Actualités :: Prostitution à Bobo : "Faut déshabiller ! Ou bien tu bouger pas (...)

A son âge et à cette heure de la nuit elle devait être devant sa table d’étude ou au lit. Le sort en a décidé autrement. Sous un caïlcédrat au milieu de la nuit, au cœur de la ville de Bobo-Dioulasso, elle est là assise. Au bord du goudron, à mi- chemin entre Soba hôtel et le maquis Entente. Aïcha se laisse admirer et juge les prix.

Comme dans un marché. « C’est combien, cinq mille ? Non diminue un peu. » « Ok tu donnes 3000F et tu paies la chambre ». Il en est ainsi chaque jour pour Aïcha. Courte de taille, mince, le rouge à lèvres et les produits éclaircissants ont apporté leur touche à sa beauté. A peine vêtue d’un pantalon jean, sur ses hauts talons, elle va et vient entre les clients et le caïlcédrat où elle a "ouvert boutique". A l’instar d’Aïcha, elles sont nombreuses ces jeunes filles bobolaises qui, la nuit venue, s’adonnent à la prostitution. En vue de mieux cerner le phénomène, nous sommes allé au cœur de cet univers aux mœurs et jambes légères. Le constat inquiète. Sérieusement.
500 prostituées ? 600 ? L’on ne saura jamais exactement dénombrer cette "population" de la ville de Sya. Elles sont nombreuses à prendre d’assaut les rues et artères de Bobo chaque nuit pour proposer leurs charmes aux plus offrants. Assises sous des caïlcédrats ou plantées dans le noir au bord des voies, elles sont attentives à tout bruit de moto ou de voiture. Les piétons, eux, doivent les rejoindre dans le noir pour discuter les prix. C’est ce que je fis à mon arrivée.

Le cœur tremblotant mais décidé à faire le voyage dans cet univers, j’avançai. Mon bonsoir rencontre la question de la fille sur laquelle mon choix est porté. « Tu as l’argent ? C’est 5 000F. » La discussion s’engage. Une dizaine de minutes après on s’entend sur le prix de 3000F et je paie la chambre à 500F. Me voilà derrière la moto d’Aïcha pour rallier la maison des chambres noires. A notre arrivée, un grand nombre de ces commerçantes peu orthodoxes étaient massées devant l’entrée principale. Aïcha échange quelques mots avec ses collègues. Nous entrons dans la cour. Là, un groupe de jeunes prend du thé. L’un d’entre eux se détache du groupe et nous rejoint dans le long couloir de la maison. Il ouvre la porte d’une chambre, tend un préservatif à Aïcha et attend mon geste. Les 500F pour la location de la chambre. Je m’empressai d’honorer la facture. Il s’éclipse et Aïcha referme la porte. « Mon argent ! On paie d’abord », m’ordonna- t- elle. A contrecœur je réglai la facture. Elle se déshabille et me somme de faire pareil. Les choses sérieuses commencent. Il faut que je résiste. Je tente d’instaurer un dialogue. Je cherche à savoir qui sont les jeunes assis dans la cour. Elle me répond vaguement qu’ils sont les responsables des lieux. D’autres questions suivirent. Ses réponses aussi. Elle me conta son histoire à elle.

Bientôt Aïcha fêtera son 21è anniversaire. Elle, native de la ville de Bobo. De ses parents elle n’aime pas en parler. Entre deux soupirs elle étala le rouleau de l’histoire qui la mena à ce métier de prostituée. « J’étais en classe de 5è quand mon père a pris une autre femme. Avec elle on ne s’est pas entendues et j’étais obligée de quitter l’école et la famille pour me débrouiller. J’ai trouvé ma copine avec qui tu m’as vu et ensemble nous avons loué une maison. » A cette étape, Aïcha se met brusquement debout. Avec un français approximatif elle me dit : « Faut déshabiller ! Ou bien tu bouger pas ? » Je veux continuer la causerie. Aïcha se fâche, se rhabille et ouvre la porte.

Nous devons partir. D’autres clients attendent. Avec sa moto ma compagne me ramène à son lieu de travail d’où on était partis. On échangea nos contacts et je promis de rappeler le lendemain. Aïcha me fit comprendre qu’elle ne sort pas dans la journée, elle ne reçoit que les nuits. Il était 2h 05mn quand j’ai repris le chemin qui mène à mon hôtel. Tout au long du trajet, elles sont là, les consœurs de celle que je viens de quitter. Elles attendent les clients retardataires. D’autres se font raccompagner. Au côté sud de la mairie centrale, la musique tonne toujours dans les débits de boisson. Bobo est loin de s’endormir à cette heure de la nuit. Elle répond bien à son titre de capitale économique du Burkina Faso. Le deuxième jour de voyage dans l’univers de la prostitution dans la capitale cinquantenaire, voilà ce que j’attends.

Grand- lusine, la prostituion à ciel ouvert !

6h 15mn, je me réveille lourdement. Dehors, le vrombissement des motos et voitures me confirme que Bobo est sur ses pieds. Les uns rejoignent leurs services, les autres ouvrent leurs boutiques. En uniforme, des groupes d’élèves marchent vers leurs lycées. Les travailleurs de la nuit ont passé le relais à ceux de la journée. La roue des affaires tourne. A 11h je compose le numéro d’Aïcha. Le portable sonne mais elle ne décroche pas. J’attends 12h 30 et je rappelle. Même scénario. C’est vrai elle ne travaille pas pendant le jour. Enfin la nuit tombe sur Bobo. En attendant de rappeler Aïcha je décide de sillonner quelques artères de la ville. A un carrefour je rencontre Abdou Nabié, vendeur de cigarettes et autres petits articles. Venu de Boromo pour chercher de l’argent, le jeune Nabié s’assoit à ce carrefour chaque jour entre 18h et 3h. De là il voit tout ou presque. Je m’assis à côté de lui pour échanger sur le sujet de la prostitution.

En la matière Nabié est très prolixe. « Tu sais, à Bobo ici il est très difficile de trouver une fille sérieuse. Le défilé auquel j’assiste chaque nuit à ce carrefour est très décevant. Les filles à moitié nues harcèlent, proposent leurs prix. Et tiens- toi bien il y en a de tous les âges, de tous les poids et de toutes les couleurs », nous confie Abdou Nabié. Il marque brusquement une pause dans son récit pour répondre au bonsoir d’une fille qui passe devant nous. « C’est quand tu vas répondre à mon invitation ? Chaque fois tu dis après mais tu ne viens jamais », s’adresse- t- il à la fille. Elle lui répond par un sourire et continue son chemin. Il reprend le cours du récit. « Tu vois, elle va au travail comme ça. Dans la journée elle vend de petits articles et la nuit elle fait un autre commerce. C’est comme ça ici. A Grand- lusine (entendez par là grande usine, c’est le quartier éponyme des prostituées à Bobo Ndlr) où je sais que tu es déjà passé tu as vu le monde ? Même les hommes mariés, les gourous y vont. Là- bas personne ne connaît personne. Chacun est venu chercher son plaisir », conclut- il. Abdou me confirme qu’il y va souvent pour se satisfaire ». A Grand- lusine le langage est très commercialement codé. « Bonsoir, c’est 5000F. Tu paies combien ? Ok mais tu vas payer la chambre ». La causerie et la drague n’y ont pas leur place. Ici on parle argent.

C’est finalement à 23h que j’ai recomposé le numéro de ma compagne d’hier. Le portable sonne et enfin Aïcha me répond à l’autre bout du fil. « Allô ! Tu veux que je vienne ? C’est 10 000F si je viens chez toi ». Trente minutes plus tard Aïcha frappe à la porte de ma chambre et y entre. Elle me tend un paquet de préservatifs en guise de bonsoir. « Mon argent ! J’encaisse d’abord », me lança Aïcha. Je réussis à la rassurer que je paierai après coup. Elle se déshabilla. Le même ordre d’hier suivit : « faut déshabiller ! Ou bien tu fais pas ? », me questionna- t- elle. « Si, je ferai mais viens t’asseoir d’abord », lui répondis- je. Elle s’assit à côté de moi au bord du lit. Je repris mes questions, la rassurant par moment que je suis intéressée par elle pour une relation durable. Avec confiance elle reprit le récit de son histoire suspendu hier.

« Je fais ce travail parce que je n’ai pas le choix. Si j’ai du soutien je vais reprendre l’école. Ce travail n’est pas sécurisant. Quand les forces de l’ordre te prennent il faut débourser au moins 3000F pour être libérée. En plus je n’ai aucune pièce d’identité. Mon acte de naissance est resté avec mon père mais je ne repartirai plus chez lui. Il y a certains clients qui après le travail ne veulent pas payer. Cela occasionne souvent des bagarres. C’est pour cette raison que désormais nous réclamons notre argent avant d’offrir nos services. Par jour, je peux recevoir jusqu’à dix clients et même plus, c’est vraiment fatiguant. » La causerie continue de plus belle. J’ai la possibilité d’admirer Aïcha de plus près. Les traits laissés par le métier sont perceptibles. Son visage n’est pas celle d’une fille de vingt ans. Le métier a vieilli Aïcha dans sa jeunesse. Ses seins sont complètement avachis. Les produits éclaircissants tentent tant bien que mal de garder un semblant d’éclat. Malgré tout Aïcha aspire toujours au mariage. « Bien sûr que j’aspire au mariage. Si je gagne quelqu’un qui est capable de me donner ce que je veux pourquoi je vais pratiquer ce métier ? Je garde espoir », affirme Aïcha, le regard fixé sur moi.

« Tu as gâté ma journée de travail, tu paieras les 5000 , sinon je bouge pas ! »

Il est 1h environ quand le portable de ma visiteuse sonna. Elle ne décrocha pas. Elle me relança quant à sa proposition. « Tu veux pas faire ? Tu poses trop de questions. Comme tu veux pas faire je vais partir, des gens m’attendent. Donne- moi mon argent je m’en vais. » Elle se rhabilla et tendit sa main. J’y glissai un billet de 1000F. Aïcha est hors d’elle : « Quoi ! mille francs ? Je ne touche pas à ça. Depuis 23h que je suis là jusqu’à cette heure ! Tu as gâté ma journée de travail. Remets- moi mes 5000 je vais partir », se plaint- elle. Je négocie mais elle reste statique. Ses 5000F ou rien. Je lui fis comprendre que je ne peux pas débourser encore cette somme comme hier. Je lui propose de revenir le soir et je ferai mieux. Sa réponse est catégorique : « Non ! Donne- moi pour aujourd’hui. Demain je ne viendrai pas ici ».

Las de convaincre Aïcha je réveille mes collègues pour solliciter de l’aide. A leur tour ils épuisèrent leurs talents de négociateur sans aucun résultat. Aïcha est décidée. Elle ne repartira pas sans les 5000F exigés. La somme de 4000F lui fut proposée. Elle hésite. Rfi nous indique l’heure qu’il fait : 4h à Paris, 2h en temps universel. Puis 3h sonne à son tour. Aïcha menace toujours. « Je ne repartirai pas sans mon argent. Même si c’est jusqu’à 10h je serai là. Tu me prends pour qui ? » Elle devient de plus en plus violente. Mes collègues et moi nous décidons de marcher un tout petit peu. A notre retour nous surprenons Aïcha en train d’étaler des peaux de bananes à ma porte. Elle me tend un piège. Désormais chacun de nous est fâché. Nous ne paierons pas un centime.

