Actualités :: Taxis à gaz : Ces bombes roulantes à Bobo-Dioulasso

Aussi atypique que cela puisse paraître, il y a des taxis qui fonctionnent avec des bonbonnes de gaz butane dans la ville de Bobo-Dioulasso. Ces véhicules, conçus pour rouler à l’essence ou au gasoil, ont été par la suite modifiés pour des raisons économiques. Une pratique pourtant interdite par les autorités compétentes qui redoutent ses conséquences.

Motus et bouche cousue. Les taximen qui utilisent les véhicules équipés de bouteilles de gaz à Bobo-Dioulasso, sont presque tous muets comme des carpes. Impossible d’arracher le moindre mot à ces gens qui jouent la carte de la discrétion. Mais à toute règle, il y a bien une exception. Même dans celle du silence. Nous avons réussi à faire parler un taximan dont le véhicule roule à gaz. YT (il a requis l’anonymat) a plus de 7 ans d’expérience dans le métier. « Depuis quelques mois, mon véhicule, propriété d’un particulier pour qui je travaille, a été équipé du système de gaz. Cette transformation de source d’énergie a été opérée par un garagiste ivoirien, installé à Bobo-Dioulasso, pour un coût de 175 000 F CFA comme c’est le cas pour tout type de voiture », confie-t-il. YT soutient avoir procédé à ce changement pour des raisons économiques comme c’est le cas chez les autres taximen.

« Mon taxi à essence est maintenant alimenté au moyen d’une bouteille de gaz de 12 Kg. Un système très bénéfique », s’est-il réjoui. A entendre YT, son véhicule à essence (une Peugeot 305), n’était plus rentable à cause de la flambée du prix du carburant. « Il me fallait alors opter pour cette alternative qui rapporte », explique-t-il. Et de souligner que : « Une bouteille de gaz de 12 Kg, chargée à 4 000 F CFA, me rapporte 8 000 F CFA pour une durée d’utilisation de 10 heures en moyenne. Ce qui me fait un bénéfice de 4000 F CFA par bouteille ». Pour lui, le système à gaz est nettement plus économique : « Avec 8000 F CFA d’essence, je ne fais pas plus de 10 000 FCFA de recettes, ce qui donne un bénéfice insignifiant de 2 000 F CFA. Ce n’est pas à comparer avec le gaz ».
Afin de faire fructifier ses affaires, YT est donc passé au système à gaz dont il vante aussi « le mérite de polluer moins l’atmosphère ».

Un système « sécurisé » et « moins pollueur »

Le taximan révèle que tous les taxis (à essence ou au gas-oil) qui n’utilisent pas le système à gaz, traînent un nuage de fumée à chaque passage. Mais sait-il que la pratique est interdite par l’Etat à cause des incendies qu’elle peut provoquer ? « Je ne suis pas au courant de l’interdiction du système dans notre pays. Je l’ai connu avec des conducteurs de la Côte d’Ivoire, du Togo et du Ghana. Dans ces pays, les gens utilisent les véhicules à gaz sans problème », répond-il. Quand nous l’informons qu’une campagne publicitaire, interdisant l’usage de ces voitures, a cours en Côte d’Ivoire, YT n’y croit pas du tout. Il rebondit : « Il n’y a pas que les voitures à gaz qui peuvent prendre feu. Les véhicules à essence ou à gasoil le peuvent aussi ». Remonté après tout, le chauffeur de taxi condamne l’attitude des autorités : « Dans notre pays, tout est compliqué alors que certains font ce qu’ils veulent. Si l’Etat veut arrêter le système à gaz, il n’a qu’à travailler à faire baisser le prix de l’essence ». Convaincu des avantages du système, YT, dit ne pas avoir de problèmes avec son taxi à gaz.

« Mon véhicule n’a jamais pris feu. Les gens croient que la fumée de gaz qui sort du tuyau d’échappement est inflammable, mais il n’en est rien. Le gaz est transformé dans le moteur de telle sorte qu’il ne peut plus s’enflammer », relève-t-il. Et d’ajouter : « Après montage, le garagiste allume un brin d’allumette qu’il passe dans la fumée de gaz pour vous montrer qu’elle ne prend pas feu. Et l’étonnement du client de ne pas voir de flammes est toujours grand ».

