Actualités :: Enseignement franco- arabe : La modernisation, un souci partagé

Initiative privée visant à développer l’éducation, l’enseignement franco-arabe, présent au Burkina Faso depuis la fin des années cinquante, demeure un maillon faible, parce qu’ayant évolué pendant longtemps en marge du système éducatif national. Aujourd’hui, tous les acteurs reconnaissent la nécessité de repenser ce sous-secteur, mais des sacrifices doivent se faire de part et d’autre.

Sur 2 299 écoles primaires privées dénombrées par le ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation à la rentrée 2006-2007, 1 621, soit 71% étaient des madersas et des écoles franco-arabes. Ces statistiques montrent bien que ces établissements scolaires répondent aux aspirations morales et éducationnelles d’une frange importante de la population. Selon le directeur de l’Enseignement de base privé, François de Salles Sédégo, ces écoles ont, en sus une capacité d’adaptation en ce sens qu’elles prospèrent là où les écoles privées classiques peinent à s’implanter.

D’ailleurs, il explique que les écoles franco-arabes sont préférées aux écoles classiques, dans les zones fortement islamisées. M. Traoré est parent d’élèves. En bon musulman, il estime que son fils a besoin de connaître la religion pour bien la pratiquer. De là à n’apprendre que cela ! "Rien n’est au-dessus de Dieu, et c’est lui qui détermine votre destin ici bas", affirme-t-il. Donc quel mal y aurait-il à s’y consacrer entièrement ? Les thèses comme celles de M. Traoré ont prévalu pendant longtemps dans ce milieu ; argumentaire qui a poussé certains parents à confier leurs progénitures à des lettrés arabophones pour leur instruction. "Ces maîtres n’ayant pas les moyens de s’occuper convenablement des enfants, les envoient dans la rue mendier ou les utilisent comme main d’œuvre dans les champs", explique le Dr Cheick Aboubacar Doucouré, promoteur d’écoles. Conséquences, ces enfants perdent le temps pour ne pas apprendre grand chose en fin de compte.

"Après dix ans, certains ne peuvent pas s’exprimer en arabe", ajoute-il. C’est fort de ce constat que les écoles franco-arabes se sont créées, avec pour objectif "d’aider les enfants à participer à la vie active et sociale du pays, car dit-il, il est bon de préparer la vie dans l’Au-delà, mais il est également important de vivre dignement sur terre, produire un citoyen utile à la société".

Quant à la langue arabe, Dr Doucouré justifie son usage en ces termes : "C’est l’une des langues les plus parlées au monde à cause de l’Islam et nous sommes convaincus qu’on ne peut bien comprendre de cette religion sans apprendre l’arabe, langue officielle de l’Union africaine et de l’ONU. Elle a toute sa place dans l’univers éducatif.
L’objectif principal des écoles franco-arabes est d’enseigner les matières classiques, en y ajoutant l’arabe et l’éducation islamique. En dépit de leur poids numérique et de tous les atouts qu’elles présentent, et qui pourraient contribuer considérablement à l’essor de l’éducation au Burkina Faso, ces écoles bilingues peinent à s’intégrer dans le système éducatif et pour cause ! Sur le terrain, la réalité est tout autre.

Des atouts certes, mais peu de résultats

Le directeur de l’Enseignement de base privé justifie la faiblesse de ces écoles par d’abord leur caractère clandestin. 895 sur les 1 621 écoles ne sont pas reconnues, c’est-à-dire que les promoteurs n’ont pas suivi les procédures normales d’ouverture d’une école. La méconnaissance des textes et le manque de moyens permettant de construire des écoles dignes de ce nom en seraient les causes, a-t-on appris dans le milieu.

Qu’est-ce qui explique d’ailleurs un foisonnement spectaculaire du secteur ? Dr Oualilaï Kindo, doyen de la Faculté des sciences de l’éducation du Centre universitaire polyvalent estime que cette situation n’est pas étonnante. Pour lui, plusieurs enfants évoluent depuis des années dans ce sous- système éducatif. Les acteurs n’ayant pas pris de dispositions nécessaires pour l’insertion socioprofessionnelle des sortants, les diplômés arabisants de retour de leur formation avec parfois un Doctorat en poche font face à des difficultés de valorisation de leurs acquis. Les chances d’intégrer l’administration publique sont très minces. "Enseigner dans une école ne lui procurera que 35 à 50 000 F CFA et souvent, avec des conditions insupportables", a déploré Dr. Kindo. Alors que faire ? "Certains se débrouillent avec une, deux classes", a jouté Dr. Doucouré.

En plus, l’insuffisance de référentiel, la non qualification du personnel (10% des enseignants sont titulaires de titres de capacité) ; les enseignants ne bénéficient pas de plan de carrière et enfin les salaires dérisoires sont d’autres facteurs de la faiblesse du système. Dans ce contexte, on ne parle même pas de budget de fonctionnement, constitué essentiellement de frais de scolarité qui, non seulement est insignifiant, mais selon les promoteurs, est difficilement recouvré. A ce propos, Dr Doucouré témoigne : "ces écoles ne sont pas subventionnées et sont parfois implantées dans des zones pauvres où les parents n’arrivent pas à payer la scolarité des enfants".

Il existe un programme officiel en vigueur depuis 1996, mais l’application n’est pas effective dans la plupart des écoles. Aux dires de M. Sédégo, presque chaque établissement dispose d’un programme de provenance diverse. Naturellement, l’organisation des examens et les diplômes délivrés en dépendent. Certaines écoles sont citées en exemple mais sont peu nombreuses.
D’autres ont trouvé des astuces pour réhausser le niveau des élèves et leur donner plus de chance. Mais dans l’ensemble, et devant tant d’insuffisances, "l’apport qualitatif de cet enseignement au développement de notre système éducatif est largement en deçà des attentes de l’Etat dont l’ambition est d’offrir un enseignement de qualité à tous les enfants burkinabè aussi bien du public que du privé", a déploré M. Sédégo.

La modernisation, un défi

Zakiatou Zoungrouna, 17 ans, est en classe de 1ère à la médersa centrale (NDL : nous l’avons rencontrée au cours de l’année 2007-2008). Son souhait, c’est de pouvoir poursuivre ses études en français et obtenir plus tard une place dans l’administration publique. Ambition légitime pour tout enfant de son âge. Sauf que Mlle Zoungrana a un handicap. Son niveau en français ne lui permet pas de postuler au BAC officiel. Elle peut bien sûr prétendre au BAC arabe, organisé par les écoles de la communauté musulmane, mais ce diplôme ne lui ouvre pas les portes de
l’Université. Son camarade d’école, Malick Sanon a la même ambition, mais est confronté au même problème.

La difficulté d’application du programme officiel et l’inscription en cours de cycle de certains élèves venus d’autres écoles n’ayant pas le même programme font que les élèves se retrouvent dans la même classe, sans avoir le même niveau en français. C’est ainsi que Zakiatou étant en 1ère a un niveau de 6e, en français et Malick en un niveau CM2 dans cette matière. Cette mesure, selon le directeur de la médersa centrale, Malick Kanazoé, vise à relever le niveau des enfants en français afin qu’ils postulent parallèlement aux examens officiels organisés par l’Etat.
Le français est certes la langue officielle du Burkina Faso mais il est diversement introduit dans les programmes des écoles franco-arabes, et ce, en dépit des instructions officielles. Conséquence, les diplômés sont chaque année mis sur le marché, sans possibilité d’insertion socio- professionnelle. L’organisation des rencontres sur le secteur, la formation des enseignants et l’octroi des manuels aux élèves arabisants sont entre autre la preuve que l’Etat s’intéresse à ces établissements.

Quant aux promoteurs, ils disent être très conscients de la situation. C’est le cas de M. Kanazoé, de El Hadj Adama Ouédraogo (Aorèma) et de Check Doucouré. Tous reconnaissent la nécessité de renforcer l’enseignement du français dans leurs écoles. Aussi, dans certaines écoles, des élèves sont inscrits en cours du soir pour renforcer leur capacité et multiplier leur chance. "Nous sommes conscients des limites de l’Etat, mais les fondateurs ne sont pas nantis non plus", a indiqué Cheick Doucouré. Pour lui, c’est le manque de moyens qui explique la difficulté à appliquer le protocole proposé par le ministère. Les enseignants de la langue arabe et de l’éducation islamique sont peu exigeants par rapport à ceux en français. L’autre problème, c’est que les promoteurs ne sont pas regroupés. Les intérêts divergent. Cependant, a indiqué le Dr Doukouré, il y a des écoles modèles que l’Etat peut aider à mieux travailler, à appliquer les instructions. "Si on en arrive à là, on pourrait octroyer aux sortants, des diplômes reconnus, à l’instar de certains pays de la sous-région tels que le Niger, le Sénégal... et nos diplômés pourraient intégrer les écoles supérieures du pays".

