Actualités :: Phénomène des enfants incestueux dans le Kourwéogo : Les dessous d’un vice (...)

Dans la partie Nord de la province du Kourwéogo et dans les communes voisines de l’Oubritenga, se vit une situation qui mérite une attention particulière : le phénomène des enfants incestueux selon les uns, enfants consanguins selon les autres. Zoom sur un phénomène social aux implications profondes et les probables raisons de son ampleur !

En arpentant les sentiers menant à la commune rurale de Toéghin et à Guiè dans la commune rurale de Dapelgo, localités situées à une soixantaine de kilomètres au Nord de Boussé, une joie profonde nous animait à la vue de ces tiges de mil se pliant sous le poids de leurs épis. Toéghin, ce 27 octobre 2008. Notre guide du jour, M. Madi Ouédraogo nous attendait déjà. Cet agent provincial à la retraite, employé par la mairie, animé de bonne volonté nous disait ceci avant le périple pour Guiè.

« Je pense que votre travail viendra mettre à jour un phénomène pernicieux qui perdure depuis des années et dont personne n’ose briser le silence. Le monde tourne à l’envers dans notre univers », lança-t-il en prenant son carburant. En fait de phénomène pernicieux, il s’agit bien des enfants issus de relation sexuelle entre un homme et une femme de même famille. Après quelques échanges, direction : le village de Guiè, situé dans la commune rurale de Dapelgo où, depuis 1995, existe un centre pour enfants en détresse. A première vue, les infrastructures parlent d’elles-mêmes. La touche humaine a transformé cette nature sauvage en des bâtisses qui forcent l’admiration. Par coup de chance ce jour-là, la responsable du centre, Mme Clara Marthe Girard, cette native de Tenkodogo, qui se déplace beaucoup pour des raisons de service était présente.

Après quelques instants d’attente, cette femme aux allures de « Mère Theresa » dans cette contrée rurale perdue de l’Oubritenga accepte de nous recevoir volontiers. « En tant que mère, je dois vous avouer que le phénomène des enfants consanguins (elle préfère ce terme) existe bel et bien dans la zone. Mais, je me garde de juger les gens », dit-elle, le regard hagard. Pour elle, il faut rétablir les mots à leurs places. Il ne s’agit pas d’enfants incestueux mais d’enfants consanguins, c’est-à-dire issus de relations entre cousins germains, notamment d’une même grande famille. Jeux de mots ou contradictions des termes, un consensus se dégage : l’existence de plusieurs enfants sans situation sociale précise.

La réalité et les chiffres d’une situation sociale

Selon le dictionnaire le Petit Larousse, l’inceste se définit comme étant des rapports sexuels entre un homme et une femme liés par un degré de parenté, entraînant la prohibition du mariage dans une société donnée. Pour le Naba Kaongo de Sao, député à l’Assemblée nationale, vu dans la communauté dont il a la charge, l’inceste, « c’est le fait pour des personnes d’une même famille ou grande famille d’avoir des relations sexuelles entre eux ». Une source proche de l’Action sociale de Boussé qualifie cette catégorie de progénitures « d’enfants incestueux ». En tous les cas, les enfants issus de cette relation interdite en pays moaga pose véritablement problème. La société accepte mal une progéniture issue d’une telle relation. Cette « censure sociale », comme le reconnaît le chef de Sao, mérite une attention, tant le phénomène prend de l’ampleur, et en légère régression selon d’autres sources.

Le chef de service de la protection et de la promotion de l’enfant et de l’adolescent à la direction provinciale de l’Action du Kourwéogo, Mme Rasmata Kéré déclare à ce sujet que « nous avons répertorié 14 cas d’enfants incestueux en 2006, 12 cas en 2007 et 8 autres cas pour le moment en 2008. Je précise que ce sont les cas que nous avons eu à traiter ». (NDLR : l’entretien a eu lieu en fin octobre). Une autorité locale, qui a requis l’anonymat, nous confie avoir eu à traiter plus d’une vingtaine de cas en deux ans et demi. Joint au téléphone, le maire de la commune rurale de Toéghin, M. Michel Sawadogo confirme l’existence du phénomène mais souligne que la tendance est à la baisse.

Un recoupement d’informations auprès de la population permet de mesurer l’ampleur et la réalité du phénomène. « Vous savez, la situation est devenue inquiétante ces dernières années et personne ne peut nier cette réalité », explique un sexagénaire de la commune de Toéghin, Arouna Sawadogo. La directrice du Centre pour enfants en détresse de Guiè, Mme Clara Marthe Girard, sera plus précise : « sur la soixantaine d’enfants que nous hébergeons actuellement, les deux tiers sont constitués d’enfants consanguins provenant essentiellement de Kourwéogo et de l’Oubritenga.

Je dois reconnaître que le phénomène prend des proportions…. » souligne-t-elle. Selon les statistiques provenant du même centre, de 1995 à 1998, ce sont 370 enfants abandonnés et consanguins, tous confondus, qui y ont été accueillis. Et ce sont 33 cas d’enfants consanguins, uniquement pour 2007 et déjà 35 autres cas au mois d’octobre de l’année 2008 qui ont été enregistrés. Selon une étude commanditée par le Programme d’appui au Plan national multisectoriel de lutte contre le sida et les IST (PA/PNM), exécuté par l’institut Impact Plus, dont la restitution a eu lieu seulement le 20 novembre 2008, la commune de Toéghin (zone récurrente de cas d’inceste) détient le triste palmarès de la commune rurale la plus infestée du Sida dans le Kourwéogo.

