Actualités :: « La France a attendu que presque tous les anciens combattants africains (...)

L’historien qu’est Magloire Somé, aborde sans fioritures, la célébration du cinquantenaire des indépendances africaines, la présence de 12 chefs d’Etat africains aux côtés du président français Nicolas Sarkozy, le 14 juillet dernier, et la décision de ce dernier d’aligner les pensions des anciens combattants africains sur celles de leurs homologues français. « Si le gouvernement burkinabè venait à ne pas tenir parole, nous serions amenés à remettre en route le processus de revendications et, consécutivement, à user du droit de grève que la loi nous accorde. »

Ainsi s’est exprimé, dans un autre registre, le secrétaire général du Syndicat national des enseignants chercheurs du Burkina (Synadec), et professeur au département d’Histoire et Archéologie à l’Université de Ouagadougou. L’année scolaire dernière, ces enseignants chercheurs avaient mené une grève qui a duré plus d’un trimestre et dont les conséquences pèsent encore sur le calendrier académique en cours. A travers cet entretien avec Fasozine.com, le Pr Somé revient sur les acquis « d’une lutte qui n’avait que trop duré, la lenteur du gouvernement burkinabè quant à la mise en œuvre de ses engagements, et les perspectives d’avenir pour ce corps d’universitaires.

Fasozine.com : Que pensez-vous de la mesure des autorités françaises d’aligner les pensions des anciens combattants africains sur ceux de leurs homologues français ?

Pr Magloire Somé : Je pense comme tout le monde que c’est tardif. On a attendu que tous les anciens combattants meurent pratiquement avant de prendre une telle décision. On peut se consoler de ce dicton populaire qui dit qu’ « il n’est jamais tard pour bien faire. » Sinon que le traitement inégal de solde accordé aux anciens combattants africains a été de l’injustice pure et simple. Il faut dire aussi que nos chefs d’Etat n’ont pas assez défendu nos anciens combattants. Ils devraient faire de cette question l’une des pierres angulaires des négociations avec la France. Surtout pour ce qui est du Burkina qui avait le plus fort contingent au front pendant la seconde guerre mondiale. Cela montre aussi l’état de frilosité de nos dirigeants devant la France. Une autre preuve que nous sommes toujours dans la France–Afrique, puisqu’ils ont peur de revendiquer, au risque de perdre certains privilèges.

Quelle appréciation faites-vous de la présence de 12 chefs d’Etat africains aux côtés du président français, Nicolas Sarkozy, pour la célébration du 14 juillet, la fête nationale de la France ?

On peut faire deux lectures de cet événement. Premièrement, cette invitation peut laisser entrevoir le besoin pour la France de maintenir son pré-carré et de montrer, comme l’avait dit en substance, de son vivant, le président Omar Bongo, que l’Afrique sans la France est comme une voiture sans chauffeur. De ce point de vue, cela entre en droite ligne dans la politique du néocolonialisme. La deuxième lecture que l’on pourrait faire est que la France a l’habitude d’inviter des pays à la célébration du 14 juillet. Par exemple l’année dernière c’était l’Inde qui était à l’honneur. Vu sous cet angle, et étant donné que la France ne pouvait pas inviter un seul pays africain, il était plus acceptable qu’elle fasse venir tous les présidents de ses ex colonies. Tous comptes faits, je pense que même si dans les discours on veut démontrer autre chose, j’ai plutôt l’impression que la France veut maintenir son pré-carré.

En tant qu’historien, quel regard portez-vous sur la célébration du cinquantenaire des Etats africains ?

Cinquante ans dans la vie d’une nation, ça mérite d’être célébré. Il faut s’arrêter pour faire le bilan, afin de dégager les lignes de forces, tout en mettant le doigt sur les faiblesses que l’on devra placer au centre des préoccupations dans l’évolution future de la nation. L’intérêt du bilan, c’est de pouvoir capitaliser les lignes de forces en les réinvestissant dans les efforts continus, et de relever le défi en corrigeant les erreurs et en surmontant les points de faiblesse. C’est en cela que cette fête du cinquantenaire est significative. Par exemple le gouvernement burkinabè a organisé une série de conférences pour rappeler quelques faits marquants de l’histoire du Burkina. Cette une bonne initiative, à condition de faire de ce rappel historique, de cette convocation de la mémoire historique, ce que Feu le professeur Joseph Ki-Zerbo a appelé le levier fondamental de la construction étatique.

Pourquoi célébrer à coup de milliards de nos francs cinquante ans d’indépendance alors que nos hôpitaux se transforment de plus en plus en mouroirs et que nos écoles manquent souvent jusqu’à la craie ?

En journalisme télévisuel, on parle souvent d’arrêt sur image. Quand on fait un arrêt sur une image, c’est que celle-ci est significative, qu’elle revêt une importance qui mérite qu’on la retienne pour en cerner tous les contours et qu’on dégage sa signification particulière. La célébration du cinquantenaire est un arrêt sur l’événement historique. Je ne dis pas que les Africains doivent s’arrêter sur une évocation de la mémoire qui ne se ramènerait qu’à de simples festivités, ce qui serait un non-événement. Non, loin de moi cette idée. Lorsque je parle de bilan et de célébration, c’est pour montrer qu’on doit dépasser le festif pour donner à l’arrêt sur l’événement historique, toute son importance.

