Actualités :: Monseigneur Séraphin François Rouamba, président de la conférence épiscopale (...)

Très prolixe, il est difficile de s’ennuyer avec Mgr Séraphin François Rouamba, président de la conférence épiscopale Burkina-Niger et archevêque de Koupèla (à environ 140 km à l’Est de Ouagadougou). L’entretien qu’il nous a accordé pour parler de Noël, ressemblait par moment à une homélie dispensée aux fidèles catholiques. Celui qui a aussi marqué l’actualité politique au Burkina en présidant le forum de réconciliation nationale en 1992, ne mâche pas ses mots au sujet de la corruption, qu’il qualifie de rampante...

S. : Excellence, depuis quand êtes-vous à la tête du diocèse de Koupéla, et parlez-nous de votre zone de compétence perçue comme une région de forte catholicité.

Mrg Séraphin François Rouamba (Mgr S.F.R.) : Le 21 octobre dernier, cela faisait 13 ans que je suis à la tête du diocèse de Koupèla. Et c’est l’occasion pour moi de rendre grâce au Seigneur. Pour parler de la forte catholicité de Koupèla, on peut effectivement dire qu’il y a une densité chrétienne remarquable dans la zone.

Si l’on prend uniquement la paroisse de Koupèla, il y a certainement au moins la moitié de la population qui est catholique. Mais les gens oublient quil y a des musulmans et des gens de la religion traditionnelle, puisque chaque année, nous enregistrons toujours beaucoup de conversions.
Dans le diocèse de Koupèla, il y a à peu près 1 million 300 mille habitants et nous comptons presque 300 mille catholiques, baptisés et cathécumènes.

Il aurait fallu que je pénètre des chiffres du dernier recensement. Ces chiffres certainement sont révélateurs de la situation actuelle. Mais les statistiques sont souvent approximatives. J’ai vu dans le dernier recensement que le Burkina Faso comptait 60,5 % de musulmans, 19 % de catholiques, 4 % de protestants, 15 % de religion traditionnelle. Quand on voit le nombre de conversions chaque année à la religion catholique, on reste un petit peu étonné.

Tout compte fait, vous avez raison de dire qu’il y a une forte densité chrétienne. Puisque c’est ici le 22 janvier 1900 que les missionnaires sont arrivés pour la première fois, pour l’évangélisation. C’est seulement un an après qu’ils sont allés à Ouagadougou.
Koupèla est à 150 km de la dernière paroisse du diocèse, juste à la frontière du Togo et on se rend compte qu’il y a encore beaucoup de travail à faire.

Car il y a encore des endroits, qui n’ont toujours pas entendu parler de Jésus-Christ. Donc, le travail est immense et nous voulons que tous les chrétiens prennent conscience de cela et qu’ils sachent que c’est de leur devoir de proclamer leur foi. S’ils pensent que la foi est pour eux la plus grande richesse que Dieu puisse leur donner. On ne peut pas avoir cette richesse et la garder pour soi. Il faudra que les gens redoublent plus d’efforts pour faire connaître cette bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour toute l’humanité.

S. : Nous sommes en plein temps de l’Avent. Comment la fête de Noël se prépare-t-elle dans l’archidiocèse ?

Mgr S.F.R. : Je n’ai pas tellement circulé dans le diocèse pour voir comment ça se prépare. Mais, vous avez vu par exemple le curé de Koupèla (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 16 décembre 2008). Il était là, prêt à partir pour les confessions, les sacrements de réconciliation que nous donnons à l’occasion de toute grande fête. Nous pensons que la meilleure préparation, c’est la préparation spirituelle. Et pour nous, c’est la réconciliation avec Dieu, accueillir le pardon de Dieu et pouvoir le partager avec ses frères.

Les curés se déplacent un peu partout pour les confessions, dans les villages. Et les malades qui ne peuvent pas quitter leur domicile, ils (les curés) se font l’obligation d’aller les visiter, leur proposer le sacrement de pénitence et la communion à l’occasion de Noël et de Pâques aussi. Donc, pour nous chrétiens, cette fête se prépare d’abord de façon spirituelle. Et pas seulement sur le plan matériel, qui prend de plus en plus de l’importance.

Malgré tout, nous voulons que les chrétiens fassent preuve de tempérance et de réalisme. Cette année, dans l’ensemble, les récoltes ont été bonnes. Mais nous disons aux chétiens que ce n’est pas une raison d’en profiter pour gaspiller. Et nous insistons là-dessus. Quand la saison est bonne, il y a beaucoup de funérailles, les gens multiplient les fêtes, comme si on ne devait vivre qu’un jour. Donc, nous appelons les chrétiens à faire montre de tempérance, pour pouvoir gérer cette année d’abondance relative, en responsables.

S. : Quelle est l’origine de Noël et la perception que vous avez de cette fête ?

Mgr S.F.R. : Noël, c’est l’une des fêtes chrétiennes les plus fêtées. Même si pour nous chrétiens, c’est la fête de Pâques qui est la première des fêtes. Depuis la résurection du Seigneur, c’est la fête de Pâques qui est la plus grande des fêtes pour nous. Et tous les dimanches, nous renouvelons notre foi au Christ mort et ressuscité.

On se demande parfois pourquoi la fête de Noël le 25 décembre et une messe de minuit. Quand nous prenons les écritures, nous ne voyons nulle part les Evangiles parler de la naissance du Christ le 25 décembre à minuit. Donc, nous ignorons la date exacte et l’heure de la naissance du Seigneur.

Mais le 25 décembre correspondait au solstice d’hiver où les jours commencent à s’allonger et l’on fêtait le Dieu soleil. Et pour supplanter cette fête païenne, on a placé la fête de Noël à ce moment. D’autant plus que pour nous chrétiens, Jésus est la lumière du monde. Donc au moment où les jours commencent à s’allonger et que la lumière prend le dessus sur les ténèbres, on a placé la fête de Noël en ce moment.

En même temps, on a saisi l’occasion pour fêter Marie (la mère de Jésus), qui met au monde Jésus à Noël. Jésus qui est la lumière du monde, Marie qui donne cette lumière au monde. C’est autour de ces éléments importants, que se fonde la fête. C’est la naissance de l’enfant de Marie, mais pour nous chrétiens, c’est le fils de Dieu. L’amour de Dieu qui se fait homme et qui vient dire aux hommes, l’amour incommensurable de Dieu pour l’humanité.

C’est inouï et à peine croyable ; quand on voit ce que nous sommes. Comment Dieu tel que nous le concevons, peut s’occuper de l’homme. Mais Jésus est venu nous dire que Dieu nous aime et qu’en lui, nous devenons tous fils d’un même père. C’est pourquoi la fête de Noël revêt pour nous une très grande importance. Parce que c’est comme si notre humanité était entrée dans la divinité. Puisque Dieu s’est fait homme et est venu parmi nous et Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne “Dieu”. Puisque nous partageons désormais cette divinité par le baptême.

Le Christ nous introduit dans cette famille divine, que nous appelons Dieu le père, le fils et le Saint-Esprit. L’homme est introduit dans cet amour. Et le fait de le savoir, de savoir que nous sommes sauvés en Jésus Christ, doit être une grande et belle nouvelle, pour tout le monde. Nous ne cherchons pas Dieu à tâtons. Nous savons d’où nous venons, où nous allons et qui nous sommes. Et quand on sait cela, on ne peut pas le garder pour soi. On doit pouvoir proclamer cette nouvelle partout.

La naissance de Jésus à Bethléem dit aussi à notre humanité, qu’elle est appelée à une vie qui ne finira pas. Et les chrétiens en fêtant la naissance de Jésus, n’excluent personne. C’est une invitation pour tous les chrétiens à proclamer cet amour de Dieu pour toute l’humanité.
Voilà comment nous chrétiens, nous devons privilégier envers et contre tous cet aspect spirituel de la naissance de Jésus. Je dis cela, parce que lorsqu’on va en Europe, on se rend compte que dès le mois de novembre, tout est déjà prêt pour la fête matérielle...

S. : Justement au sujet de la matérialisation de la fête de Noël et de toutes ces manifestations non religieuses (fonds de commerce, cadeaux, etc) qui se développent autour, est-ce des aspects que l’église condamne ?

Mgr S.F.R. : L’église ne peut pas condamner la fête matérielle. La fête fait partie de la vie de l’homme. S’il n’y avait pas de fête dans notre vie, ce serait grave. Dans la bible, quand on parle de l’Au-delà, de l’Eternité, on dit que le Seigneur va organiser une fête sur la montagne de Sion, avec des viandes grasses, des vins capiteux... C’est normal que la fête fasse partie de la vie des hommes. Et si vous avez une vie sans fête, elle sera terne et morose.

Et la fête que nous vivons ici, précède cette fête éternelle, que nous allons vivre ensemble, auprès de Dieu. Car c’est une fête continuelle là-bas. Donc c’est normal, que nous commencions dès ici à savoir ce que signifie la fête, cette communion ensemble, dans la joie, de toute une population. On ne fête pas tout seul.

Si l’Eglise priviligie la fête spirituelle, elle ne nie pas pour autant, cet aspect matériel de la fête. Maintenant, quand on voit les proportions que ça prend, on en vient même à oublier pourquoi cette fête est née, qu’est-ce qu’elle a améné ou qu’est-ce qu’elle est. Nous disons que pour les chrétiens, ce n’est pas normal. Vous avez parlé des cadeaux et tout ça. Cela fait partie aussi de la fête. Quant à l’arbre de Noël, il n’a pas d’origine païenne. Il véhicule même deux symboles : la lumière et la vie. La lumière parce que Jésus est la lumière du monde. Et le prophète Isaïe, en parle : “Cette lumière qui vient, qui luit dans les ténèbres, c’est Jésus pour nous”. Le Christ qui a été suspendu sur la croix, est le symbole de la vie.

L’arbre qui symbolise la mort dans le jardin d’Eden (le serpent qui était sur l’arbre dans le jardin d’Eden a tenté Adam et Eve) symbolise aussi la vie. Car le Christ nous redonne cette vie par sa mort sur la croix. Mais, il faut dire que Noël doit être pour nous l’occasion de penser à ceux qui ne peuvent pas faire la fête comme nous. Il ya toujours des malheureux, des malades, des gens qui sont dans la souffrance. Et j’ai déjà dit qu’on ne devait pas fêter tout seul. Et je trouve que c’est une bonne habitude que nous avons prise dans notre milieu.

Quand c’est le Ramadan, la Tabaski, les musulmans songent à leurs voisins et les chrétiens font de même. Et cela est une bonne chose. Si nous fêtons Jésus qui est venu pauvrement dans notre monde, avec faste et nous oublions les plus pauvres, ce n’est pas normal. Il est important que les chrétiens à l’occasion de la fête de Noël songent à ceux qui souffrent, aux plus pauvres, pour qu’eux aussi aient un rayon de lumière.

S. : On entend couramment dire que Noël, c’est la fête des enfants. N’y a-t-il pas méconnaissance à ce niveau ?

Mgr S.F.R. : Noël, fête des enfants ! J’allais dire que c’est certainement vrai. Nous fêtons Dieu qui a fait l’homme et il n’est pas descendu comme un éclair du ciel. Les prophètes avaient cette soif de Dieu en eux, souhaitant qu’il fende le ciel et descende. Mais Dieu n’a pas suivi cette manière pour venir jusqu’à chez nous. Dieu est venu humblement et par l’action de l’esprit saint. Il a pris chair en la Vierge Marie comme un enfant et il est venu au monde avec toute la faiblesse d’un enfant.

Et aujourd’hui, vous savez ce qu’on fait des enfants dont on ne veut pas. Quand on dit que c’est la fête des enfants, cela veut dire que nous devons songer à nos enfants et à l’enfant que nous avons été. Il ya certainement une confusion quand on pense qu’il faut contenter les enfants, les satisfaire, etc. Non. C’est nous tous qui sommes enfants de Dieu. C’est la fête de tout le monde. Il ne faut pas oublier les enfants, mais il faut que chacun sache qu’il est enfant de Dieu. D’ailleurs, il a dit : “Le Royaume des cieux appartient aux enfants et à ceux qui leur ressemblent”.

S. : Quel est le message de Noël pour les fidèles catholiques ?

Mgr S.F.R. : C’est le message de notre naissance nous aussi en Christ. Et avec lui, cet appel à créer un monde nouveau. C’est ce message que Dieu adresse à chacun de nous et au monde, chaque année. On peut penser à notre contexte. Quand nous écoutons nos comtemporains, et quand nous voyons ce qui se passe, dans notre pays, je crois qu’il faut un appel à plus de solidarité, pour construire un monde où il fasse bon vivre.

Que nos enfans qui viendront, n’aient pas honte de nous. Que chacun se sente concerné par cette construction du pays. Qu’il n’y ait pas d’exclusion et que quelques-uns ne pensent pas qu’ils ont le monopole de l’édification de ce pays. Et nous entendons de plus en plus parler de corruption. Elle est la rampante, quelquefois triomphante. Il faut que nous soyons conséquents avec nous-mêmes. Nous ne pouvons pas passer le temps à dénoncer la corruption et en même temps la chérir, la promouvoir.

On dit bien que s’il y a des corrompus, c’est qu’il y a des corrupteurs. Quand on a mis en place l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat, j’ai trouvé que c’était une décision qu’il faut applaudir de toutes ses forces. Mais on se dit qu’il faut attendre la suite pour voir parce qu’il y a eu tellement de structures similaires par le passé. Et on se demande toujours comment les animateurs de ces structures, pourraient agir pour être efficaces et jouer le rôle qu’on attend d’eux.

Si la corruption est dénoncée, les autorités dénoncées, etc. et si l’on ne punit pas, elle va continuer. Et vous et moi, qui sommes là, nous parlons de la corruption, quand elle est en face de nous, ça veut dire qu’elle ne nous concerne pas. Mais si nous sommes parmi les corrompus ou les corrupteurs et qu’on veuille frapper, notre souhait est qu’on ne nous frappe pas. C’est cette pratique qui a cours. Et donc, nous souhaitons que cette impunité que beaucoup dénoncent, se réduise.

S. : On accuse souvent les leaders religieux de passivité face à certains maux de la société comme ceux dont vous parlez. Que fait l’Eglise catholique pour prévenir la corruption, l’impunité...?

Mgr S.F.R. : C’est peut-être l’avis des gens. Moi, je suis à une place où j’ai une certaine vision de la réalité.

Mais vous qui êtes dans le milieu, vous êtes plus renseignés que moi. Je me dis que nous avons une presse de plus en plus libre. Pourquoi cette presse ne peut pas dénoncer les choses parce que souvent, lorsque des amis me donnent certaines informations, je n’ai pas de preuves. Vous pensez que moi en tant que responsable religieux, tout en dénonçant la corruption, je peux désigner des auteurs, alors que je n’ai pas de preuves ? Si une personnalité politique, qui a ce pouvoir, les tenants et les aboutissants n’a pas le courage de dénoncer un acte de corruption, et on dit à un religieux comme moi de le faire, je trouve que c’est une démission.

Si les religieux ne dénoncent pas la corruption, l’impunité, c’est grave pour eux. Ils ne font pas leur devoir. Mais je trouve que cette lutte est l’affaire de toute la société. Nous avons par exemple des laïcs qui connaissent mieux les choses que nous. Et il nous faut une presse de plus en plus libre, parce que je ne crois pas à une démocratie sans une presse libre. Si nous devons tout faire pour renforcer cette liberté de la presse. C’est pour que ce qui se fait de bien soit vu, et ce qui se fait moins bien, soit dénoncé. Et nous pensons que chacun à sa place, doit jouer son rôle.

Entretien réalisé par Gabriel SAMA

Sidwaya

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