Des témoignages font état du comportement à risque que les jeunes ne cessent d’avoir. Mme Sylvie Bazié, accoucheuse au CSPS de Toéghin ajoute : « nous rencontrons au cours de la Consultation prénatale (CPN), des filles enceintes qui nous disent clairement que l’auteur de leur grossesse est leur « frère ». Franchement dit, le phénomène est courant ici. Nous suivons la grossesse, mais après l’accouchement, elles disparaissent dans la nature ».

Des sources proches de la population, de certaines autorités locales et de la direction du Centre de Guiè, le phénomène est particulièrement récurrent dans les communes de Dapelgo, Toéghin et Boussé, et les multiples démarches administratives pour l’adoption d’un bébé dissuadent beaucoup à laisser la grossesse arriver à terme. Par ailleurs, Mme Bazié précise : « un jour, une fille est venue me voir qu’elle est enceinte mais le problème, le père est de sa grande famille. De l’aider (…), j’ai refusé et depuis, elle a disparu dans la nature malgré mes rendez-vous pour le suivi de la grossesse ».

Les probables raisons de l’ampleur du phénomène

Selon un groupe de jeunes de Toéghin et de Gademtenga, le phénomène des enfants issus « du même sang » a atteint sa vitesse de croisière et il serait très préoccupant. Ils expliquent cela par le manque d’éducation.

Tout en reconnaissant la responsabilité première de la jeunesse, ils affirment que le phénomène n’est pas nouveau. Des propos qu’un sexagénaire a tenu à nuancer. Pour beaucoup, ce sont les fêtes coutumières, religieuses à caractère nocturne, les longues funérailles, les « dassanga » suivis de bal populaire qui en sont les véritables causes. Une affirmation très vite battue en brèche par l’ex-infirmier-chef de poste du CSPS de Toéghin, Ernest Zabsonré, actuellement à l’école de santé, que nous avons rencontré à Ouagadougou : « Oui, ces fêtes occasionnent effectivement des frottements.

Mais ces fêtes n’ont pas lieu seulement que dans ces zones, mais pourquoi c’est à leurs sœurs ils ont à faire jusqu’à aboutir à une grossesse ». Pour lui, l’origine, c’est la famille. « Il faut repenser l’éducation dans cette zone et particulièrement, à Toéghin et ses environs. Après un accouchement, une fille a cité 12 noms pouvant être de probables pères », s’indigne l’ex-médecin de Toéghin
Selon le chef de terre de Toéghin (Tengsoba), qui a la centaine selon ses enfants (à qui il faut un crieur parce qu’atteint de surdité), les véritables causes sont les mutations sociales. Aussi, la jeunesse est en perte de moralité, reconnaît-il.

Des propos soutenus par Mme Girard qui affirme que « nous assistons à une libéralisation des mœurs dont les vieux sentent leurs traditions et leur vie menacées ». Pour le Naba Kango de Sao, beaucoup de gens font fi des valeurs propres à nos milieux mais « nous sommes très intransigeants sur cette bêtise humaine. Parce qu’il faut de la moralité, de l’éthique pour la stabilité de la famille et le devenir de l’espèce humaine ». Selon toujours la directrice du Centre pour enfants en détresse de Guiè, Mme Clara Marthe Girard, la pauvreté, l’ignorance et l’analphabétisme y sont pour beaucoup ; à cela s’ajoute le refus catégorique des jeunes du préservatif. Une affirmation soutenue par l’ancien major du CSPS de Toéghin, brandissant comme preuve les stocks de préservatifs invendus.

A la vérité, le phénomène des enfants incestueux est complexe et les implications sociologiques sont profondes.
Toutefois, le peu d’intérêt de ces zones pour les associations en termes de sensibilisation et surtout, le manque de partenaires pour engager et soutenir les initiatives de sensibilisation serait également une piste à ne pas négliger, a reconnu une autorité locale.

A notre sens, les structures en charge de la question d’enfance et du Sida, à quelque niveau que ce soit, devraient s’approprier cette lutte car « par où passe l’enfant, c’est par là aussi que passe les IST ».
L’étude de la situation du Sida au Kourwéogo, commanditée par le PA/PNM en atteste. À la vérité, ce ne sont pas des gens qui entretiennent de longues histoires d’amour pour se rendre compte du lien de parent. C’est peut-être une ou quelques nuits et voilà, problème…, conclut Mme Girard.

Moussa CONGO (congosidwaya@yahoo.fr)

Sidwaya

Journalisme en période de guerre : « Rechercher la vérité (...)
Liberté de la presse : Le Burkina Faso obtient la note (...)
Burkina : Suspension des travaux "clandestins" à la (...)
Burkina/Accusations de massacre de civils par l’armée : (...)
Burkina/Foncier rural : La promotion « Burkindi (...)
Burkina/Droits des défenseurs des droits humains : La (...)
Burkina/Projet d’insertion socioéconomique des enfants et (...)
Mécanismes de suivi des politiques publiques : Des (...)
Initiative « Résilience par l’artisanat » : Vingt jeunes (...)
Ouagadougou : Une importante quantité de viande (...)
Affaire Lionel Kaboui : Le dossier en appel renvoyé au (...)
Burkina/Sciences : « Les enjeux de la recherche sont (...)
Burkina/Littérature : Dr Adama Sow présente « Une vie très (...)
Dédougou : L’éducation, la santé et l’économie dans le (...)
Burkina : Plus de 393 000 personnes touchées par le (...)
Burkina/Lutte contre le terrorisme : Un couvre-feu (...)
Hommage Pierre Claver Damiba : Un homme d’Etat passionné (...)
Burkina/Projet Procoton de la GIZ : Plus de 22 800 (...)
Burkina/Éducation : Un atelier pour l’accessibilité des (...)
Burkina/Sécurité privée : Pyramide Services livre sa (...)
Burkina/Promotion de la biodiversité : Vers la mise en (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 36582


LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés