Actualités :: Emeutes de la vie chère : "Moi Mariam, femme de prisonnier !"

Les victimes de la vie chère, ce ne sont pas seulement ces consommateurs qui délient douloureusement de grosses coupures de billets de banque pour s’acheter les incontournables 50 kg de riz. En effet, il y en a qui continuent de payer encore plus cher cette inflation économique qui sévit dans notre pays, parce qu’ayant perdu un bien des plus précieux : la liberté.

C’est le cas de Nana Thibaut, qui purge une peine de trois ans à la Maison d’arrêt et de correction, pour avoir, selon le délibéré d’un procès marathon tenu du 7 au 11 mars 2008, organisé une manifestation sans autorisation et ayant eu pour conséquence la destruction de biens publics et privés. Aujourd’hui, sa famille à Samandin (secteur 7 de la capitale) espère de la justice une hypothétique libération avant terme ; et lui, à la MACO, semble visiblement garder un moral à toute épreuve.

Dimanche 9 août 2008, aux environs de 11 heures, dans le quartier Samandin. A l’intérieur d’une cour qui abrite en outre des vies et un caïman que le maître des lieux élève, un léger fumet se dégageant d’une marmite posée sur le feu caresse agréablement l’odorat du visiteur qui n’a pas encore pris son déjeuner. La bonne dame qui s’en occupe n’a d’yeux que pour son ouvrage, tout en consultant, de temps à autre, sa montre-bracelet. Tout d’un coup, un mouflet (son dernier) se met à crier, s’accrochant à son pagne et lui intimant l’ordre de lui servir le riz et la sauce encore bouillonnante.

Une scène banale comme on en voit dans toute famille africaine digne de ce nom…à la différence que celle-ci est digne d’intérêt pour le journaliste, que nous sommes, parce que Nana Tibo rebaptisé en Thibaut en est le chef. La meilleure part de la nourriture sur le feu lui est destinée, mais son petit s’en moque éperdument. Alors, pour calmer sa fureur, sa maman est tenue de lui en donner la primeur. Avec l’inconscience liée à son âge, le gosse ignore sans doute que son père est en prison depuis bientôt six mois, et que sa maman, grâce au permis définitif qui lui a été remis par l’autorité judiciaire, doit, le repas apprêté, se rendre à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, communément appelée par son acronyme MACO, ou Nionko pour d’autres. L’expression « une des épouses de Nana Thibaut » siérait d’ailleurs mieux dans le cas présent puisque ce dernier est polygame.

Pour la petite histoire, le dernier enfant de la seconde femme n’avait que deux semaines quand des policiers sont arrivés au domicile de papa, l’ont conduit vers une première étape qu’est le commissariat, avant qu’il ne soit, aussitôt après, déféré là où l’on sait. D’ailleurs, comme pour ajouter à la difficulté, le nourrisson, depuis sa naissance, boude le sein de sa maman. Il faut donc bien lui acheter, et ce, régulièrement, du lait industriel. Inutile de le dire, l’arrestation du chef de ménage a bousculé les habitudes des habitants de cette cour, même si ceux qui y vivent sont tout de même coutumiers des perquisitions et autres interpellations liées aux activités politiques de celui dont le nom est souvent accompagné de l’adjectif « trublion », ou de la formule « l’enfant terrible de Samandin ».

Dur dur d’être femme de bagnard

Depuis six mois donc, sa famille vit au rythme des visites en prison, grâce aux laissez-passer délivrés individuellement et qui permettent à ses membres de s’y rendre les week-ends et les jours fériés. La première épouse, Mariam Nana née Doucouré, 38 ans, (notre cuisinière du jour) est la chef d’orchestre de ce ballet continuel, dont on ignore pour le moment la fin. Pour s’y rendre afin de donner à manger à son cher prisonnier, il lui faut négocier un moyen de locomotion chez le voisin ou prendre un taxi (Nana Tibo possède une voiture, mais aucun membre de la famille n’a le permis), y mettre du carburant en cours de chemin et traverser une bonne partie de la ville pour convoyer le plat de "Zak-soaba". Mariam n’est pas la seule à effectuer ce va-et-vient ; sa coépouse, Béatrice née Zongo, et d’autres membres de la maisonnée, se tapent régulièrement ce trajet. Dur, dur donc d’être femme de bagnard ; et pour faire bouillir la marmite, c’est souvent la croix et la bannière.

Certes, madame a pu se faire un petit boulot dans une auto-école de la place, mais on imagine bien la modestie du salaire dans ce genre d’activité. Pour Mariam, il n’y a pas que le côté alimentaire d’ailleurs. Sa grande hantise, c’est la perspective de la prochaine rentrée scolaire. « Cinq enfants fréquentent. Le plus grand fait la 5e et le dernier, la maternelle. Si Thibaut était là, il se serait débrouillé. C’est ce qui nous avait poussés à vouloir déposer une demande de grâce, espérant qu’à l’occasion du 4-Août, il serait libéré. Malheureusement, la Justice nous a fait savoir que la démarche a été entreprise tard », se lamente-t-elle. La situation du fils aîné, Rodrigue, 19 ans, n’est pas non plus reluisante. Apprenant en informatique, il y a été exclu pour non-paiement des frais de formation. Aujourd’hui, avec un investissement initial de 30 000 francs, il se console de cette déconvenue en vendant des accessoires pour téléphones portables devant la cour paternelle.

Un voisin aux petits soins

En prison, on est déjà bien embêté ; et si à cela se greffe pareille situation familiale, il y a de quoi faire chialer le plus flegmatique des hommes. Même si, à écouter la première épouse, le célèbre pensionnaire de la MACO est du genre jovial et optimiste. « Ça fait quinze ans que je vis avec lui ; c’est quelqu’un qui se décourage rarement face à l’adversité ». Un côté réconfortant que vient renforcer un autre aspect, la solidarité sociale. En effet, pour ce qui est du soutien, tous les interlocuteurs rencontrés restent unanimes sur l’esprit de solidarité de certains amis et voisins.

Il y en a qui leur volent au secours avec des dons en vivres, d’autres, avec du numéraire. Mais la préoccupation actuelle de la smala, reste bien sûr, et tout le monde la comprendrait, la libération de son chef ; surtout, et de préférence, avant la prochaine rentrée scolaire. Et s’il y a un voisin immédiat qui a intégré ce souhait dans ses prières quotidiennes, c’est celui qui est appelé communément et avec affection « le Vieux ». Bruno Lofo partage un mur mitoyen avec Nana Tibo, et ce dernier le considère comme un père.

A la moindre alerte, il accourt. Symbole ultime des relations de bon voisinage. Ne dit-on pas chez nous qu’"un (bon) voisin est ton premier parent" ? Et de fait, c’est à peine si le vieux Lofo ne se met pas à genoux pour implorer la Justice ou les autorités d’élargir son fils : « Je suis son voisin ; je vous assure que ce n’est pas facile dans la famille. L’aide extérieure est utile, mais elle ne saurait remplacer un chef de ménage. Les enfants tombent malades, et moi je n’ai pas les ressources nécessaires pour les soigner ». Et l’aîné de la famille, qui était à ses côtés, de renchérir : « Ce matin [Ndlr : Dimanche 9 août 2008] ma petite sœur avait des maux de tête. Pour la soulager un tant soit peu, j’étais obligé de payer un cachet chez les vendeurs de médicaments ambulants ». Pis aller. Le repas est fin prêt. Mariam peut maintenant enfourcher le char emprunté au voisin pour apporter sa pitance du jour à son prisonnier chéri. Certes, il ne fera pas un repas pantagruélique mais, une fois en passant, ça le change de l’ordinaire fadasse du cachot. En route donc pour Nioko.

Issa K. Barry


MACO Au parloir avec Nana Tibo

Ceux qui empruntent souvent la voie longeant le parc Bangr-Wéogo en sa partie sud et qui mène vers Fada N’Gourma sont coutumiers de cet attroupement, surtout les week-ends et les jours fériés, devant l’imposant portail de la Maco. Il s’agit de visiteurs qui passent dire bonjour à leurs connaissants qui y sont embastillés. Naturellement, dans cette zone hautement sécuritaire, il faut montrer patte blanche pour y avoir accès.

L’autorisation délivrée par le Procureur du Faso est donc de rigueur. Et en ce dimanche pluvieux d’août, comme tout pensionnaire, Nana Thibaut, dont nous avons accompagné l’épouse, attend ceux qui sont venus s’enquérir de sa santé. Petite plongée dans une ambiance qui n’est pas toujours des plus glauques comme on pourrait le penser.

Le premier héla l’autre en ces termes : « Ancien, on dit quoi ? ». L’apostrophé, qui avait un bras chargé de documents et de journaux, répliqua. « Ça va très bien, mon Nouveau ! Et chez toi ? ». Comme de vieux compères, les deux s’esclaffèrent, en se broyant littéralement les phalanges. Cette scène à l’ambiance grivoise ne se passe pas au bord d’une voie, encore moins dans un débit de boisson.

Elle a lieu dans une prison, et les acteurs sont respectivement Nana Thibaut et le sergent-chef Babou Naon, cet ancien membre de la sécurité présidentielle, en prison depuis le délibéré du procès des putschistes, le 17 avril 2004. Un peu comme dans l’armée, celui qui est venu le trouver sur place l’appelle « Ancien » ; et pour lui rendre la pareille, le présumé putschiste, déclaré putschiste par la justice militaire, l’affuble de la particule « Nouveau ». Ce jour-là, sous le grand hangar qui tient lieu de parloir à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, l’ambiance était des plus joyeuses. Visités et visiteurs devisaient, et dans cette ambiance de capharnaüm, l’on avait de la peine à distinguer les parents des pensionnaires. Il y en avait qui luisaient même plus que des gens qui ont la liberté.

Cela fera donc bientôt un semestre que Nana Thibaut a été conduit en ces lieux, où il partage, dans le grand bâtiment de la prison, une cellule commune avec une dizaine d’autres. Dans cette chambre, son mobilier le plus luxueux est composé d’un matelas, trouvé sur place, et d’un ventilateur, venu, lui, de la maison. Les bouteilles de gaz étant interdites, un fourneau à charbon lui permet de faire la cuisine, les autres jours de la semaine, grâce aux condiments que lui amène sa famille. Ont aménagé le même jour que lui, ces 45 jeunes qui ont été cueillis le 28 février 2008, jour de la manif violente contre la vie chère, et dont la situation en prison n’est pas des plus reluisantes. Dans le lot, 12 ont des épouses.

Un est décédé en prison des suites de maladie. La plupart auraient été arrêtés dans le quartier Tanghin. De vrais cas sociaux, car très peu de personnes leur rendent visite. Il en existe qui n’ont même plus d’habits et dans le lot, l’on compte des épileptiques, des malades mentaux. Pire, des bien portants seraient en train de perdre la raison. Nana Thibaut avoue jouer souvent au bon samaritain pour les soutenir.

Mais qu’en est-il de la santé de ce pensionnaire "VIP" ? « Les premiers jours, j’avais des œdèmes aux pieds. Actuellement, ce sont des problèmes d’yeux ». Malgré tout, la forme et le moral semblent être au rendez-vous, même si, tout au long de l’entrevue, le président du RDP (Rassemblement démocratique populaire) n’a pas décoléré contre une grande partie de ses amis de l’opposition.

Il tempêtait régulièrement, visiblement déçu : « Depuis que je suis ici, aucun parmi eux n’est venu me rendre visite. Je comprends maintenant ceux qui disent qu’il y en a qui utilisent le nom de Norbert Zongo comme fonds de commerce. Si j’étais mort, certainement qu’ils allaient en faire de même avec mon nom. Malheureusement pour eux, je suis vivant ». Par contre, il s’étonne que ce soit des membres de la majorité présidentielle qui pensent à lui. En mettant un bémol, il ne tarit pas de remerciements pour Me Hermann Yaméogo et pour El hadj Oumarou Kanazoé qui ont pensé à lui et à sa famille. Peut-être ne sait-il pas, dans sa réclusion, que d’autres responsables politiques de l’opposition ont plaidé, sans succès jusque-là, sa libération auprès des responsables politico-judiciaires.

Aujourd’hui, le souhait de Nana Thibaut est de recouvrer la liberté. Et l’idéal pour lui serait que cela arrive avant la rentrée scolaire qui s’annonce. Toujours est-il qu’il semble avoir la conscience tranquille en évoquant les événements qui l’ont conduit en taule. « Je n’ai pas volé, je n’ai pas violé et je n’ai pas tué. Quelque part, si à un certain moment le gouvernement a pris des mesures pour amoindrir le chaos de la récession économique sur le panier de la ménagère, c’est grâce aux manifestations de mécontentement qui ont eu lieu ». Et le concepteur du "Wend sik manégré" qui, plus que jamais, a besoin que son slogan-fétiche se réalise, en bon politicien qui aime les bains de foule, d’émettre un autre vœu : « Je ne me reproche rien. Je souhaite que, le jour de ma libération, le peuple vienne m’accueillir devant la porte de la prison, parce que j’ai lutté pour une cause juste ».

K.I.B

L’Observateur

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