les conséquences générales, ce sont souvent des troubles au niveau du fonctionnement de certains organes. Au niveau du rein, au niveau du foie, du cœur… l’utilisation de l’hydroquinone peut par exemple entraîner l’épaississement de la peau surtout lorsqu’elle est exposée au soleil. Ces conséquences sont manifestes d’autant plus qu’ici, il y a beaucoup de soleil. Le soleil agit beaucoup dans ce cas. Alors je crois que les conséquences énumérées devraient dissuader ceux qui s’adonnent à cette pratique. En cherchant à se faire belle, en cherchant à être clair, on a un risque important d’avoir des maladies graves.

Il y a également les conséquences sociales, parce que quand on se présente avec une peau de léopard, vous voyez ce que ça fait. En tous les cas, je ne sais pas si ce sont les hommes qui préfèrent la peau claire ou ce sont les femmes qui croient qu’il est mieux d’avoir la peau claire. Pourtant, on a des femmes noires belles ! Il faut que cela change. Et chacun doit s’affirmer tel qu’il est.

Entretien réalisé par Idrissa Kaboré

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