Actualités :: Institution d’une journée des coutumes et traditions : « C’est rappeler à la (...)

Le conseil des ministres a institué par décret, mercredi 6 mars 2024, une journée des coutumes et traditions. Que représente cette journée et en quoi est-elle nécessaire pour le regain de la paix tant recherchée ? Dans cette interview, le fondateur du Centre d’analyse de la pratique de la sorcellerie en Afrique noire, Bali Nébié, nous situe sur la question.

Lefaso.net : Présentez-vous à ceux qui ne vous connaissent pas.

Bali Nébié : Je suis Bali Nébié, professeur certifié de Sciences de la vie et de la terre (SVT) à la retraite. Je suis aussi écrivain.

Il y a quelques mois, vous avez ouvert un centre de formation « atypique » dont l’annonce a défrayé la chronique dans les médias. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

(Rires !) Bien sûr et avec plaisir. Il s’agit d’un centre d’analyse de la pratique de la sorcellerie en Afrique noire et de formation à la construction de la personnalité de l’individu.

Mieux encore...

Dès que les gens entendent le mot « sorcellerie », tous leurs sens se mettent en éveil et je dirai même en alerte. Les gens ont peur de la sorcellerie parce qu’ils n’en savent absolument rien en dehors des histoires imaginaires et terrifiantes qu’on leur débite depuis leur enfance. Ces fictions, véhiculées de génération en génération, font par exemple que les jeunes citadins dont les parents sont d’origine villageoise, ont peur d’aller rendre visite aux grands-parents. C’est comme si au village, des sorciers et sorcières étaient permanemment en embuscade en attente de nouvelles et tendres proies (rires). Alors qu’il n’en est absolument rien ! Je me rappelle que quand j’étais au collège Moukassa de Koudougou, dès qu’on nous accordait un congé même de trois jours, je fonçais au village. J’aimais la vie du village.

Je montre aux jeunes en formation dans le centre, le génie organisationnel de nos communautés pour instaurer l’ordre, la discipline, la justice et la sécurité alors qu’il n’y a ni police, ni gendarmerie, ni prison. Je leur montre le rôle de la sorcellerie en tant que système conçu et animé par des organisations secrètes en vue de garantir la paix sociale. Par rapport au second module relatif à la personnalité de l’individu, je montre aux apprenants l’importance de la personnalité dans la vie de tout individu d’une part et surtout le fait qu’elle ne soit nullement héréditaire d’autre part ; étant donc acquise, elle peut être modifiée ou renforcée. Voilà en gros le contenu des activités qui sont menées au centre.

En termes simples, est-ce à dire que la sorcellerie fait référence à nos traditions ?

Je voudrais vous informer que toutes les sociétés humaines ont connu la sorcellerie, définie comme une pratique qui confère à un individu des pouvoirs surnaturels qu’il utilise généralement pour faire du mal à autrui. L’Afrique noire n’en a donc pas l’exclusivité. Par contre, ce qui a été particulier à l’Afrique Noire, c’est le fait que la sorcellerie ait été érigée en un système de régulation de la vie communautaire par la formation de sociétés secrètes ou confréries. Exemples : la confrérie des hommes-lions dans les zones où il y avait la savane et la confrérie des hommes-panthères ou hommes-léopards dans celles où il y avait la forêt.

C’étaient ces confréries qui, de façon souterraine, influençaient l’orientation politique de nos communautés. Elles s’étaient donné pour mission de jouer le rôle de « police des mœurs » d’une part et de défendre farouchement les traditions face aux envahisseurs arabes et européens dont les armes favorites étaient leurs religions (l’islam et le christianisme) d’autre part. La force de ces confréries résidait dans leur capacité de garder le secret absolu sur leurs activités.

Elles avaient fait en sorte de refuser en leur sein tout garçon inscrit à l’école du Blanc. Vous comprenez donc que le mot sorcellerie n’avait plus le même contenu que celui de l’imaginaire populaire. Les traditions ou coutumes font allusion à l’ensemble des croyances ou des savoirs d’un peuple et à ses manières d’agir ou de penser qui se transmettent de génération en génération. La culture, quant à elle, fait référence aux traditions, aux valeurs, aux acquis intellectuels, etc. d’un peuple. De ce point de vue, la sorcellerie fait référence à nos traditions.

Quelle est votre opinion sur la décision du gouvernement de consacrer une journée à nos traditions ?

La culture, dit-on, est l’âme d’un peuple ; et la tradition est une composante fondamentale. La culture des peuples noirs a été malmenée pendant des siècles par la traite arabo-musulmane, la traite transatlantique et la colonisation. Nos traditions en ont par conséquent pris un sérieux coup au point que de nombreux Africains en ont honte. Des Africains surtout instruits vont avec fierté à l’église ou à la mosquée, mais se cachent bien souvent pour aller faire des sacrifices sur des divinités au village. En outre, aux cérémonies officielles, quand on parle des autorités religieuses, on ne pense qu’aux chrétiens et aux musulmans alors que tout le monde sait qu’il n’y a pas que ces deux confessions religieuses.

Comme le disent certains en plaisantant, au Burkina il y a x% de musulmans, y% de chrétiens mais plus de 99% d’adeptes de la religion traditionnelle. La décision prise par le gouvernement est majeure. C’est une initiative courageuse et louable. Il appartient cependant aux acteurs de nos croyances traditionnelles de s’organiser pour canaliser toutes ces énergies en attente. Cette organisation est d’autant plus nécessaire que, de nos jours, les véritables fossoyeurs de nos traditions sont des coutumiers eux-mêmes, transformés en de vulgaires racketeurs des populations qu’ils traumatisent et font chanter à volonté en se réfugiant derrière ces mêmes traditions.

Concrètement, selon vous, qu’est-ce qui sera fait durant cette journée ?

Le gouvernement a pris une décision qui a été mûrie. Dans les jours à venir, des précisions seront sans doute données quant au contenu des activités qui seront menées durant cette journée. Mais je crois qu’il y a un élément important que je souhaite qu’il soit pris en compte : la connaissance de nos traditions. De nombreux Burkinabè méconnaissent les coutumes de leur région. Il faut, à mon humble avis, commencer par là.

Dans le domaine de nos croyances, beaucoup de gens ignorent par exemple la différence entre nos divinités et les fétiches ou gris-gris. Les religions étrangères ont beaucoup contribué à semer la confusion entre les deux termes (la divinité et le fétiche), dans le but de dénigrer nos croyances. Apprendre à se connaître et à connaître l’autre cultive la tolérance entre les peuples.

Est-ce à dire que cette décision tombe à pic ?

Tout à fait ! Cette décision est comparable à un rappel à la tige et aux feuilles de l’arbre ou de l’arbuste que leurs racines sont fondamentales à leur existence et à leur épanouissement. Dès qu’on parle de nos traditions, les populations dans leur large majorité pensent automatiquement à la sorcellerie, à des pratiques dites sataniques, à la traque et à l’humiliation des personnes âgées, au bannissement de pauvres gens de leurs communautés, à des envoûtements, à des assassinats mystiques, etc.

Naturellement, dans ces conditions, des gens ne peuvent que fuir les traditions, ou du moins ce qu’ils croient être les traditions, pour aller chercher protection auprès de certaines confessions religieuses dont les responsables sont devenus pour la circonstance experts en exorcisme. C’est comme si tout était fait pour éloigner les Africains de leurs traditions. Alors que l’abandon de notre culture nous prive de repères fondamentaux pour le développement de nos pays. Mieux vaut tard que jamais, comme dit l’adage.

Connaissez-vous des exemples de communautés qui célèbrent toujours leurs traditions et leurs coutumes ?

Il me semble qu’au Bénin, il y a une journée consacrée aux traditions.

Mais dans le fond, est-ce que nos divergences culturelles ne sont pas à l’origine des conflits auxquels nous faisons face actuellement ?

En Afrique noire, nos traditions sont fondamentalement les mêmes : les célébrations des funérailles des personnes très âgées s’accompagnent de danses et de fêtes en Afrique noire, alors que chez les Européens (chrétiens) et les Arabes (musulmans), ce n’est pas le cas ; la première autorité coutumière en Afrique noire est généralement le chef de terre. Il peut y avoir de légères variances d’une société à une autre. Il en est de même pour les valeurs sociales.

Si tel est le cas, pourquoi des frères d’une même communauté se massacrent ?

Au début du conflit, on nous avait fait croire que c’étaient les faillites des politiques qui avaient entraîné la révolte de nos frères du Nord. Nous comprenons aujourd’hui que ce n’était qu’un prétexte. La vraie cause du drame que vivent notre pays et les autres pays de l’AES est connue de tous. Les masques sont tombés et les Occidentaux, avec les autorités françaises en tête, ne cachent plus leurs intentions hégémoniques sur notre vaste zone, pour des intérêts géostratégiques et le pillage de nos ressources naturelles.

Avant l’instauration de cette journée, le Burkina Faso était le pays qui comptait le plus de jours fériés dans la sous-région. À cela vient désormais s’ajouter cette date du 15 mai. N’est-ce pas trop pour un pays dit en voie de développement ?

Pour moi, aucune religion n’est ni supérieure ni inférieure à une autre. Nous savons tous combien de jours fériés sont accordés aux autres religions. J’aurais par contre souhaité qu’une deuxième journée consacrée à nos traditions soit instituée dans la première semaine du mois de décembre, pour remercier Dieu et les mânes des ancêtres pour les bonnes récoltes. Dans mon village et d’autres villages voisins, il existe une telle journée. À l’occasion, toutes les femmes du village sans exception préparent chacune un mets de leur choix qu’elles apportent sur l’autel de la divinité Terre, et tous les membres de la communauté se retrouvent pour festoyer.

Un dernier mot ?

Merci encore une fois de plus au Dr Paré et à ses collaborateurs pour l’occasion qu’ils m’ont donnée de partager avec les internautes mon opinion sur la décision du gouvernement, relative à l’institution d’une journée consacrée à la tradition.

Propos recueillis par Erwan Compaoré
Lefaso.net
Contact de Bali Nébié
Professeur certifié de SVT à la retraite/Écrivain :
bedoa@gmx.fr
Contact : +22666158655.

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