4h00 : les voix des muezzins chantonnent l’invite aux fidèles musulmans. Mais elle, est là, postée sur une chaise à l’entrée de la porte. Elle somnole par moment. Mais sa détermination ne s’effrite point. Seule l’expression du visage laisse entrevoir une baisse de la colère. Un vent frais souffle. Elle arrange sa chemise noire sans manches. Elle nous quitte et rentre s’installer dans le canapé du salon. Il est 4h et quart. Dehors, les voix d’un groupe de jeunes violent le calme matinal dans ce quartier de Bobo. Kôkô au côté nord-ouest de la mairie centrale. Dans le salon, la fatigue gagne lentement notre visiteuse. Elle se tourne et se retourne dans le canapé. Je la vois à travers la porte légèrement ouverte. Elle me regarde furtivement, détourne rapidement son regard quand le mien rencontre le sien.

Nous sommes décidés à ne pas céder. Au fur et à mesure que le jour avance, la nuit se rétrécit avec les chances d’Aïcha. Je m’étire pour me détendre et chasser mon sommeil qui menace de plus en plus. 4h48, Aïcha entre dans la douche d’un ami. Elle se lave les mains, revient s’asseoir puis finit par s’allonger sur le canapé. Le chant des muezzins revient. Il est 5h. Je me levai et j’entrai dans le salon. Je la vis allongée. Ses yeux s’ouvrent et se referment par intermittence. A ses côtés elle avait posé un sachet de noix d’anacarde. Je m’approchai et pris le sachet. Un dialogue s’engage. A mes questions de savoir si je peux enlever les noix et où elle avait mis ça sans que je ne vois ; la teneur de son message est plus douce que tout à l’heure. Le rapport de force venait de changer de camp.

Celle qui tout à l’heure ne voulait rien entendre de nous ni même nous sentir était maintenant disposée au dialogue. Je m’assis à côté d’elle. Elle acquiesce par un sourire et commence son mea-culpa. « Excuse-moi pour tout à l’heure. Si tu veux je vais enlever les ordures que j’ai mises sous ta porte. » « Il n’y a pas de problème. C’est ta "journée" de travail qui a été mise à mal. Au lieu de te donner 4000F, je te donnerai 5000F », lui répondis-je. Elle s’étonne. « C’est vrai ? Donne-moi bisou ! Tu es bon. » Je jouai le jeu. Elle s’empresse de se lever et se dirige vers ma porte. J’ouvre celle-ci non sans fierté. Elle se saisit de la serpière et ramène les peaux de banane à la poubelle. Après cela elle me lance : « toi et moi nous devons nous asseoir pour parler et approfondir nos connaissances. Je t’ai parlé de moi mais tu m’as pas dit qui tu es. Si tu veux je reviens ce soir. »

Pourtant elle jurait qu’elle ne voulait plus me revoir. Je lui fis comprendre que je devais repartir le soir à 15h sur Ouagadougou. Elle persiste : « si c’est ça je vais venir à 12h ». Je veux bien mais je travaille jusqu’à 13h et je dois être à la gare à 14h. Elle ramasse sa paire de chaussures et me devance à la sortie, les pieds nus. Je l’accompagne un moment et lui remets 5000f. Elle arrête un taxi, y entre en m’intimant l’ordre de l’appeler plus souvent ou à défaut lui envoyer des messages. Le taxi s’éclipse à un tournant. Je consulte ma montre, elle affiche 5h20mn. En retournant à mon hôtel, plusieurs jeunes garçons ne dépassent à moto avec chacun une fille habillée avec extravagance. Comme Aïcha que je viens de raccompagner. Leur journée de travail est terminée. Jour, nuit ! Tout dépend du métier que l’on exerce.

A quelques mois de la célébration avec faste des cinquante ans d’indépendance de notre pays dans la ville de Bobo, Aïcha et ses collègues s’inquiètent. Quel sort leur sera réservé ? Pourront-elles exercer librement leur métier durant les festivités du cinquantenaire ?

Gabriel Kambou

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