Actualités :: Kalifa Traoré, mathématicien, directeur de l’Institut universitaire de (...)
Le professeur Kalifa Traoré

Professeur-didacticien, chercheur et directeur de l’Institut universitaire de technologie de l’Université de Koudougou, Kalifa Traoré (K.T.), mathématicien de formation, a présenté brillamment une thèse de Doctorat sur les mathématiques chez les Siamou. Cet excellent travail de recherche lui a valu le prix de la meilleure thèse 2006-2007 au Canada. Il explique à Sidwaya le contenu, le bien-fondé de sa thèse pour l’avancée de l’enseignement des mathématiques.

Sidwaya (S) : Vous avez obtenu un prix au Canada ; quel est l’intitulé du prix et à quoi correspond-il ?

Kalifa Traoré : (K.T.) : Le prix que j’ai obtenu est le prix Diefer Dunkerbel qui correspond au prix de la meilleure thèse de Doctorat en didactique de mathématiques. C’est un prix décerné par l’Association mathématique de Québec chaque année. Mais cette fois-ci, il s’agit de la meilleure thèse en 2006 et 2007. Le prix a été institué par un didacticien
québécois qui était à l’Université de Chemou de 1970 à 1985 et qui a marqué le Québec par ses travaux en didactique.

S. : Sur quoi porte le thème de la thèse ?

K.T. : La thèse porte sur l’étude des pratiques mathématiques développées en contexte par les Siamou au Burkina Faso. C’est une œuvre pas en mathématiques mais en didactique de mathématiques parce qu’il existe une différence entre ces deux notions. Ma première thèse était en mathématiques (algèbre) et j’étais le premir docteur en mathématiques formé au Burkina Faso. Cette deuxième thèse porte sur l’éducation, mais spécialisée en didactique de mathématiques et plus précisément en ethno-mathématique. Les gens se font une certaine image des mathématiques, ils les trouvent difficiles, inaccessibles et même ceux qui sont faibles en mathématiques reconnaissent tout de même leur importance.

Donc à ce moment, les mathématiques apparaissent comme un mal nécessaire. Alors, on peut se poser certaines questions, à savoir qu’est-ce que les mathématiques ? Ce n’est pas évident qu’on ait la même vision ou la même compréhension de ce terme. Donc dans cette thèse, j’ai été amené à clarifier la question, à prendre une posture épistémologique vis-à-vis des mathématiques, ce que j’entends par le terme mathématique. Les mathématiques, ce ne sont pas les x, y et z. Si vous posez la question, de savoir à quoi servent les mathématiques, je vous avoue que vous n’aurez pas une réponse satisfaisante. Ce n’est ni le chimiste, ni le physicien, ni le biologiste, ni le médecin ou l’économiste qui va se poser cette question mais plutôt les littéraires. Donc, eux, ils s’intéressent à l’importance sociale. Evidemment, les mathématiques interviennent partout mais pas de cette compréhension qu’ont les gens. On pouvait avoir deux conceptions des mathématiques : il y a les mathématiques vues de façon absolutiste, c’est-à-dire que les vérités mathématiques sont absolues.

Pour démontrer à quelqu’un que quelque chose est vrai en passant par a + b, vous pouvez le convaincre comme si les vérités mathématiques étaient indiscutables, c’est ce que la mentalité collective conçoit des mathématiques. Et c’est là le problème, parce que si on doit partir de cette base, on aura des difficultés pour expliquer pourquoi les mathématiques sont appliquées à tout le monde.

Pour lever cette équivoque, les ethno-mathématiciens vont définir les mathématiques comme étant des manières de faire, des manières d’expliquer, en somme la pratique.
Par exemple, il y a un chercheur qui a mené des recherches dans ce sens où il définit six domaines : il s’agit du comptage, la prise des mesures, la localisation, l’orientation, etc. Si vous faites l’une des choses que j’ai énumérées, vous faites de la mathématique. Si on voit les mathématiques sous cet angle, on ne peut plus les définir comme étant des logiques universelles. Quand j’ai été à Gaoua en août pour une formation, j’ai un peu taquiné les Dagari qui sont mes esclaves, parce qu’à partir de cette thèse, je suis devenu plus sensible quand je vois les gens fonctionner. Une dame vendait ses ignames (trois ignames à 100 F).

