Actualités :: André-Eugène Ilboudo : “Les médailles de la République appartiennent à (...)

Il a reçu une médaille mais il n’est pas satisfait. Mieux, il plaide pour que l’on « dépossède » Maître Titinga Frédéric Pacéré de son musée de Manéga. Celui qui dit qu’il a pris sa retraite, quand on le taquine de son absence dans les débats au niveau de la presse, ne manque pas de piquant. André-Eugène Ilboudo, président de l’Association vive le Paysan (AVLP) de Saponé, répond à nos questions après la décoration de son association à l’occasion de la commémoration du 61e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Ainsi, l’aigreur s’est adoucie !

• De quelle aigreur parlez-vous ?

Vous vous êtes déclaré un jour « aigri de la République » parce que vous n’aviez jamais été décoré. C’est chose faite maintenant et, surtout, avec une prestigieuse médaille comme Commandeur de l’ordre du Mérite.

• Tout d’abord, je ne suis pas un aigri et je n’ai aucune raison de l’être ! J’ai répondu à l’époque à une idée qui voulait que ceux qui n’ont jamais été décorés et qui osaient critiquer les imperfections de l’agissement de certains responsables qui vendent les médailles de la République ou qui les distribuent à leurs amis et à leurs copains et copines, soient tous des jaloux et des aigris.

Avec cette médaille le tort est réparé ?

• Pas du tout, puisque la médaille appartient à l’Association vive le Paysan/Saponé que j’ai cofondée avec d’autres en 1979. En 1984, cette association avait déjà reçu la médaille d’argent du Mérite du travail, ce qui correspond à Officier du Mérite. Après 25 ans, et avec la bienveillante sollicitude de Madame le ministre de la Promotion des Droits humains, l’AVLP a été proposée et élevée au titre de commandeur du Mérite.

Nos 42 000 membres et l’ensemble des travailleurs de l’Association, de la Radio vive le Paysan (107 FM) ainsi que du Lycée privé vive le Paysan, sont sensibles à une telle marque de reconnaissance. Cela dit, la médaille est une distinction faite à l’Association et non à moi personnellement. Vous comprendrez que si j’étais aigri il n’y a aucune raison que mon aigreur personnelle s’éteigne, car, toute modestie gardée, j’ai de grandes raisons de revendiquer à titre personnel une médaille.

A ce point là ? Revendiquer dites-vous ?

• Oui, les médailles de la République appartiennent à tous les fils du Burkina. Elles récompensent les efforts collectifs ou individuels de toutes les composantes burkinabè où qu’elles se trouvent et quelle que soit la position qu’elles occupent. Tout Burkinabè devrait, par son travail, prétendre à être distingué. Et le Burkina a intérêt à récompenser ses meilleurs fils, même s’ils ne sont pas tous politiciens partisans. Sur ce point, avec humilité mais avec conviction, je ne suis pas le moins méritant des fils de la République. Je peux dire que je connais certains, dans le monde associatif auquel j’appartiens, qui n’ont pas fait la moitié de ce que j’ai fait et qui sont récompensés à titre personnel.

Si vous prenez aussi le monde du privé, je connais des gens qui, parce qu’ils vont à Dubaï acheter de la pacotille qu’ils revendent, sont aussi décorés à titre personnel. Il est vrai que les trois médailles que l’Association a reçues au cours de ces vingt-cinq dernières années encouragent. Mais je dis que l’Association est dirigée par des personnes et je peux vous dire qu’aucun travailleur de l’AVLP n’a été distingué à titre personnel depuis les trente années continues de notre engagement.

Sur le terrain, vous ne verrez pas une famille de la zone de Saponé qui ne connaisse nos animateurs pour leur engagement quotidien en faveur du développement de la zone. J’apprécie les distinctions faites à l’Association, mais j’aurais aimé aussi que nos travailleurs qui se « défoncent » sur le terrain et qui sont bien connus et appréciés, quand vient l’heure du travail et de la mobilisation, soient aussi reconnus quand sonne l’heure des récompenses.

Quelles sont donc les actions que vous menez tant et qui ne seraient pas reconnues à leur juste valeur ?

• Prenez le Grand Saponé qui comprenait les anciens cantons de Saponé, d’Ipelcé, de Kayao et de Pissi, qui sont notre zone d’action. Sur le plan de l’éducation, ôtez les écoles de Saponé A et B, les écoles de Sambsin (ou Saponé Marché), les premières écoles de Kayao, de Komsilga et de Ipelcé, prenez le reste de toutes les écoles, six écoles sur plus d’une cinquantaine ; si vous trouvez une école sur la cinquantaine, à la construction de laquelle nous n’avons pas participé, je vous donne ma langue à trancher.

En plus, tous les quatre anciens cantons ci-dessus cités ont chacun un lycée départemental. Pour les 3 lycées de Kayao, de Komsilga et d’Ipelcé, nous avons été d’un appui décisif à leur construction. Certaines personnalités comme Justin Songnaaba, natif de Kayao et député, et Julien Nonguierma, l’actuel maire de Komsilgha, ont pris le relais pour la mobilisation.

Ce sont des faits, des actes que l’on peut vérifier. En plus, l’Association Vive le paysan a construit un lycée privé à Saponé. Sur le plan de la santé, nous avons été à l’origine de la construction et de l’ouverture du premier laboratoire rural d’analyses médicales à Saponé. Nous avons rénové le CMA de Saponé avant sa construction. Nous avons fait construire le mur de clôture du CMA et bien d’autres infrastructures, et nous nous sommes impliqués dans les démarches pour la construction du CMA actuel.

Nous avons offert une ambulance au CMA et nous avions construit en 1980 la pharmacie villageoise quand, pour une ordonnance de 10 comprimés d’aspirine, il fallait parcourir Saponé-Ouaga-Saponé. Sur le plan de l’agriculture et de l’environnement, nous avons protégé des milliers d’hectares de terre contre l’érosion, planté des milliers d’arbres et aidé à la construction de petites retenues d’eau. Je passe sous silence les dizaines de banques de céréales construites et les moulins villageois installés.

Je vous parle des actions visibles qui peuvent faire l’objet de vérification physique. Je ne vous parle pas des diverses formations, de l’appui aux élèves au primaire ni des bourses que nous offrons aux élèves démunis pour leurs études au cycle secondaire. Sur le plan de l’administration publique, nous avons construit certains bâtiments publics comme le commissariat de Police de Saponé. Je crois qu’avec de telles réalisations, la personne qui a coordonné ce travail ainsi que ses collaborateurs méritent une marque de reconnaissance de la Nation.

Peut-être que vous êtes impatient.

• Pas du tout ! Une médaille personnelle peut flatter mon ego, mais l’essentiel est que nos actions comme la Radio vive le Paysan soit reconnue. Elle a déjà été décorée en 2003, à l’instar de l’Association. Il s’en est fallu de peu pour que la Radio des écoles (106,4 FM), basée à Ouagadougou, que j’ai fondée au sein du Groupe scolaire l’Académie de Ouagadougou, soit aussi décorée cette année sur proposition du CSC. Même si cela ne vient plus, je suis sensible à la remarque sur le travail que fait la radio des écoles axé sur les questions d’éducation et d’enseignement.

Mais vous remarquerez que les actions de l’Association vive le Paysan qui sont récompensées ne sont pas celles dans les domaines où elle excelle comme l’éducation. Prenons le cas du lycée Vive le Paysan de Saponé, fondé il y a 15 ans, il n’ y a pas une année où son taux de réussite aux examens n’est pas au moins égal au double du taux national, le plaçant parfois en tête de liste de la Région du Centre-Sud. Zéro médaille, bien que des établissements qui ont vu le jour après lui et font moins de résultats voient leur proviseur en une année de travail récompensé.

Prenez le Groupe scolaire l’Académie de Ouagadougou qui comprend une maternelle, un primaire, un secondaire ; ses résultats scolaires et la qualité de son encadrement sont appréciés par les parents d’élèves. Ce sont donc des structures comme le CSC ou la promotion des droits humains qui ne sont même pas représentées au niveau régional qui proposent nos actions à la reconnaissance. Pourtant, les domaines où nous avions apporté un apport décisif, c’est l’éducation formelle et l’alphabétisation.

Depuis nos 30 années de travail, notre association n’a jamais reçu de carte de vœux de fin d’année du département de l’éducation. C’est tout vous dire ! Avec tout cela, ne devrais-je pas manifester une légitime impatience ? Mais cela dit, si l’on voulait me récompenser à titre personnel aujourd’hui, je poserais des préalables. Il faudrait aussi qu’au minimum 10 travailleurs de l’AVLP, avec qui je suis sur la brèche depuis aussi trente ans, soient récompensés. Autrement, je ne trahirais pas leur engagement en recevant, maintenant et seul, une médaille.

Un mot sur l’éducation, puisqu’il semble que c’est le sujet qui vous passionne le plus. • L’éducation, c’est ma profession, ce n’est pas ma fonction. L’Etat m’a aidé à me former à ce métier et c’est ce que je sais faire le mieux. En plus, je suis vraiment heureux et j’éprouve une satisfaction personnelle d’exercer ce métier. Mon ambition est que dans 10 ou 20 ans, quand l’on parlera de l’Education, mon nom soit aussi cité comme celui qui a travaillé pour les enfants. En disant cela, beaucoup vont faire la moue en disant : « regardez-le, Tchrrr ! »

Les Burkinabè médiocres, et ils sont malheureusement les plus nombreux et se retrouvent dans toutes les sphères, aiment les médiocres (Rappelez-vous les 3 M (Méchanceté, Médiocrité et Mesquinerie) de Monsieur Ablassé Ouédraogo) et essaient par tous les alibis de barrer la route à ceux qui se battent. Mais comme j’aime le dire, même la mort ne m’arrêtera pas puisque même au ciel je continuerai à travailler pour les vivants, comme le disait la petite Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus !

Et j’ai pris le parti de faire ma sainteté sur Terre en travaillant à enrichir la vie des autres à travers l’éducation. Dans chaque domaine que vous évoquez, il y a des noms qui vous viennent à l’esprit. Prenez la musique religieuse, c’est le nom de l’abbé Robert Ouédraogo dans celui de la culture, ce sont ceux du Larlé Naaba Anbga et de Maître Pacéré. Si vous parlez de théâtre, il y a messieurs Prosper Kompaoré et Jean Pierre Guingané, de festival il y a Koudbi Koala, des droits humains il y a Halidou Ouédraogo, et bien d’autres personnalités qui ont excellé dans leur domaine.

Le domaine de l’éducation, je ne veux pas faire partie de ceux qui le détruisent. Et il y a bien des points qui nous désolent et qui frisent le complot contre nos enfants. Prenez la rumeur persistante qui se susurre actuellement et qui prétend que l’on va réformer le BEPC très bientôt à un tour. Et pour éviter la colère des élèves et de leurs parents, l’on rabaissera la moyenne. Ainsi, à l’examen même si vous n’avez pas 10/20, l’on vous déclarera toutefois admis avec peut-être une moyenne de 7 ou 8/20.

L’argumentaire officiel est que le BEPC est trop dur pour les élèves parce que les sujets visent à évaluer les moyens au lieu de viser les cancres des classes. A l’avenir, et selon cette réforme en gestation, si elle passe, par voie de conséquence, l’on rabaissera certainement la moyenne de passage dans les classes supérieures. Nous voyons venir les réformateurs. Ils vont nous dire : comme au BEPC l’on n’a pas besoin de moyenne pour être admis, laissez passer les élèves même avec 5/20 de moyenne.

Il n’y aura plus de renvoi ni de redoublement dans les classes du secondaire. Comme vous le savez, au primaire déjà, l’on ne renvoie ni ne redouble dans certaines classes. Et comme vous le savez aussi, nous avons des élèves qui sont admis au CEP et qui ne savent pas écrire leur propre nom. Je dis bien, qui ne savent pas écrire leur propre nom. A cette allure, avec 2/10, un élève aura très bientôt son CEP. J’espère que vous mesurez le caractère alarmant de la situation ? Et quand vous analysez ces faits, il se trouve des personnes pour vous juger subversif ou qui estiment que vous êtes contre leurs collaborateurs.

Vous en avez, visiblement, gros sur le cœur ?

• Vous savez, le Burkina est une terre bénie des dieux, de Dieu ! Si chaque Burkinabè mettait plus son imagination à travailler au lieu de tirer les autres vers le bas, le Burkina serait un pays où il fait bon vivre pour tous. Mais beaucoup concentrent leur énergie à tirer les autres vers le bas au lieu de monter eux-mêmes. Certains qui ont fini de monter, avec le pied, font tomber l’échelle. Ce qui reste à l’homme quand il a tout perdu, c’est sa culture, son éducation et ses convictions. Avez-vous déjà visité le musée de Manéga ? Maître Pacéré est avant tout un homme de droit.

On peut aimer l’homme ou pas et l’on pensera ce que l’on voudra de lui. Il est urgent d’inventer la notion de « patrimoine national applicable aux individus ». Il faut déclarer, par exemple, la personne de maître Pacéré, « patrimoine national » comme l’on a fait des pieds et des mains pour déclarer Lorépéni « patrimoine mondial ». En déclarant Maître Pacéré matrimoine national, on lui appliquera l’adage moaga qui veut que l’esclave et ce qu’il a ramassé par terre appartiennent à son maître.

Je propose que l’Etat du Burkina le « dépossède » de son musée en lui versant un franc symbolique. A ce moment alors, l’Etat pourrait, du vivant de Maître Pacéré, lui donner les moyens nécessaires pour qu’il aille jusqu’au bout de ses possibilités pour ce musée, le viabiliser davantage et pour que Maître Pacéré donne des pistes afin que ce musée soit pérenne.

Dans 100 ans, Maître Pacéré ne sera plus là et ce serait dommage qu’après lui son musée se meure comme la chorale Naaba Sanem se meurt après l’abbé Robert ! Et en plaidant encore une fois pour le musée de Manéga, je plaide pour tous ceux qui s’investissent dans la préservation de notre culture et dans l’éducation de nos enfants. A chaque Burkinabè, je souhaite que Dieu accorde 150 ans de vie digne !

Propos recueillis par Bernard Zangré

L’Observateur Paalga

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