Aperçu sur la mise au point du système

Au fait, comment le système à gaz est-il mis au point ? A défaut du garagiste ivoirien que nous avons cherché à rencontrer en vain, YT a bien voulu nous éclairer. Le changement de source d’énergie consiste en un montage de tuyauterie qui relie la bouteille de gaz de 12 Kg, installée dans le coffre arrière du véhicule, au moteur. « Cela n’empêche pas la fonctionnalité du système à essence ou à gasoil. Il suffit de tourner un bouton pour passer d’un système à l’autre », précise-t-il. De l’avis de YT, « il n y a pas que les taxis qui roulent à gaz. Des véhicules de particuliers et même de l’Etat sont équipés du système ». Des véhicules « fond rouge » ? Nos investigations ne nous ont pas permis de voir un seul véhicule de l’Etat équipé du système à part ceux qui ont été fabriqués à l’origine pour rouler à l’essence et à gaz. Par contre, nous avons été mis en contact avec un particulier qui n’a pas voulu s’entretenir avec nous.

Si les taxis à gaz sont légion dans la ville de Sya, les clients qui les empruntent ne l’ont pas toujours su. Selon YT, bon nombre de clients ne savent pas qu’il y a des taxis à gaz. « Beaucoup de clients ne savent pas cela. Ce d’autant plus qu’on ne sent pas l’odeur du gaz à l’intérieur du véhicule. C’est plutôt à travers la fumée du pot d’échappement qu’on le ressent », fait-il remarquer. Contactés, de nombreux clients, stupéfaits, disent effectivement ne pas savoir cela. C’est le cas d’Yvonne Batango qui a soutenu : « Je n’ai jamais su cela ». Toutefois, l’un d’entre eux a, sous le couvert de l’anonymat, affirmé : « Un taximan qui utilise le système, me l’a déjà dit un jour ». Quoiqu’il en soit, le secrétaire général (SG) du syndicat des taximen de Bobo-Dioulasso, Moussa Bamba, ne passe pas par quatre chemins pour condamner le phénomène. « C’est une mauvaise pratique qui prend malheureusement de l’ampleur.

Elle est très dangereuse en ce sens qu’elle peut provoquer des incendies. C’est dommage que certains taximen pensent à remplir leurs poches et non à leur vie », avance-t-il. L’air mécontent, le syndicaliste fait savoir : « Nous sensibilisons les taximen concernés d’arrêter cette transformation d’énergie. Mais à chaque fois que nous attirons leur attention, ils rejettent la responsabilité sur les propriétaires des véhicules que nous ne connaissons pas pour la plupart ». Et de conclure : « C’est à l’Etat de travailler à réprimer la pratique ». Toujours est-il que le sujet est sensible à tel point que le chef d’antenne du Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA) de Bobo-Dioulasso s’est refusé à tout commentaire. Du reste, ce dernier s’est contenté de nous renvoyer au gouvernorat des Hauts-Bassins où nous étions censés trouver le rapport d’une enquête, commanditée en 2008 par Mathieu Bêbrigda Ouédraogo, ancien gouverneur de la région.

Cette investigation, menée par le CCVA et la gendarmerie, a permis de se faire une idée sur le phénomène dans la ville de Sya. Une copie du rapport de l’enquête dit « on confidentiel » aurait aussi été remise à la direction régionale des transports des Hauts-Bassins. Malheureusement, nous n’avons pas pu le consulter : les deux structures (gouvernorat des Hauts-Bassins et direction régionale des transports) n’ont pas été en mesure de nous retrouver le rapport malgré les nombreuses fouilles. Néanmoins, nous avons joint au téléphone l’ancien gouverneur de la région, Bêbrigda Mathieu Ouédraogo, qui a sommairement livré le contenu du document. « L’enquête avait effectivement révélé l’existence du phénomène avec des cas. J’avais alors souhaité que les services compétents luttent contre le phénomène », nous-a-t-il dit. Par ailleurs, le Directeur régional (DR) des transports des Hauts-Bassins, Adama Compaoré, s’est prononcé sur le phénomène. « La transformation de source d’énergie, de l’essence au gaz, est illégale.