De plus en plus, les bourses se raréfient et d’ailleurs, Dr Doucouré pense qu’étudier à l’extérieur comporte des risques : "Les étudiants épousent des philosophies qui sont incompatibles avec les nôtres ; c’est pourquoi, il est préférable de former nos jeunes sur place".
Dr Oualilaï Kindo, doyen de la Faculté des sciences de l’éducation du centre universitaire polyvalent, après plus de 20 ans passés dans ce système déplore que, pendant longtemps, les étudiants burkinabè n’entreprenaient que des études religieuses dans certains pays.
C’est de retour de leur formation qu’ils se rendent compte de leur handicap. Aujourd’hui, il constate fort heureusement que des pays arabes ont changé leur politique en direction des Africains. En tant qu’aînés, ils encouragent leurs cadets, à se donner plus de chance. Beaucoup travaillent parallèlement, aux heures creuses, à financer des études dans d’autres domaines tels que l’informatique... certains fondateurs ont déjà tracé la voie. C’est le cas de El Hadj Aorema qui dit avoir actuellement cinq étudiants au Yémen, orientés dans divers domaines ; c’est une voie noble, pour éviter que tant de docteurs aient la même issue fatale : le chômage. Mais les promoteurs demandent que l’Etat soit plus regardant vis-à-vis de ce maillon.

Que faire ?

Les programmes et les emplois de temps élaborés par le MEBA privilégient le français, langue officielle et de communication internationale. Or, de façon générale, l’arabe domine dans les écoles franco-arabes.
Les sortants se trouvent marginalisés car ne pouvant passer aucun concours de la Fonction publique. "Voilà pourquoi, a soutenu M. Sédégo, notre tâche consiste à faire en sorte que le français soit la langue d’enseignement dans ces écoles" ; c’est la façon la plus sûre d’offrir les mêmes chances à ces enfants que leurs camarades des écoles classiques. Mais pour M. Sédégo, l’Etat n’est ni contre l’arabe, ni contre la religion musulmane.

Il s’agit de trouver des stratégies garantissant le succès et ouvrant des portes à d’autres opportunités pour ces enfants. La tentative de traduction des manuels n’a pas suivie. Alors, il faut que les autorités prennent des mesures courageuses, explique Dr Oualilaï Kindo, dessinant une position claire de la finalité et des perspectives de ce maillon. Aujourd’hui, avec la sortie de sa première promotion, le doyen de la Faculté des sciences de l’éducation reconnaît que beaucoup reste à faire à leur niveau. "Notre inquiétude, c’est de reproduire les mêmes produits que nous critiquons, sortis du système arabe", affirme-t-il.
Une cellule de réflexion composée des techniciens des ministères en charge de l’Education et des membres de la fédération des écoles franco-arabes s’est réunie, en vue de faire des propositions dans le sens de l’amélioration du système arabisant.

Selon Dr Kindo, il s’agit de faire effectivement du français, la langue d’enseignement, et de permettre aux promoteurs d’introduire l’arabe et les matières religieuses. Ce qui leur permettrait non seulement de présenter des candidats aux différents examens de l’Etat et d’organiser à souhait des évaluations sur la théologie au sein de leurs établissements respectifs.

Dr Kindo préconise également l’ouverture d’un département arabe au sein de l’Université de Ouagadougou, afin de sortir cette langue de la marginalisation et aussi de fournir des compétences aux ministères de l’Education ; car en la matière, il y a manque.

Il n’y a que 3 inspecteurs d’arabe, et des tentatives de recrutement se seraient avérées infructueuses, les candidats n’ayant pas le profil. Ceux, sortis cette année du centre universitaire polyvalent sont conscients de leurs limites et l’ont d’ailleurs exprimé au Pr Joseph Paré, leur parrain : "Cette cérémonie de sortie qui devait marquer le début d’une carrière professionnelle semble être une aventure incertaine".

Ce cri du cœur traduit la détresse de tous les diplômés arabisants qui ne demandent qu’à servir leur pays. La direction de l’Enseignement de base privé prône l’organisation d’une étude évaluative qui sera suivie d’un forum sur le développement de l’enseignement franco-arabe. Ces écoles bilingues sont des initiatives privées qui contribuent à leur niveau à la promotion de l’éducation. Alors, pour M. Sédégo, parvenir à moderniser et à intégrer l’enseignement franco-arabe dans le système éducatif national formel permettra d’accroître plus considérablement le taux de scolarisation.

Assétou BADOH (badohassetou@yahoo.fr)

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