Actualités :: SONABEL : Comment les syndicats ont pu éviter la privatisation

Le mardi 11 mai 2010, l’Assemblée nationale (AN) rendait légale la décision prise en Conseil des ministres de sortir la Société nationale burkinabè d’électricité (SONABEL) de la liste des entreprises à privatiser. Pascal Kéré, secrétaire général (SG) de la section de la SONABEL du Syndicat des techniciens et ouvriers du Burkina (STOB), a estimé, ayant passé 27 ans dans l’entreprise, être bien placé pour connaître l’opinion générale du personnel sur cette décision. Il révèle que ce dernier était opposé à la privatisation de la société et a milité pour qu’elle ne devienne pas réalité. Comment ? Dans quelles conditions ? Pascal Kéré répond.

"Le Pays" : La SONABEL ne sera plus privatisée. En tant que représentant du personnel de l’entreprise, qu’en pensez-vous ?

Pascal Kéré : Nous n’en pensons que du bien. Parce que dès que ce processus a été enclenché en 1998 par une loi votée au niveau de l’AN, le personnel, vu certaines expériences sous-régionales de ces privatisations, était bien inquiet de l’avenir de l’entreprise qui est pour nous une entreprise de souveraineté et qui soutient le développement de l’économie nationale. Nous avions donc eu une réaction, assez vigoureuse, de refus. De 1998 à maintenant, on a traversé pas mal d’étapes et nous ne pouvons que saluer cette décision gouvernementale qui, pour nous, est un salut autant pour l’économie nationale toute entière que pour la SONABEL et, par ricochet, pour l’ensemble de la clientèle et pour les travailleurs.

Vous dites que vous craignez pour l’économie nationale, mais est-ce que le personnel n’avait pas également et surtout peur pour son emploi ?

C’est vrai qu’on pense généralement que les travailleurs sont plus soucieux de leur avenir personnel que du devenir de l’entreprise. Mais, dans le cas de la SONABEL, je puis vous avouer que la première inquiétude du personnel portait sur le devenir du service public de l’électricité au Burkina, et sur le développement du Burkina. Deuxièmement, nous pensons que la SONABEL reste une entreprise nationale qui crée du profit. Enfin, nous ne pouvons penser qu’à l’ensemble des emplois. Dans ces cas de figure, quand l’entreprise passe à des mains privées, la logique de réduire les charges peut toucher l’intérêt des travailleurs. Même lorsque les repreneurs assurent ne pas vouloir faire de licenciement, après la reprise, il y a des compressions tacites et subtiles qui se font.

"C’est une action conjuguée au niveau du personnel, de la direction et du gouvernement qui a permis cet heureux aboutissement" En plus des emplois et de l’économie, que craigniez-vous d’autres de la privatisation de la SONABEL ? On n’aurait, certainement, pas fait l’économie d’une réelle dégradation du service public de l’électricité. Je ne dis pas que la SONABEL fournit l’idéal du service d’électricité, mais je puis gager qu’avec le privé, on peut vivre pire que les difficultés conjoncturelles que la SONABEL traverse par moment. Et cela vaut pour toute entreprise qui produit du service de nature vraiment publique. SITARAIL a vécu son expérience, mais je ne pense pas que nous sommes très heureux de ce que vaut, aujourd’hui, le chemin de fer au Burkina. FASO FANI a vécu la même situation. Ce sont donc des processus qui nous créent plus de malheurs que de bienfaits. Aujourd’hui en France, avec EDF (Electricité de France), on ne court pas encore derrière la privatisation.

Les travailleurs ont donc contribué à sortir la SONABEL de la menace de la privatisation. Mais de quelle manière, car on n’a pas senti trop de remous ?

Si vous remontez dans l’histoire, dès que la loi de 1998 a été votée, le personnel a réagi et est même allé jusqu’à l’AN pour manifester son désaccord. Il y a eu pas mal de manifestations. Nous nous étions même mis en coalition avec d’autres entreprises qui étaient ciblées comme le BUMIGEB, le CCVA, l’Hôtel Indépendance, l’hôtel Silmandé, l’ONEA, la SONABHY. Nous avons fait un front commun. Nous avons mêmes exigé des centrales syndicales que notre exigence soit intégrée de façon nominative, pour les sociétés publiques que je viens de citer, dans la plateforme revendicative nationale. En plus de cela, nous avons contribué aussi à l’information du personnel, à lui poser les bonnes questions pour avoir des réponses à la base sur les angoisses qui s’annonçaient. Et ces angoisses, nous les avons traduites au niveau de la Direction générale (DG). Nous en avons fait également une synthèse générale qui a été adressée au Premier ministre, par lettre officielle.

Quand vous dites "nous", vous faites allusion à qui ?

A la SONABEL, nous sommes trois organisations syndicales de travailleuses et de travailleurs.

Lesquelles ?

Le Comité CGT-B (Confédération générale des travailleurs du Burkina), le Syndicat national des travailleurs de la SONABEL et la section SONABEL du Syndicat des techniciens et ouvriers du Burkina (STOB) dont je suis le secrétaire général. Sur cette question de la privatisation, comme sur toutes questions relatives aux intérêts du personnel, les trois syndicats ont mené une lutte commune. La stratégie a été de suivre avec responsabilité le processus pour exiger la transparence, réagir contre toute menace de remise en cause du service public et veiller à la sauvegarde des acquis sociaux.

Plus précisément ?

Le personnel s’est organisé et nous avons mis en place une commission ad hoc de réflexion, d’implication, et de suivi du processus de restructuration. Cette commission a donc toujours été impliquée dans toutes les étapes : au niveau des études, comme à toutes les tables rondes sur le sujet. Nous pouvons d’ailleurs saluer à ce niveau, la Direction générale, qui a toujours observé une ouverture et une attitude de transparence avec le personnel sur la gestion du processus. La direction a manifesté son attachement à sauver un climat social favorable à la poursuite des efforts d’investissement.

Nous étions aussi convaincus, en tant que représentants des travailleurs, que la sauvegarde des emplois tenait plus d’une dynamique soutenue au niveau des investissements. En cela, nous pouvons dire que l’ensemble des partenaires sociaux, Direction générale, délégués du personnel et délégués syndicaux, ont fait montre d’une attitude de responsabilité. Toutes choses qui auront permis de ne pas troubler la quiétude sociale au niveau de l’entreprise, et de garder les bailleurs de fonds en confiance.

"La direction était suffisamment consciente et a eu une attitude de responsabilité" Vous êtes donc satisfaits de la conduite de la Direction générale ?

Oui et notre premier motif de satisfaction, c’est que le processus au niveau de la SONABEL a été très maîtrisé, parce que la culture de la concertation a prévalu. Cela a permis de sauver et de maintenir un bon rythme d’avancement sur le schéma directeur d’investissements. De façon générale , nous devons aussi saluer l’attitude du personnel qui, tout en manifestant ses angoisses, n’a pas poussé ces structures à la crise. Ce qui nous a permis de continuer à gagner le respect des hautes autorités de l’Etat et des populations de manière générale. Le renforcement des capacités énergétiques et l’augmentation de la couverture nationale sont des défis qui se conjuguent mal avec un climat social dégradé. Tous les acteurs avaient compris cet enjeu. Nous pouvons donc dire que c’est une intelligence conjuguée au niveau du personnel, de la direction de l’entreprise, du gouvernement et des populations, qui a permis cet heureux aboutissement.

Et nous souhaitons que ce modèle soit reconduit pour les entreprises qui restent sur la liste des sociétés à privatiser, notamment la SONABHY, le CCVA, le BUMIGEB car toute analyse faite, vu la faiblesse du tissu économique national augmenté d’une crise financière internationale, l’Etat devrait redéfinir sa stratégie de relance de ces entreprise qui touche à la souveraineté nationale et à l’éthique environnementale. En ce qui concerne par exemple les hydrocarbures, vu les fluctuations que nous avons au niveau mondial, il faut qu’il y ait un pouvoir de décision conséquent qui puisse réguler. Si les prix venaient en hausse et que les consommateurs disent qu’ils ne peuvent pas payer et que le gouvernement ne peut pas non plus faire grand-chose, on ne peut aller que vers le chaos. Il y a encore de l’analyse à faire pour toutes les sociétés qui restent sous le coup de la privatisation. C’est encore des secteurs sur lesquels l’Etat doit garder un regard.

La SONABEL étant sortie de la privatisation, on peut dire qu’à votre niveau, la lutte est gagnée. Mais allez-vous vous désolidariser de la coalition dont vous parliez tantôt ?

La lutte n’est pas terminée parce que le rejet du processus de privatisation n’est pas sorti de la plateforme revendicative des centrales syndicales. Cela est donc devenu une revendication nationale, et le front unique des centrales lutte contre toutes les privatisations. Cela est répété à l’Etat chaque fois qu’il y a une rencontre gouvernement-syndicats et chaque fois que nous discutons de notre plate-forme revendicative au niveau national. C’est donc un combat continu.

"L’Etat devrait réfléchir par deux fois dans la décision de privatiser ses entreprises"

Bien sûr, ce qui s’est passé avec la SONABEL est dû à une analyse objective. Et c’est suite également à un regard sur ce qui s’est passé à côté de nous dans la sous-région et qui n’a pas été des modèles de réussite. Le gouvernement a donc été bien inspiré en cela.

Pour clore cet entretien ?

Saluer la démarche d’un journal tel que "Le Pays". C’était tout à fait opportun pour vous de venir chercher un témoignage au niveau du personnel, suite à cette décision que nous jugeons salutaire pour l’économie nationale, pour la SONABEL et pour nos populations entières, qui attendent un service de l’électricité des meilleurs possibles. Mais nous restons vigilants parce qu’on reste dans un environnement mondial assez complexe dont les détours sont parfois surprenants. Nous saluons l’attitude de notre clientèle, qui est en devoir d’exiger beaucoup de notre entreprise, mais qui, face à l’environnement international que nous connaissons tous, adopte toujours une attitude de tolérance. Et cela donne du tonus au personnel et à la Direction générale de la SONABEL de s’engager, avec maîtrise et courage, à travailler pour de meilleures perspectives de l’électricité au Burkina Faso.

Propos recueillis par Abdou ZOURE

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