Ce qu’il faut constater aujourd’hui, c’est que les problèmes sociaux constituent l’une des impasses de ces cinquante dernières années, même si pour ce qui est du Burkina on peut dire qu’il y a des efforts qui sont faits. Il va falloir renforcer les acquis pour qu’il y ait par exemple beaucoup plus de couverture médicale dans le pays. Pour ce qui est de l’éducation, il faut souligner que depuis la Révolution démocratique et populaire, beaucoup d’écoles et de collèges ont été créés. Mais on a tardé à mettre en place des infrastructures du supérieur, de sorte qu’aujourd’hui, on aperçoit un déséquilibre au niveau du système éducatif. Ce qu’il faut reprocher à nos Etats et surtout au Burkina Faso, c’est de considérer le secteur éducatif comme un secteur improductif. C’est une erreur, puisque l’éducation est la base de tout développement.

Si le Burkina Faso veut être un Etat émergent comme notre gouvernement aime à le ressasser, il faut investir dans l’éducation. Le Burkina met à peine 12% de son budget dans l’éducation. C’est très insuffisant. Les pays dit émergents comme les dragons d’Asie du Sud-est (Singapour, Taïwan, Corée du Sud) et d’Amérique latine y mettent un tiers de leur budget. Il n’y aura pas de développement sans le développement des secteurs sociaux. Et sur ce plan je suis d’accord avec vous que les Etats africains n’ont pas fait suffisamment d’efforts.

Comment se porte le Synadec,la structure syndicale que vous dirigez ?

Le Synadec se porte bien. Nous avons entrepris l’année dernière une lutte que nous avons décidé d’arrêter entre temps, parce qu’elle devenait trop longue. De plus, il fallait prendre en compte les intérêts des étudiants, mais aussi les attentes des populations. Nous étions conscients de leur soutien et ces derniers commençaient aussi à se lasser de cette grève. C’est pour cela que nous avons décidé d’arrêter la lutte. Mais le Synadec reste un syndicat vigilant, mobilisé et qui scrute l’évolution de la situation.

Parlant d’évolution, que devient cette commission de réflexion sur le statut particulier de l’enseignant chercheur ?

La commission a été créée en juin et théoriquement installée dans le mois de juillet. Nous avons été invités à prendre part à ses travaux. De ce fait, nous avons désigné un de nos camarades pour y prendre part. Cette commission a déposé son rapport en novembre 2009. Le gouvernement en a fait un projet de loi, qu’il a introduit à l’Assemblée nationale en mars dernier. Finalement c’est le 18 mai 2010 que la loi a été votée, puis promulguée le 10 juin suivant. Il faut rappeler que depuis 1977, le décret n°77/373/PRES/FPT/MF/ENC du 26 septembre, instituait un statut particulier pour les personnels enseignants de l’Enseignement supérieur en Haute-Volta. Mais la loi de 1998, portant régime général de la Fonction publique, a supprimé les statuts particuliers, à l’exception de celui de l’Armée. Le vote de la loi et sa promulgation sont, de ce point de vue, une avancée très appréciable, dans la mesure où cette norme nous redonne le statut particulier. Il a fallu toutefois que nous la revendiquions et menions la lutte que vous connaissez pour que la spécificité de notre profession d’enseignant-chercheur soit derechef reconnue.

Il n’y aura donc plus de mouvement de la part du Synadec ?

Vous savez, cette vie est un perpétuel combat. Il est vrai que nous avons décidé de nous remettre au travail. Mais cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus. Le statut particulier que les enseignants-chercheurs ont obtenu pose les bases de la résolution des problèmes. Il appartient au gouvernement de s’appuyer sur ces acquis pour résoudre nos problèmes. A ce niveau, nous modérons notre enthousiasme, parce que nous savons que plusieurs lois ont été votées dans ce pays, mais n’ont jamais connu d’application. Nous restons donc vigilants et nous accordons du prix à ce que les autorités se penchent sérieusement sur son application et diligentent la signature des décrets d’application de cette loi, afin que la sérénité revienne dans les esprits et que le calme qu’il y a sur nos campus soit durable.

Que feriez-vous justement si le gouvernement venait à ne pas tenir parole ?

Il faut qu’on soit clair. Nous avons levé notre mot d’ordre de grève, nous ne l’avons pas suspendu. La suspension pour nous n’avait pas de sens dans la mesure où la loi prévoit qu’après une suspension d’un mot d’ordre de grève, il faille déposer un autre préavis de grève pour la reprendre. C’est pour cela que nous l’avons levé. Nous reprenons sereinement nos activités académiques en accordant au gouvernement une confiance mesurée. Cela voudrait dire que si le gouvernement venait à ne pas tenir parole comme vous le dites, nous serions amenés à remettre en route le processus de revendications et, consécutivement, à user du droit de grève que la loi nous accorde.

Certes, il y a le statut, mais ce texte en lui-même ne reste que de la littérature juridique qui, si elle n’est pas concrétisée, n’existera que pour meubler les archives. Je veux dire que derrière le statut, il y a un ensemble d’avantages qui doivent être appliqués, pour donner à la loi toute sa valeur. Elle est faite pour valoriser les personnels enseignants de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle sera elle-même valorisée par son application. C’est là qu’on s’apercevra ou non de son efficacité, des difficultés possibles d’application. Et on sera amené à les corriger en amendant la loi. Nous accordons du prix à ce que les autorités définissent un délai d’application raisonnable.

Certains étudiants sont inquiets depuis qu’ils ont appris que les enseignants iront en vacances pour deux mois, alors que les cours viennent à peine de commencer dans certains départements...

Il y a un calendrier universitaire qui a été adopté dans le consensus, avec les étudiants et c’est avec ce calendrier que nous poursuivons nos activités pédagogiques. Au retour des vacances nous allons achever les activités en suspens, en vue de terminer l’année en novembre ou décembre, selon les UFR (unité de formation et de recherche, ndlr), comme le calendrier le prévoit. Je crois qu’ils n’ont pas à s’inquiéter pour ça. Si tout se passe bien, nous pourrons rattraper les retards que nous avons accumulés.

Inoussa Ouédraogo (Stagiaire)

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