Actualités :: LUC ADOLPHE TIAO, AMBASSADEUR DU BURKINA EN FRANCE : "L’accord sur (...)
Luc Adolphe Tiao, ambassadeur du Burkina en France

C’est, pourrait-on dire, le dernier invité de la rédaction pour l’année 2009. Luc Adolphe Tiao, ambassadeur du Burkina en France, a accepté de répondre à nos questions, le mardi 29 décembre 2009, sans en esquiver aucune. Il nous parle notamment de cette "expérience passionnante" d’ambassadeur, du vote des Burkinabè de l’étranger et de l’accord sur l’immigration que le Burkina a signé avec la France.

"Le Pays" : Quel bilan pouvez-vous déjà faire de votre séjour à Paris ?

Luc Adolphe Tiao : Je voudrais d’abord remercier la rédaction du "Pays" pour l’occasion que vous m’offrez de m’exprimer. Je ne suis encore qu’au début de mon expérience et c’est très difficile de faire un bilan. Ce que nous essayons de faire avec mes collaborateurs, c’est de poursuivre le travail effectué par mon prédécesseur, Filippe Savadogo. Ma préoccupation, c’est de travailler pour que les relations entre le Burkina Faso et la France restent à un niveau très intéressant ainsi qu’être toujours aux côtés de nos compatriotes, malgré les difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés. Depuis donc mon arrivée, j’ai mis l’accent sur deux chapitres, à savoir le renforcement de la coopération bilatérale et la présence aux côtés de nos compatriotes. Pour le moment, je n’ai pas rencontré de difficultés majeures.

On sait que Paris est un grand carrefour pour ceux qui vont en Europe comme aux Etats-Unis. Cela ne vous donne-t-il pas des soucis dans la gestion de votre emploi du temps ?

C’est vrai. Et de ce point de vue, nous sommes beaucoup sollicités par les différents fonctionnaires qui viennent à l’ambassade pour avoir notre accompagnement pour obtenir des visas de pays étrangers. Cela nous occupe énormément. Il y a aussi toutes les personnalités (ministres, présidents d’institution) qui viennent en mission en France ou passent par là pour aller dans d’autres pays. Mais je crois que nous nous organisons de telle sorte que cela ne soit pas une contrainte. Au contraire, c’est avec plaisir que nous les recevons. Evidemment, nous ne sommes pas là seulement pour les fonctionnaires. Tout Burkinabè qui est de passage en France, peut demander l’assistance de la représentation diplomatique. Et du reste, nous le faisons assez régulièrement, soit pour des hommes d’affaires, soit pour des étudiants.

Est-ce que souvent vous n’êtes pas incompris par certaines personnes dont les demandes ne sont pas toujours acceptées ?

Oui. Il faut dire que nous sommes limités parfois par notre parc automobile qui n’est pas bien fourni. Nous ne sommes pas toujours en mesure de répondre aux sollicitations. Cela est tout à fait compréhensible. Mais je peux assurer que les gens nous comprennent souvent. Il y a des ministres qui arrivent en France et qui ne nous dérangent pas du tout en prenant leur taxi de l’aéroport à leur hôtel.

Au regard du caractère stratégique de l’ambassade du Burkina à Paris, est-ce qu’on peut vous qualifier de super ambassadeur ?

Il n’existe pas de super ambassadeur, quelle que soit la taille du pays auprès duquel il est accrédité. Il a les mêmes prérogatives que tous les autres. Celui qui est un super ambassadeur, c’est bien le président du Faso qui est notre patron à tous avec le ministre des Affaires étrangères. Ce sont eux qui définissent la politique que nous devons mener. Maintenant, il est évident qu’à Paris vous êtes plus sollicité que mon collègue qui se trouve en Asie. Et cela vous amène à être plus organisé sur le terrain et mieux attentif aux préoccupations des compatriotes. C’est cela qui peut faire la différence. En dehors de cela, je crois que je ne suis pas différent de mes collègues accrédités dans les autres pays africains, européens et américains.

Peut-on avoir les chiffres de la communauté burkinabè en France et en termes de catégorie (étudiants, travailleurs) ?

Nous avons entre 4 000 et 4 500 Burkinabè en situation régulière, vivant en France. Mais il doit y avoir quelques centaines qui vivent plus ou moins dans la clandestinité. Le problème que nous avons, c’est que les Burkinabè ne se font pas immatriculer auprès des ambassades. Les chiffres que je vous ai donnés sont donc assez aléatoires. Nous essayons alors d’encourager les Burkinabè qui résident en France à se faire connaître à l’ambassade.

"Certains préfèrent rester dans leur coin..."

Il n’y a que des avantages par rapport à cela. Malheureusement, certains préfèrent rester dans leur coin jusqu’au jour où il y a des problèmes. Pour les personnes qui sont dans la clandestinité, c’est normal qu’ils nous fuient de peur d’avoir des problèmes avec la police. Je pense qu’on n’a pas beaucoup de Burkinabè dans cette situation. Il faut dire qu’au niveau de l’ambassade nous avons souvent des informations que nous pouvons mettre à la disposition des Burkinabè, par exemple, dans le domaine de l’immobilier. Il y a souvent des opportunités qui sont offertes mais il faut toucher les Burkinabè pour les informer. Lorsque des autorités burkinabè arrivent en France, nous essayons de contacter nos compatriotes dans les grandes villes. C’est aussi l’occasion pour eux d’être en contact avec ces autorités et d’avoir des informations de première main. Il nous est arrivé de nous retrouver devant des difficultés ; par exemple un compatriote qui décède sans qu’on ne connaisse son identité. Nous sommes intervenus quelquefois auprès des autorités françaises pour nous plaindre et attirer leur attention sur ce que nos compatriotes sont brimés dans leurs droits en France. Mais si vous n’êtes pas immatriculé, comment l’ambassade peut-elle travailler à défendre vos intérêts ? Vous savez aussi que ma mission s’étend à d’autres pays comme le Portugal, l’Espagne et le Saint-Siège. Par exemple, en Espagne, les Burkinabè nous réclament depuis un certain temps parce qu’ils se sentent seuls. Nous allons voir comment les rencontrer pour échanger sur leurs préoccupations.

Comment les Burkinabè ont-ils accueilli le vote des compatriotes de l’étranger ?

Cette décision a été bien accueillie en France comme dans la plupart des pays. Maintenant, tout le monde sait que ce n’est pas facile d’organiser des élections à l’étranger. Les textes ne prévoient les bureaux de vote qu’au siège de la représentation diplomatique et dans les consulats. Les compatriotes nous posent donc des questions par rapport à cela. Celui qui se trouve à Nice va-t-il prendre son train, son TGV ou son avion juste pour venir voter au 159, boulevard Haussman à Paris et repartir ? Autrement, s’il y a des moyens, tout va bien se passer. Du reste, nous avons commencé à informer les Burkinabè et à leur dire de venir s’immatriculer parce que pour voter, il faut avoir sa carte consulaire au moins. Nous avons déjà travaillé avec la CENI et nous avons mis en place la commission électorale indépendante d’ambassade au mois de septembre 2009.

Si le feu vert est donné, nous allons mettre des stratégies pour que les Burkinabè s’inscrivent sur les listes électorales. Pour le moment, la préoccupation essentielle, ce sont les bureaux de vote. Aujourd’hui, on ne peut pas aller ouvrir un bureau de vote dans un lycée en France comme au Burkina. Il faut des accords spéciaux. Le gouvernement ne peut donc agir que sur son territoire à l’étranger, qui est représenté par les ambassades et les consulats. Mais certains ont évoqué les consulats honoraires. C’est possible mais il faudrait assurer la sécurité des lieux en collaboration avec les autorités françaises. Cela n’est pas automatique. Le plus important pour nous, c’est le principe qui a été arrêté, même si pour les prochaines élections, on n’arrive pas à appliquer le vote des Burkinabè de l’étranger. Cela nous permettra dans les années à venir de peaufiner la réflexion.

Lors de la présentation de vos lettres de créance, il est ressorti que vous avez été reçu par un obscur conseiller du ministère des Affaires étrangères, ce qui a pu choquer les Burkinabè. Est-ce que, selon vous, cela relève de la procédure normale ou cela est-il en rapport avec le Burkina, qui est un petit pays pauvre ?

Je pense que notre presse (certains) n’est pas suffisamment informée. Je suis sûr que ceux qui ont parlé de cette affaire ne connaissaient rien en matière de protocole, encore moins de protocole français. Cela a toujours été comme cela. L’innovation même cette fois-ci, c’est que le fonctionnaire du protocole s’est déplacé à l’ambassade. C’est vrai qu’il y a un problème de parallélisme mais cela n’a rien à voir avec nos Etats.

"Ce n’est pas un obscur fonctionnaire..."

Lorsque les ambassadeurs arrivent, que ce soit les Etats-Unis, la Russie ou le Nigeria, ce n’est pas à un directeur mais à un fonctionnaire que vous remettez les copies figurées de votre lettre de créance. Cette fois, le président Sarkozy a voulu innover. Et ce n’est pas un obscur fonctionnaire, c’est un responsable du ministère des Affaires étrangères. Je peux vous dire que certains ambassadeurs ont remis leurs copies figurées à l’aéroport dans le salon d’honneur. Je crois qu’il y a eu une très mauvaise interprétation. Sinon, je peux vous dire que le Burkina est un pays très respecté en France. L’image de notre pays est très forte et je ne vois pas pourquoi il serait brimé. Nous n’avons pas de contentieux avec la France.

"Le Burkina est un pays très respecté en France"

Qu’est-ce qui explique cette embellie ?

Je crois que tout d’abord le président du Faso, Blaise Compaoré, a une très bonne aura sur le plan international. Et les Français jugent d’abord ce qu’il fait à l’intérieur. Malgré les difficultés, c’est un pays qui est stable, qui avance. Dans la sous-région, c’est un pays où il n’y a pas de problèmes majeurs. On me le dit souvent, le Burkina est bien géré et l’Etat fonctionne correctement. Notre président mène également des actions de médiation qui sont bien appréciées par les autorités françaises. L’un dans l’autre, cela fait que le pays est respecté. En plus de cela, il faut saluer toutes les actions menées à travers la coopération décentralisée. Les Français qui viennent au Burkina, qui pour construire des écoles, qui des forages, trouvent que dans la majorité des cas, l’argent est bien géré et bien utilisé ; ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays.

Avez-vous des rapports suivis avec Eric Besson le ministre français de l’Immigration ?

Nous avons de bons rapports. C’est vrai qu’il y a eu des décisions, mais on ne peut pas l’incriminer parce qu’il applique la politique du gouvernement français. Ce n’est pas sa politique. On peut ne pas être d’accord mais c’est comme cela que les choses fonctionnent dans son pays. Je peux vous dire qu’il a beaucoup de sympathie pour le Burkina. Il devait même venir à Ouaga mais c’est prévu pour plus tard. La politique d’immigration française est un débat qui continue. Je voudrais revenir sur l’accord de concertation sur l’immigration qui a été signé en janvier 2009 entre notre pays et la France. De nombreuses personnes ont dit que le Burkina s’est livré à la France. Cet accord, qui doit être ratifié par nos deux Parlements, nous offre plus d’avantages qu’on ne le pense. Lorsqu’il a été signé, nous avons pris notre bâton de pèlerin pour expliquer à nos compatriotes qu’ils n’auraient plus de problèmes. D’abord, l’accord va permettre que le flux migratoire entre les deux pays soit mieux géré et qu’il y ait plus de facilités pour les Burkinabè d’aller en France. Les conditions sont plus précises pour ceux qui optent pour les séjours de longue durée. Il y a toute une gamme de métiers que les Burkinabè peuvent exercer en France. Il y a aussi la possibilité pour certains de se faire régulariser si certaines conditions sont réunies.

"C’est un accord arraché en fonction des intérêts des Burkinabè"

L’un dans l’autre, c’est un accord qui nous est avantageux. Et contrairement à certains pays africains, nous avons pu discuter des clauses de cet accord. Des points ont été arrachés par notre ministère des Affaires étrangères durant les négociations. C’est vrai que c’est un accord arraché en fonction des intérêts des Burkinabè. Maintenant dans l’application des accords, nous allons voir. Il y a un autre aspect de l’accord qui n’a pas été vu. Ce sont les actions de développement solidaire. Il est prévu près de 5 millions d’euros en termes d’investissements directs dans les villages et les communes. Je pense que si les gens prennent le risque d’aller loin, c’est qu’ils ne trouvent pas sur place ce dont ils ont besoin.

Sur le plan africain, que pensez-vous de la fuite en avant permanente du président Tandja ?

C’est difficile pour moi d’en parler au nom du devoir de réserve. Je n’ai pas d’opinion, c’est celle de mon pays qui doit primer. Et en la matière, c’est le ministre des Affaires étrangères qui est fondé pour donner la position du Burkina. Tout ce que je peux dire, c’est de souhaiter que la paix règne dans notre sous-région. Nous souhaitons que les frères nigériens puissent trouver une solution à leur différend. Je m’en tiens strictement à la position de mon pays en ce qui concerne les questions internationales.

Etes-vous plus à l’aise à Paris qu’au CSC ?

Ce ne sont pas les mêmes expériences. J’étais très heureux au CSC parce que c’est mon milieu. A Paris, c’est une expérience très passionnante. Au début, j’avais des appréhensions. Mais aujourd’hui, je trouve que c’est un travail qui me passionne. Et j’espère qu’après quelques années, si on me donne la possibilité de rester, je pourrai vous faire la comparaison entre les deux fonctions. Mais, c’est un travail passionnant de relations publiques et d’innovation. Et comme j’aime bouger et prendre des initiatives, cela me convient parfaitement.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur la presse burkinabè ?

Bien qu’étant à Paris, je continue de suivre l’évolution de la presse burkinabè. Il y a des progrès qui sont réalisés dans certains journaux qui ont leur assise comme aux Editions "Le Pays". Je ne fais pas la langue de bois. Quand on prend ce journal, on sent qu’il y a du professionnalisme derrière. Je me demande pourquoi vous ne songerez pas à changer de format. Est-ce pour des questions économiques ou parce que les Burkinabè aiment ces formats moyens ? Mais, comme je l’ai souligné lors des dernières UACO, il y a encore beaucoup à faire au niveau de certains journaux et radios. Il ne faut pas s’installer dans la médiocrité. Je crois qu’on gagnerait à ce qu’il y ait de l’ordre dans la profession. Et cela, je l’ai toujours dit, dépend des hommes et des femmes de cette profession. J’ai évoqué avec le directeur général, Boureima Jérémie Sigué, de l’Observatoire national de la presse, qu’il a eu l’idée de créer et que nous avons soutenu en son temps. Malheureusement, cela n’a pas marché comme on le voulait.

"Il faut créer un fonds d’appui à la presse"

Cela aurait pu être un complément à ce que fait aujourd’hui Mme Béatrice Damiba à la tête du CSC. Il faudrait qu’on travaille davantage à améliorer le niveau d’ensemble de la presse burkinabè. Depuis que je suis en France, je cherche comment amener des partenariats pour soutenir la presse burkinabè. Je ne perds pas espoir et chaque fois que j’ai la possibilité de rencontrer des fonctionnaires de la Coopération française, j’attire leur attention sur la nécessité d’accompagner la presse africaine. La presse coûte cher et il faut trouver des moyens pour soutenir ses efforts. Il faut créer un fonds d’appui à la presse et cela doit être ficelé au niveau international. Je ne perds pas espoir qu’on pourra débusquer un partenaire qui puisse soutenir la presse pour qu’elle soit plus professionnelle. Je profite de cette occasion pour formuler mes voeux les meilleurs, à l’ensemble de la presse burkinabè et pour les encourager à rechercher l’excellence, quel que soit le bord dans lequel on se trouve (proche du gouvernement ou opposé au gouvernement). Ce n’est pas parce qu’on soutient ou qu’on est contre quelqu’un qu’on doit rester dans la médiocrité. Je souhaite que l’image des journalistes burkinabè puisse encore se renforcer en 2010.

Entretien réalisé par la rédaction et retranscrit par Dayang-ne-Wendé P. SILGA

Le Pays

Burkina : La pose de hénné, un business qui marche pour (...)
Lutte contre le terrorisme : « Il y a certaines (...)
Burkina / Concours de la magistrature : La maîtrise ou (...)
Bobo-Dioulasso : Un an de silence depuis la disparition (...)
Burkina/Coupures d’eau : Au quartier Sin-yiri de (...)
Burkina/Lutte contre l’insécurité : La direction générale (...)
Burkina/CHU Souro Sanou : La CNSS offre une automate de (...)
Burkina/Santé : Médecins Sans Frontières offre de nouveaux (...)
57e session de la Commission population et développement (...)
Burkina/Action sociale : L’association Go Paga devient « (...)
Bobo-Dioulasso : Les chefs coutumiers traditionnels (...)
Burkina Faso : Le secrétaire général de la CGT-B, Moussa (...)
Burkina : La Côte d’Ivoire va accompagner le retour (...)
Burkina/Enseignement supérieur : L’université Joseph (...)
Burkina : « Nous demandons à notre ministre de tutelle de (...)
La Poste Burkina Faso : « Malgré la crise sécuritaire, les (...)
Bobo-Dioulasso : Incinération de produits prohibés d’une (...)
Burkina/ Mesures de réponses aux pandémies et crises (...)
Burkina/ Programme OKDD : Validation d’un plan de (...)
Association Beoog-Neeré du Ganzourgou : 320 caprins pour (...)
Burkina/ Rencontre inter-réseaux 2024 : L’élimination des (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 36519


LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés