Actualités :: Parenté à plaisanterie : Un ciment social au Burkina

Au Burkina Faso, la parenté à plaisanterie est une pratique légendaire qui existe entre les ethnies, les clans et les individus de générations différentes. Le corps d’un défunt peut être un sujet de raillerie, par le biais des alliances. Aussi, cette pratique traditionnelle permet de calmer les tensions au sein des communautés.

« A la mort d’un San, un Moaga rentre dans la tombe. Les gens meurtris croyaient qu’il allait attraper le corps pour le coucher par terre. On le lui donna, mais il le repoussa. Le manège dura si longtemps que cela provoqua une irritation au sein de la foule. Mais le Moaga était venu de Ouagadougou avec les fils et filles du défunt, c’est eux qui donnèrent de l’argent en expliquant à la foule qu’il était un allié à plaisanterie.

Ainsi il sortit de la tombe et laissa continuer la cérémonie d’enterrement. En remettant l’argent au Moaga, les fils du défunt lui dirent : C’est pour couvrir les frais de carburant. » Ce temoignage extrait de l’ouvrage du chercheur burkinabè, Joseph Alain Sissao, « Alliance et parenté à plaisanterie au Burkina Faso » explique en partie l’ancrage de ces pratiques dans les sociétés traditionnelles au Burkina Faso.

Le samedi,10 juin 2000 lors des funérailles nationales du Cardinal Paul Zoungrana les Sans(parents à plaisanterie des Mossé) ont investi la tombe du défunt,à la cathédrale de Ouagadougou,essayant d’empêcher le corps d’être enterré. C’est après de rudes négociations que le Cardinal a été conduit à sa dernière demeure.

Chez les mossé, le Rakiré( la parenté à plaisanterie) se fait également à l’intérieur du clan. Lorsqu’une vielle personne décède dans une famille, les membres de la famille alliée tourne en dérision la situation de deuil par une parodie de réjouissance.

Elle va jusqu’à souhaiter à la famille éplorée que situations similaires se produisent tous les jours, afin qu’elle puisse danser le Warba( danse tradionnelle Moaga). Pour le professeur, Albert Ouédraogo de l’Université de Ouagadougou, cette façon de célébrer le deuil contribue à dédramatiser la mort ; « Il faut faire en sorte que la famille ne sombre pas dans ce qu’on appelle le deuil pathologique.

Un individu est mort, mais faite en sorte que sa disparition ne tue pas le groupe. Et c’est aux parent à plaisanterie d’assumer ce rôle ». Au Burkina Faso, ces joutes traditionnelles ne sont pas l’apanage des seuls Mossé et des Sans .Toutes les ethnies pratiquent ces rites traditionnels à l’occasion du décès d’un parent à plaisanterie.

Chez certains clans « l’enlèvement du cadavre contre rançon » est autorisé. D’autres vont jusqu’à accuser leurs parents à plaisanterie d’être des sorciers et d’avoir « dévoré » leur propre enfant. Chez les Kassena,Gourounsi du Nahouri,entre les Tiétembou et les Gomgnimbou, les expressions du genres :« Vous avez encore tué,vraiment,vous êtes très forts de ce côté là, bon si c’est ainsi donnez-nous un morceau » sont le plus souvent employées lors des décès.

La parenté à plaisanterie va au delà des ethnies et des clans. Elle est aussi intergénérationnelle. Il existe des alliances entre l’oncle et le neveu et entre les grands-parents et leurs petits fils. Lorsqu’un vieux meurt, ces derniers ne doivent pas pleurer. Ils sont autorisés à user de tous les stratèges pour empêcher retarder l’enterrement. Ils peuvent s’asseoir sur le cercueil, bloquer la porte d’accès au corps, encercler la tombe.

Ils ne permettront la mise en terre qu’après avoir reçu des présents. Un Bobo a confié dans l’œuvre de Joseph Alain.Sissao « Quand mon grand-père est décédé, je me suis mis à pleurer et ma mère m’a demandé pourquoi je pleurais. Pour elle, je ne devais pas pleurer, c’était plutôt elle qui devait pleurer. C’était une manière de me consoler parce qu’entre le grand-père et le petit-fils, il y a la plaisanterie ».