Elle est interdite par mon département à cause des incendies qu’elle peut provoquer », a-t-il opiné. Les contrevenants s’exposent-ils à des sanctions ? Lesquelles ? Se disant ne pas être très imprégné du sujet, le DR n’a pas pu apporter des éléments de réponse à ces deux questions. L’Etat ne gagnerait-il pas à sécuriser le système surtout dans un contexte de vie chère ? Notre interlocuteur est catégorique dans sa réponse : « Je ne trouve pas cela envisageable, car on ne peut pas trouver un montage plus sécurisé que le système du gaz mis au point à l’origine. Même si l’argent est important, on ne peut légaliser une telle pratique ». Tout compte fait, le DR trouve qu’ « il serait mieux que les taximen arrêtent d’exploiter ce système pour leur propre sécurité et celle de leurs passagers ».

Kader Patrick KARANTAO (stkaderonline@yahoo.fr)


Un phénomène mondial

Le Burkina Faso n’est pas la seule nation à connaître le phénomène des taxis à gaz. On trouve aussi ces véhicules dans d’autres pays de la sous-région, tels la Côte d’Ivoire, le Togo et le Ghana. Si pour la plupart, les Etats interdisent cette transformation de source d’énergie à cause des risques d’incendie, ce n’est pas le cas au Ghana. Dans ce pays, a-t-on appris, les autorités ont autorisé les utilisateurs du système à le faire. Mais au-delà du continent africain, le phénomène a cours ailleurs. C’est le cas au Cambodge et en Thaïlande pour ne citer que ces pays.


L’Etat peut-il tolérer le système à gaz ?

Dans un pays comme le Burkina Faso où le gaz butane est subventionné au profit des ménages (un peu moins de 50% à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso), on a de sérieux doutes à croire que l’Etat admette que des taxis fonctionnent avec cette source d’énergie plutôt que l’essence ou le gasoil. Et cela est d’autant plus pensable que, l’abandon de l’essence ou du gasoil au profit du gaz butane par les taximen causerait d’importants manque à gagner financiers à la nation. On est donc loin de s’attendre à ce que nos autorités emboîtent le pas de celle du Ghana qui, a fini par autoriser les taxis à gaz.

K.P.K

Sidwaya

Burkina : La pose de hénné, un business qui marche pour (...)
Lutte contre le terrorisme : « Il y a certaines (...)
Burkina / Concours de la magistrature : La maîtrise ou (...)
Bobo-Dioulasso : Un an de silence depuis la disparition (...)
Burkina/Coupures d’eau : Au quartier Sin-yiri de (...)
Burkina/Lutte contre l’insécurité : La direction générale (...)
Burkina/CHU Souro Sanou : La CNSS offre une automate de (...)
Burkina/Santé : Médecins Sans Frontières offre de nouveaux (...)
57e session de la Commission population et développement (...)
Burkina/Action sociale : L’association Go Paga devient « (...)
Bobo-Dioulasso : Les chefs coutumiers traditionnels (...)
Burkina Faso : Le secrétaire général de la CGT-B, Moussa (...)
Burkina : La Côte d’Ivoire va accompagner le retour (...)
Burkina/Enseignement supérieur : L’université Joseph (...)
Burkina : « Nous demandons à notre ministre de tutelle de (...)
La Poste Burkina Faso : « Malgré la crise sécuritaire, les (...)
Bobo-Dioulasso : Incinération de produits prohibés d’une (...)
Burkina/ Mesures de réponses aux pandémies et crises (...)
Burkina/ Programme OKDD : Validation d’un plan de (...)
Association Beoog-Neeré du Ganzourgou : 320 caprins pour (...)
Burkina/ Rencontre inter-réseaux 2024 : L’élimination des (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 36519


LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés