Actualités :: Lutte contre le Sida : Les droits humains à l’épreuve de l’homosexualité

Parmi les groupes vulnérables au VIH, figurent en bonne place les homosexuels, notamment les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (MSM). Condamné par la société africaine, ce type de comportement se pratique dans la plus grande clandestinité. Comment alors protéger les droits à la santé et à l’information de ceux qui sont considérés comme des malades, étant en déphasage avec des normes sociales communément admises. Débat juridique et réalité d’un phénomène en progression dans les villes africaines.

L’homosexualité est une pratique condamnée et reprimée en Afrique. Néanmoins à Yaoundé au Cameroun, comme dans d’autres villes du continent, ce phénomène reste une réalité en dépit des mœurs africaines. Il est là, notamment les « Men having sex with men » (MSM) ou comprenez « hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes », vivent dans la société. V.R en est un. Il est 15 h 30 mn dans un bar de Yaoundé. Préalablement, le principe de l’anonymat est requis et acquis. Place donc à l’entretien à bâtons rompus. Agé de 32 ans, il assume son homosexualité. Sous le même toit, il vit en couple avec son « petit ami homme » (étudiant) depuis quatre ans.

Dans son quartier, il soutient que les gens connaissent son orientation sexuelle et son statut sérologique. « Ils l’ont su et certains l’ont accepté, d’autres non ; pas d’agression physique mais des propos malsains à mon égard ». « J’ai découvert que je n’étais pas comme mes camarades en classe de 3e lorsque j’ai flirté avec une jeune fille qui ne m’attirait pas. Malgré mes efforts, je ne ressentais aucun désir. A cette époque-là, je n’acceptais pas qu’une telle chose puisse m’arriver. Parfois, je me réveillais en pleine nuit pour pleurer. Je me demandais pourquoi une telle chose pouvait arriver à moi », raconte V.R. Sa mère ne comprenant pas la situation non plus a cru trouver la solution en l’emmenant à l’église.

« Elle m’a même introduit dans son église où je suis resté pendant six mois, sous la supervision du pasteur qui me suivait, mais cette thérapie a été vaine ». In fine, le jeune homme dit avoir accepté sa condition en dépit des protestations de sa famille et du regard de la société. « Avec mon petit ami nous formons un couple, nous avons des rapports normaux comme les hétérosexuels et nous ressentons un plaisir fou. Je suis PVVIH sous ARV, mon petit ami, séronégatif, en est informé. Nous utilisons systématiquement le préservatif pendant nos rapports sexuels. Nous sommes comme toute personne normale, nous avons des projets et des ambitions ». Il reconnaît souffrir de la stigmatisation et de la discrimination de son environnement.

Une double stigmatisation

Un MSM PVVIH est doublement stigmatisé et discriminé. Il l’est d’abord parce que homosexuel et ensuite en tant que personne vivant avec le VIH. « Lorsque nous allons dans certains services où les gens nous reconnaissent ou soupçonnent notre condition, nous sommes toujours servis après que tout le monde fut parti. Je suis directeur d’une école primaire privée, mes collaborateurs l’ignorent, mais certains parents d’élèves l’ont découvert et m’ont interrogé sur le sujet. Ma réponse a été que je respectais leur vie privée et souhaitais qu’ils respectent en retour la mienne car la vie privée est sacrée. En revanche, ils pouvaient critiquer les enseignements qui sont dispensés à leurs enfants ou le fonctionnement de l’école. Dans les centres de santé, on est obligé de cacher notre orientation sexuelle afin de bénéficier aisément des soins. »

A la question de savoir pourquoi il ne témoigne pas à visage découvert, la réponse est claire. « Je suis prêt à collaborer avec les médias pour faire passer nos opinions et nos projets de société. Actuellement, je ne peux pas témoigner à visage découvert du fait de la criminalisation de la pratique par la loi. Je souhaite une reconnaissance de nos couples. Je rêve du jour où cela arrivera … » A l’image de ce jeune homme, ils sont nombreux dans la ville de Yaoundé ou simplement dans les villes africaines à avoir cette orientation sexuelle. Ils sont également nombreux à la pratiquer en cachette et à souffrir du regard de l’autre, de la société. « L’enfer c’est les autres », a soutenu Jean Paul Sartre. « La plupart des homosexuels au Burkina n’ont pas le courage de s’afficher, d’exprimer leur orientation sexuelle. Beaucoup vivent leur sexualité cachée, leurs parents ne sont pas au courant.

La plupart d’entre eux sont obligés malgré tout d’être bisexuels afin de tromper la famille et de se mettre à l’abri du regard stigmatisant et discriminant d‘autrui. 90% des MSM à Ouagadougou sont mariés bien que n’ayant pas une orientation hétérosexuelle », a précisé le coordonnateur de la section MSM de l’Association African Solidarité (AAS), Patrice Koblavi. Ainsi, dans la capitale burkinabè, l’existence du phénomène, homme ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, n’est qu’un secret de polichinelle. Selon une source très proche du milieu, plus de 800 MSM dans cette ville bénéficient de sensibilisation à la prévention du VIH ou de prise en charge en retroviraux. Au moins deux associations de la capitale et une à Bobo-Dioulasso offrent des services à ce groupe vulnérable. Abdoul Aziz Traoré, infirmier de formation, est chargé du projet de prévention et de prise en charge des infections sexuellement transmissibles des MSM à AAS.

Il précise tout de go que c’est surtout l’aspect santé et la promotion du droit à la santé qui l’intéressent. « Le reste ne me regarde pas ». A cet effet, les MSM sont traités comme tout autre être humain. Selon ses statistiques, environ 411 MSM bénéficient des services de AAS en prévention et en matière de prise en charge. Les prestations vont de la distribution des préservatifs, du gel, la prévention à la prise en charge ARV.

Cela grâce à l’aide de 20 pairs éducateurs formés. Les MSM ainsi formés vont à leur tour convaincre leurs camarades dubitatifs à franchir le pas. « Il y a des MSM qui nous demandent de venir leur donner des kits de protection à 100 ou 200 m du centre. D’autres nous disent d’emballer et de venir déposer à tel ou tel endroit pour eux », révèle M. Traoré pour souligner la crainte des membres de la communauté gay de se faire indexer. « Beaucoup de MSM souvent malades préfèrent mourir au lieu d’aller à l’hôpital ordinaire afin d’échapper à des questions du genre : "tu as fait quoi pour avoir un mal à tel endroit ou à tel autre ? », renchérit Patrice Koblavi.

Faisant de la lutte contre le Sida et la promotion à l’accès universel des soins son cheval de bataille, l’AAS, à en croire le médecin de l’association, Ter Tiero Elias Dah, dispose d’un cadre permettant à ce groupe vulnérable d’avoir accès à l’information et aux soins. Hormis le VIH, ce groupe comme l’hétérosexuel souffre des infections telles que la gonococcie, la syphilis… « La localisation n’est pas aux mêmes endroits que les hétérosexuels, peut-être que c’est pour cela, ils ont des problèmes pour aller dans n’importe quel centre de formation sanitaire. Mais le médecin, à partir de son serment d’Hippocrate, sait qu’il ne doit pas juger mais soigner », justifie Dr Dah.

Inadmissible et criminalisé

Les sociétés africaines comparativement à celles d’Europe semblent ne pas être encore prêtes à tolérer une telle situation. Elle est diversement appréciée d’un pays africain à un autre. A Yaoundé, l’homosexualité est plus visible qu’à Ouagadougou quand bien même elle est rejetée par la société. Dans la capitale burkinabè, pour le moment, il n’existe aucune association identitaire homosexuelle.

Par ailleurs, un vide juridique entoure la question. Le procureur du Faso, Placide Nikièma, rencontré au Palais de justice confirme que la loi burkinabè est muette comme une carpe au sujet de l’homosexualité. « Aucun passage dans le Code pénal ne fait mention à l’homosexualité. Il n’y a pas d’infraction sans texte », conclut le procureur. Pas d’infraction donc pas de punition.

La pratique de l’homosexualité est punie de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement ferme selon l’article 347 bis du Code pénal camerounais. Cet article stipule qu’il est passable d’un emprisonnement de 6 mois à 5 ans celui qui se serait rendu coupable d’une relation sexuelle avec une personne du même sexe.

Ainsi, les hommes entretenant des relations sexuelles avec d’autres hommes et qui se font arrêter sont jetés en prison. Me Alice Nkom, avocate camerounaise, a créé l’Association pour la défense des droits des homosexuels (ADPHO). Divorcée, mère de deux enfants dont un garçon de 41 ans, Me Alice Nkom dit se battre pour la liberté individuelle. Elle pense que l’article 347 bis est contraire à la protection des minorités garantie par la Constitution. Pour elle, cet article est illégal. « L’article est issu d’une ordonnance du président ; donc un acte de l’exécutif et s’est retrouvé par effraction dans le code pénal qui est, lui, un acte réservé exclusivement au législatif.

J’ai consulté la Constitution et j’ai vu qu’il y a l’ article 26 qui indique que la détermination des crimes, des délits, la procédure pénale civile sont du ressort exclusif du parlement. Alors mon combat a commencé en ce moment », relève Me Nkom. L’avocate soutient que cette réglementation émanant de l’exécutif viole la dignité humaine. « Quand ma fille se mariait, je n’ai pas entendu le maire lui dire : “quand ton mari te demande la sodomisation, refuse . Les points de l’amour peuvent être dissimulés dans tout notre corps et personne n’a choisi leur emplacement géographique. Personne, aucune police, aucune gendarmerie, aucun parquet au monde ne peut venir chez moi vérifier comment je me couche ou comment je fais l’amour », avance-t-elle pour justifier son combat.

Me Alice Nkom a défendu une trentaine de dossiers et pour elle, aucun des dossiers n’a respecté la vie privée et la présomption d’innocence. Elle témoigne à travers un cas pratique. « J’ai défendu un jeune homme deux fois. Accusé d’être homosexuel, on l’a arrêté et jeté en prison. Je l’ai libéré au bout de six mois. Trois ou quatre mois après, on l’a vu en train de discuter avec un garçon de quatorze ans, il est de nouveau emprisonné et j’ai réussi à le libérer au bout de six mois encore ».

Le dernier dossier de Me Alice Nkom est monté en audience le 12 octobre dernier. Il a concerné deux hommes ARB et BMH reconnus homosexuels. Après les examens des appareils génitaux et anaux des sus-nommés par le médecin-chef de la gendarmerie nationale, il ressort que les intéressés entretenaient des rapports sexuels à pénétration anale pour lesquels ils sont soupçonnés. L’affaire se poursuit au Tribunal de première instance de Yaoundé-Centre.

Droits humains, santé …

Selon Dr Mamadou Lamine Sakho, représentant de ONUSIDA au Cameroun, dans la lutte contre le Sida, la problématique des MSM se pose de façon particulière en Afrique. Il rapporte que dans une étude réalisée à Mombassa, au Kenya, 43% des hommes ayant des rapports sexuels uniquement avec des hommes ont été dépistés positifs au VIH, contre 12,3% des hommes indiquant avoir des rapports sexuels à la fois avec des hommes et des femmes. Aussi, une autre étude menée dans cinq sites urbains du Sénégal, révèle que 21,5% des MSM sont dépistés positifs au VIH en 2005.

Les MSM sont parfois bisexuels. Ainsi, au regard de certains constats faits sur le vécu des MSM, il semble nécessaire de ne plus oublier le milieu homosexuel dans la lutte contre le Sida. Les situations à risque qui y prévalent ne sont pas à négliger. Elles dépassent le cadre homosexuel et concernent tout le reste de la société. Car certains hommes ayant les relations sexuelles avec d’autres hommes mènent en parallèle une vie de couple avec leurs femmes. Donc une possible infection est vite établie entre les MSM et les autres membres de la société. Dr Sakho pense que pour réduire l’épidémie du VIH, il faut que ces MSM aient accès à la santé et à l’information. « Nous sommes obligés de les accompagner et de les assister pour réduire les risques de vulnérabilité que ces personnes ont entre elles- mêmes mais également envers les autres personnes avec lesquelles elles sont en interaction », a-t-il dit.

Et le chargé de projet MSM de l’AAS, M. Traoré, d’ajouter qu’« en protégeant les MSM du VIH, la société se protège de cette maladie sans s’en rendre compte, dans la mesure où la plupart de ces hommes sont également bisexuels ». « Du point de vue santé publique c’est une urgence que de prendre en charge les MSM », ajoute le Dr Dah. Le 1er décembre étant jour de campagne de dépistage, à l’AAS, ce groupe dit vulnérable au VIH y était en grand nombre. De peur d’être stigmatisés, voire même lynchés par ceux qui les qualifient de déviants sociaux, ils souhaitent, par la voix de leur délégué , que la population « ne les juge pas sans connaitre ».

Boureima SANGA : Ouagadougou-Yaoundé-Ouagadougou (
bsanga2003@yahoo.fr)

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