Dans les grandes villes au Burkina Faso ces pratiques se font de plus en plus rares. A Ouagadougou par exemple, les parents à plaisanterie font de moins en moins ces mises en scène pour détendre l’atmosphère lors des décès ou des funérailles.

Le vieux Abdoul Salam Zoungrana (67 ans) se souvient avec nostalgie : « lorsque nous étions encore jeunes, on assistait aux décès et aux funérailles des vielles personnes avec une certaine ferveur. Même si on était malheureux à la perte d’un proche, les membres des familles alliées venaient dérider la situation et on finissait par oublier un peu son chagrin. Ces parents à plaisanterie vous assistent en réalité pendant longtemps ». Il regrette que de nos jours ces pratiques se fassent rares en ville. Après les enterrements, les familles affligées sont très vite oubliées par les « amis ».

« En 1966, le Burkina Faso a échappé à une crise grâce à la parenté à plaisanterie »

Les bienfaits de la parenté à plaisanterie sont nombreux. Elle participe d’une façon ou d’une autre à apaiser les tensions dans les familles, et entre les différents clans de la société. Selon le professeur, Albert Ouédraogo, le Burkina Faso, à l’époque Haute-Volta, a connu une rupture institutionnelle sans effusion de sang aux premières heures de son indépendance à cause de la parenté à plaisanterie. « En 1966, le Burkina Faso a échappé à une crise grâce à la parenté à plaisanterie », a dit M.Ouédraogo. Le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 a conduit le Président Maurice Yaméogo à abandonner les reines du pouvoir.

« Un mossi allait perdre le pouvoir sur un espace majoritairement moaga. Et qui l’a remplacé ? C’est un San, Sangoulé Lamizana, un parent à plaisanterie .De façon inconsciente la parenté a apaisé les esprit sans que les gens ne s’en rendent compte », explique le professeur Ouédraogo. Dans l’exercice de la parenté il est interdit de proférer des injures à l’endroit de son allié ou de verser son sang.

Cette pratique sociale ne peut être située dans le temps. Plusieurs mythes entourent son existence dans la tradition burkinabè. Selon, Albert Ouédraogo tous les parents à plaisanterie au Burkina Faso ont d’abord entretenu des relations conflictuelles avant de nouer des alliances.

Ozias Kiemtoré


Quelques ethnies avec leurs parents à plaisanterie.

Bisa : Gourounsi, San, Yarsé

Birifor : Turka, Gouin, Cerma, Karaboro

Bambara : Koulibaly, Ouattara, Traoré, Koné, Peul

Bobo : Koné, Peul, Bambara

Bobo Dioula : Peul, Sembla, Dafing

Bolon : Dagari

Bwaba : Peul, Coulibaly

Marka : Sénoufo, Peul, Bambara, Bobo, Dioula, Bwaba

Dagari : Turka, Gouin, Karaboro

Fulfuldé : Bobo, Yarsé, forgeron de toute ethnie, Nioniosé, Hausa, Nunuma(Gourounsi)

Gourmantché : Yadsé, Peul, Hausa, Kotokoli, Djerma, Lyélé(Gourounsi), Bella

Lobi : Gouin, Birifor, Toussian, Karaboro, Turka, Siamu

Gourousi : Bisa, Peul, Gourmantché, Djerma

Sénoufo : Dafing

Mossi : San (Nayala, Sourou), Samogo (kénédougou), Dagara

Sembla : Toussian, Bobo-Dioula, Bwaba, Sénoufo

Vigué : Peul, Bwaba

Wara : Dagari

Sonrhai : Djerma, Gourounsi, Dogon, Touré

Hausa : Gourounsi, Djerma

Puguli : Dagari, Lobi, Gouin, Peul, Bwaba, Turka, Sénoufo, Bobo

Toussian : Sembla, Lobi,

Source : « Alliance et parenté à plaisanterie au Burkina Faso », Alain Joseph Sissao.

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