Actualités :: Bakary Ouattara, morguier : “J’ai parlé à un cadavre un jour”
Bakary Ouattara

Depuis le 9 avril 2001, Bakary Ouattara, est responsable de la morgue du Centre hospitalier universitaire Sourô-Sanou (CHUSS) de Bobo-Dioulasso. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le lundi 14 septembre 2009, cet ancien brancardier fait des révélations sur son métier et la mort. Témoignage émouvant d’un morguier (croque-mort pour bon nombre de personnes) de 40 ans, marié et père de trois enfants.

Sidwaya (S.) : On ne devient pas responsable de morgue par hasard. Comment en êtes-vous arrivé à là ?

Bakary Ouattara (B.O) : J’ai d’abord exercé le métier de brancardier pendant 5 ans. C’est à l’issue de cette fonction que j’ai été recruté en 2001 comme responsable de la morgue de l’hôpital Sourô-Sanou de Bobo-Dioulasso suite à un concours. J’ai aussi reçu une formation d’embaumeur de corps au Bénin.

S. : Vous êtes morguier, en quoi consiste ce travail ?

B.O. : Un morguier est un employé de morgue, l’endroit où on conserve les cadavres. Notre travail consiste donc à conserver des dépouilles mortelles à une température de -2°C. Nous nous occupons surtout des formalités administratives concernant la conservation et le transfert des cadavres vers les maisons funèbres. Cependant, le morguier ne saurait être confondu au croque-mort comme les gens le font. On ne peut pas parler de croque-mort dans une morgue hospitalière ou maison mortuaire.
Le croque-mort est un employé de pompes funèbres, le service qui organise les funérailles d’un cadavre, de l’enlèvement du corps à la morgue jusqu’à l’enterrement dans un cimetière. Laver, embaumer et embellir le cadavre, font également partie du travail du croque-mort. Au Burkina Faso, nous devons parler de morguier et non de croque-mort car nous n’avons pas la culture des services de pompes funèbres comme c’est le cas en Côte d’Ivoire ou ailleurs. Comme les gens ne comprennent pas, ils confondent morguier et croque-mort, mais sans avoir totalement tort dans la mesure où les deux métiers consistent en la manipulation de cadavres.

S. : Ne vous arrive-t-il pas de jouer au croque-mort ?

B.O. : Cela m’arrive souvent et ça ne me déplaît pas de le faire. En de pareilles situations, j’ai l’impression de servir à quelque chose.

S. Les morguiers sont-ils vus comme des gens ordinaires dans la société ?

B.O. : Ce n’est pas tout à fait le cas. Les gens pensent que j’ai des pouvoirs mystiques, pourtant il n’en est rien.

S. : Vous faites peur aux gens alors.

B.O. : Oui. Et je crois que les gens ont peur de moi, au même titre que les cadavres.

S. : Fait-on de vous un cadavre avant l’heure ?

B.O. : Non. Les gens ne font pas forcément de moi un cadavre. Seulement, le fait que je sois permanemment en contact avec les cadavres fait peur à mes semblables. On pense que je suis un surhomme.

S. : Vous êtes marié et père de trois enfants. N’effrayez-vous pas votre petite famille de par votre fonction ?

B.O. : Je n’ai absolument pas de problème à ce niveau. Ma femme fréquente régulièrement mon service et m’assiste parfois quand je travaille sur mes rapports de fin de mois la nuit. Peut-être qu’elle a une part de mes soi-disant pouvoirs mystiques (rires).

S. : Vous dites que vous n’avez pas peur de travailler à la morgue. Est-ce que c’était le cas à vos débuts dans la manipulation des cadavres ?

B.O. : J’avais des sueurs froides quand j’ai débuté en tant que brancardier. Mais après, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas lieu d’avoir peur.

S. : Un cadavre ça ne vous dit absolument rien…

B.O. : Rien du tout. Cependant, il faut dire qu’on a souvent des sensations bizarres en manipulant les cadavres. Il y a des corps qu’on manipule à l’aise. Par contre, il y a d’autres qu’on peut manipuler et se sentir un peu mal en point.

S. A vous écouter, on se demande si vous avez encore peur de la mort.

B.O. : Je n’ai pas peur de la mort. Nous sommes tous condamnés à mourir. Donc il n’y a pas de quoi s’inquiéter.