Nous voulions prendre une igname, à combien elle devrait nous la vendre ? La réponse fut simple : on ne vend pas une igname. Nous étions surpris, je me suis dis qu’il devrait y avoir une certaine logique derrière cela. C’est ainsi que si vous n’avez pas compris les gens, vous les prenez comme des ignorants, alors que c’est parce que simplement vous n’avez pas compris leur logique. Le père intellectuel de l’ethno-mathématique, le Brésilien d’Ambrozio dit que dans les sociétés, les sources sont si différentes que chacune a sa manière de s’orienter, sa manière de faire l’application, de s’organiser.
A partir de ce moment, on ne peut pas penser que l’organisation soit universelle, que les vérités qu’on va découvrir soient universelles. Par exemple, si on mettait une quantité de monnaie au Burkina Faso et on nous demandait de déterminer la valeur, votre manière de vous organiser pour compter sera différente d’une autre personne. La manière de compter sera peut-être liée à la valeur des pièces que vous avez. C’est ainsi que je parle du contexte parce que le contexte est très important au niveau des mathématiques. Dans la mentalité collective, les mathématiques sont faites hors contexte, les gens croient que ce sont des formules qu’il faut apprendre et après appliquer mais ce n’ est pas le cas. La preuve, souvent il y a des enfants qui connaissent bien la formule mais qui ne peuvent pas l’appliquer.

S. : Comment est-ce que les mathématiques sont pratiquées dans le contexte siamou ?

K.T. : Cette question m’amène à parler de ma thèse. Je suis parti des pratiques sociales parce que vous savez que les Siamou se trouvent seulement à Orodara qui est le verger du Burkina. Ce qui signifie qu’à travers cette activité, les gens vont développer un certain nombre de choses. Prenons par exemple le cas des mangues. J’ai été surpris de trouver qu’on ne vendait pas les mangues au kilo comme un peu partout au Burkina, c’est habituellement au nombre. Je suis parti au village, j’ai vu un tas de mangues (peut-être 3 tonnes) appartenant à un paysan qu’il fallait vendre. Le prix des mangues était fixé à sept mangues pour 25 F, donc il fallait observer le tas de mangues et déterminer le prix de l’unité. Si on observe, on se rend compte qu’il y a de véritables mathématiques derrière, mais pour nous qui avons été à l’école, on croit que ces paysans font du bricolage.

L’exemple le plus intéressant qui peut s’approcher un peu de l’école, c’est l’usage des figures dans la construction des cases parce que la base constitue un rectangle. Mais les paysans ne savent utiliser ni l’équerre ni le rapporteur encore moins le compas. Alors, comment construisent-ils leur angle droit ? De loin, vous pouvez croire que c’est du bricolage alors que non, mieux, il y a un Mozambicain qui, après avoir observé les Siamou, a établi un lien entre leurs mathématiques et celles de l’Egypte antique alors que les Siamou sont une petite ethnie du Burkina. Si vous observez, au lieu de procéder par angle, ils font les quatre angles à la fois. Donc, c’est quelque chose qui est typique et j’ai posé le problème à un professeur de mathématiques, un enseignant titulaire du CAPES qui, pendant deux heures, n’a pas pu traiter alors que les paysans le font en cinq minutes.

Dans ma thèse, j’ai fait ressortir ce que j’ai appellé des théorèmes en « A », c’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de choses qui ressortent et qui correspondent au théorème en « A » et que les paysans peuvent bien argumenter dans leur jargon. Bien sûr, ils ne parleront pas de parallélogramme, de diagonale ou d’angle, mais ils vont se servir de leur propre jargon pour dire les choses qui correspondent à notre concept.

S. : Ce que vous avez démontré est-il praticable en classe ?

K.T. : Ce sont des résultats de recherches donc il faut faire un peu attention parce qu’on ne peut pas tout amener en classe. Mais l’importance de cette thèse, c’est de permettre aux enseignants de comprendre les difficultés des enfants et de démystifier les mathématiques, parce que tout le monde dit que les mathématiques sont difficiles. Pourtant dans la société burkinabè, il y a plein d’activités où on retrouve les maths. Par exemple pour quelqu’un qui a échoué en mathématiques, s’il part au marché, personne ne l’aide à résoudre ses problèmes de mathématiques. Donc ce qui est fondamental, démystifier les mathématiques consiste à approcher l’école de la vraie vie, alors que moi aussi j’essaie dans ma thèse de rapprocher les mathématiques de l’école aux mathématiques de la vraie vie.

Donc je suis en train de faire de l’approche par les compétences sans le savoir. Prenons par exemple une leçon qui porte sur le cercle où l’on veut parler de pi (š), habituellement ils n’ont pas de moyens pour concrétiser, mais à partir de ce que j’ai eu sur le terrain, ce que les paysans font, m’a inspiré. Ce sont des choses qui peuvent être illustrées en classe, et lors de mes cours de didactique, je montre aux élèves comment on pourrait concrétiser, au lieu de balancer un pi que les élèves ne vont pas très vite comprendre.
Je n’ai pas pensé que ce sont des théories qui vont rentrer en classe tout de suite ; ce sont des éléments de réflexion qui permettent d’avoir un esprit ouvert et d’accepter qu’il y a d’autres possibilités. C’est ce qui est important.

S. : Est-ce que la thèse est juste applicable au niveau local ou bien elle a un caractère universel ?

K.T. : Elle a un caractère universel. D’ailleurs, le jury a posé trois critères : la qualité générale de la thèse, la contribution à l’avancement de la didactique des mathématiques et les retombées sur l’enseignement des mathématiques. Par exemple, le fait de montrer que les difficultés des élèves peuvent être liées à leur culture n’est pas juste lié au Burkina, ni au Siamou. J’ai fait un stage de recherches pendant ma formation auprès des Inuits (Esquimaux) au Nord du Canada. Les Inuits sont très loin des Siamou, mais cela montre aussi que dans leur culture il y a certains problèmes.
J’ai enseigné au secondaire quand j’étais étudiant et quand j’ai intégré l’Ecole normale supérieure de Koudougou, je me suis rendu compte en discutant avec les élèves que certaines difficultés sont inhérentes à la culture.

Quand quelqu’un fait recours à sa culture pour justifier des propriétés mathématiques, alors s’il y a des conflits, la répercussion peut être dangereuse. L’unité monétaire par exemple est 5 francs et l’unité à l’école est 1 franc. Dans la plupart de nos langues, il n’y a pas de différence. Mais dès que les enfants commencent les cours de calcul en classe, ils sont perdus. Beaucoup d’élèves sont incompris, les gens pensent qu’en mathématiques, on n’a pas besoin de réfléchir, il faut juste appliquer des formules.

S. : Finalement, tout le monde peut apprendre les mathématiques alors ?

K.T. : Je pense qu’on peut et qu’on doit enseigner les mathématiques à tout le monde. Mais la question est de savoir quelles mathématiques enseigner.

S : Et le cas spécifique filles ?

K.T. : Je ne parle pas particulièrement des filles mais je dirai que les mathématiques ne sont pas innées. Tout le monde peut être mathématicien. Le problème de l’échec à l’école est différent. On considère qu’un élève a échoué lorsqu’il n’a pas pu assimiler ce qu’on lui a administré en un temps donné. Donc, c’est juste une question de temps. Pour revenir aux filles, j’ai l’impression qu’il faut lier leurs difficultés au temps d’exercice. Habituellement, la fille est soumise à des travaux domestiques beaucoup plus que le garçon. Sinon, il n’y a pas de difficulté au niveau cognitif, même si des études ne l’ont pas révélé.

S. : N’est-ce pas aussi un blocage psychologique ?

K.T. : Si ! mais pas seulement chez les filles, mais pour beaucoup de personnes. C’est la raison pour laquelle je dis qu’il faut démystifier les mathématiques. J’explique les échecs par le contexte social et culturel. Au Canada par exemple, les filles réussissent mieux à l’école que les garçons en général.

Quel a été l’accueil du monde universitaire canadien de cette thèse ?

K.T. : En fait, mes travaux sont nettement plus connus au Canada. Avant la soutenance, mes interventions dans les différents colloques faisaient parler de mes travaux. Des gens se sont déplacés sur plus de 800 kilomètres pour me rencontrer lorsque je suis allé pour la réception du prix. Beaucoup entendaient pour la première fois le nom du Burkina Faso. On m’a invité à plusieurs endroits pour donner des conférences et l’Université de Québec où j’ai étudié m’a adressé ses félicitations.

S. : Quel rôle peuvent jouer les langues locales dans la compréhension des mathématiques ?

K.T. : J’en ai parlé dans mes travaux, mais j’ai émis des réserves. Il ne faut pas se précipiter. L’implication de la communauté à la base est très fondamentale dans l’éducation bilingue. La langue nationale est valorisée. Mais le problème, c’est que le travail des linguistes ne prend pas en compte tous les contours scientifiques. Certains termes n’existent pas dans nos langues et cela peut conduire à des confusions. Par exemple le cercle, la circonférence et le disque. D’un point de vue linguistique, on va certainement créer des mots, mais quelle conséquence plus tard ? C’est le même cas que zéro qui est présenté comme rien dans nos langues mais les mathématiciens vous diront que zéro est bien différent de rien. Pour des transpositions didactiques l’enseignant peut accepter, mais doit travailler à corriger avec le temps. Un autre exemple, c’est que dans nos langues, tout ce qui est liquide se confond à l’eau. Je soutiens donc, que les spécialistes doivent travailler davantage sur les concepts scientifiques.

S. : Après cette brillante soutenance, quelles sont vos perspectives dans le domaine de la recherche et de l’enseignement ?

K.T. : Ce qui me tient vraiment à cœur, et qui est le plus urgent, c’est de pouvoir former les jeunes car je suis le premier didacticien en mathématiques.
Pour moi, plus nous serons nombreux, plus nous serons productifs. Je souhaite que le Burkina Faso dispose d’une école doctorale en sciences de l’éducation où nous pourrons enseigner la didactique dans toutes les matières.

J’aimerais également mener le même genre de recherche au niveau de la majorité des ethnies burkinabè.
En ce qui concerne l’enseignement, je demande aux professeurs d’avoir l’esprit beaucoup plus ouvert.
Je prône la pédagogie de l’erreur que l’erreur soit considérée comme quelque chose de positif qu’on peut exploiter à des fins pédagogiques au lieu de la voir comme une faute.

S. : Vos collaborateurs de terrain (enseignants et encadreurs) et les autorités voient-ils le bien-fondé de vos théories ?

K.T. : Pas de façon formelle. Mais à la restitution de mes travaux à Orodara, le ministère a envoyé une délégation de l’inspection, avec à sa tête, le premier responsable. Cela signifie qu’il y a une oreille attentive. Mais je reconnais qu’il y a des préalables. Il faut que nous arrivions à améliorer la pratique de l’enseignement en classe. Je signale au passage que j’ai été beaucoup encouragé et soutenu par le président de l’université.

S. : Quel est l’intérêt des mathématiques pour un pays comme le Burkina Faso ?

K.T. : Je vous signale qu’un colloque se tient à Dakar en avril prochain sur le thème : « Enseignement des mathématiques et développement ». Ce qui prouve l’importance de cette discipline pour tous les pays. Ce que je déplore, c’est qu’on forme les enfants comme s’ils seront tous des mathématiciens. En tout état de cause, le Burkina Faso a besoin d’ingénieurs, de médecins, d’informaticiens. Pour toutes ces études, il faut nécessairement l’apport des mathématiques. Je ne pense pas qu’on puisse amorcer un développement quelconque en occultant les mathématiques. D’ailleurs, la réforme globale du système éducatif compte mettre l’accent sur l’enseignement technique et professionnel. En général, la recherche mathématique est en avance sur son application.

S. : Peut-on avoir accès à vos travaux ?

K.T. : Je l’ai édité et pour des questions de marketing, il s’intitule « Des mathématiques chez les paysans ». Des exemplaires seront disponibles à la bibliothèque universitaire.

Assétou BADOH (badohassetou@yahoo.fr)

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