S. : Il se dit qu’au regard de votre métier, certaines personnes vous approchent pour se procurer des organes humains à des fins occultes. Est-ce vrai ?

B.O. : C’est vrai, car cela m’est arrivé plusieurs fois. Un jour, j’ai reçu la visite d’un marabout d’un pays voisin à la recherche d’organes génitaux humains pour des sacrifices dans son pays. Il m’a proposé de lui en trouver, contre une forte récompense. Je l’ai tout de suite refoulé en lui disant que s’il insiste, j’appelle la police. Il s’est retiré dare-dare.
Une autre fois, il y a un monsieur vivant à Bobo-Dioulasso qui s’est présenté à moi comme quoi, il voulait l’œil d’un cadavre. J’ai refusé et il m’a menacé. J’en ai fait part à mon supérieur hiérarchique avant de le laisser partir. Contre toute attente, l’intéressé est décédé quelque temps après et son cadavre a été conduit à la morgue chez nous. J’ai appris qu’on l’a trouvé raide mort sur son lit.

S. : Est-ce que ce n’est pas vous qui êtes à l’origine de la mort de cet individu ?

B.O. : Absolument pas ! Il a peut-être tenté des pratiques occultes qui n’ont pas marché ou je ne sais quoi. Toujours est-il que quand on a amené son corps pour la conservation, je suis rentré parler à son cadavre. En présence de ses enfants, je lui ai demandé si c’était intéressant que j’enlève son œil pour le donner à autrui.

S. : Vous avez osé parler à un cadavre ?

B.O. : Oui ! Je pense que les cadavres entendent, car selon ce que je sais, les esprits ne sont jamais loin. Ce cadavre m’a certainement entendu.

S. : Est-ce que dans l’exercice de votre métier, il vous est déjà arrivé des événements étranges ?

B.O. : En aucun cas. Il arrive parfois que je m’étonne de la vie, rien qu’à voir des cadavres de riches et de pauvres posés côte-à-côte. Alors que dans la vie courante, la différence entre riches et pauvres est perceptible.

S. : Mais comment vous vous sentez quand vous manipulez le cadavre d’une connaissance ou d’un proche ?

B.O. : Je me sens pareil à tout le monde quand j’ai affaire au cadavre d’un proche. Souvent, je me dis que tout le temps passé à la morgue m’a mis au-dessus des autres, mais je me trompe. Un jour, j’ai perdu un ami et je me suis rendu compte que je pleurais plus que tout le monde. Cela m’a fait comprendre bien de choses.

S. : “ Tout travail mérite salaire ”, comment les morguiers sont-ils rémunérés ?

B.O. : Au Burkina Faso, il n’y a pas de grille salariale pour les morguiers, ou croque-mort pour certains. Nous sommes considérés comme personnel de soutien des hôpitaux et assimilés à une catégorie de la Fonction publique que je préférerais taire.

S. : Peut-on vivre du métier de morguier ou de croque-mort ?

B.O. : Bien sûr. Malheureusement, ces métiers ne sont pas très en vue au Burkina comme ailleurs.

S. : Tout métier a des contraintes. Quelles sont les vôtres ?

B.O. : Il y a pratiquement une seule contrainte : nous travaillons beaucoup au regard de la particularité du métier.

S. : Les morguiers ou croque-mort du Burkina sont-ils regroupés au sein d’une association ?

B.O. : Nous ne sommes pas regroupés au sein d’une association. Nous ne sommes pas nombreux sur le territoire.

S. : Avez-vous un appel à lancer aux populations ?

B.O. : Je voudrais dire aux Bobolais que la morgue de l’hôpital de Bobo-Dioulasso leur appartient. Lorsqu’il y a généralement un décès, les gens ont tendance à garder le corps à la maison. Ce qu’il ne faut pas faire, car il peut avoir des problèmes de contagion surtout si la personne est morte d’une maladie contagieuse. Pour ce faire, j’invite les Bobolais à venir déposer leurs morts chez nous où les conditions de conservation des cadavres sont réunies, même si cela coûte cher (15 000 F CFA/jour).

Entretien réalisé par Kader Patrick KARANTAO (stkaderonline@yahoo.fr)

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