Actualités :: L’éducation en temps de pandémie : conséquences, riposte et perspectives

L’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la vie (PAV) qui s’est tenue du 27-29 Septembre 2021 au Vatican, a traité le thème suivant : « La santé publique dans une perspective globale. Pandémie, Bioéthique, Avenir ». Notre compatriote Jacques Simporé, religieux camélien et Professeur en bioéthique qui est l’un des trois africains à faire partie de cette académie a traité de « L’éducation en temps de pandémie : conséquences, riposte et perspectives ». Nous vous proposons l’intégralité de sa communication au moment où se tiennent les assises nationales sur l’éducation au Burkina Faso.

Introduction

La pandémie à Covid-19 a provoqué un choc sans précédent dans l’histoire du système éducatif mondial. Elle a bouleversé la vie de plus de 1,7 milliard d’élèves et d’étudiants dans plus de 194 pays, sur tous les continents[1].

Face à cette crise sanitaire, les systèmes éducatifs du monde entier ont construit des modes didactiques résilients. Ainsi, au niveau international, chaque pays a utilisé, selon ses capacités, les multimédias (radio, télévision, etc.) et les outils de e-learning (Zoom, GoToMeeting, Meet, Skype, etc.) pour rattraper le temps scolaire perdu et résoudre la problématique de l’enseignement en présentiel.
Cependant, l’utilisation de ces nouvelles technologies dans le cadre de la pandémie suscite une aggravation des disparités en matière d’éducation entre les pays riches et les pays pauvres. Elle pose également des problèmes éthiques et nous amène à nous interroger sur la nécessité de repenser la question éducative dans son intégralité.

Cette présentation s’articule autour de trois axes :
-  les conséquences de la pandémie sur le système éducatif mondial ;
-  la riposte prompte et résiliente aux conséquences de la pandémie face à des questions éthiques ;
-  la nécessité de repenser l’enseignement pour édifier l’avenir du système éducatif.

I – Les conséquences de la pandémie sur le système éducatif mondial

Selon les statistiques, le nouveau coronavirus a infecté plus de 200 millions de personnes dans le monde et en a déjà tué plus de quatre millions[2]. La panique, le scepticisme et la méfiance sont omniprésents à tous les niveaux de discussion, car le SARS-CoV-2 nous offre des spectacles inouïs : des rues vides et des villes fantômes. Il nous prive de l’exubérance de nos bistrots, des étreintes et de la gentillesse de nos chaudes poignées de mains. Il a provoqué, par les confinements et les fermetures des frontières, des écoles, des universités, des marchés et des magasins, la faillite des entreprises, des usines, des agences de voyage, des offices de tourisme, des banques et même des hôpitaux. Il a engendré de nombreux chômeurs et a semé la peur et l’angoisse partout dans le monde. Cette pandémie a plongé l’humanité tout entière dans le désarroi et ses conséquences sur nos comportements sociaux, sur l’économie et les finances publiques perdureront de longues années. Ainsi, la Covid-19 a mis et continue de mettre nos nerfs à rude épreuve. Concomitamment, les ondes de choc et les effets de la pandémie se sont abattus violemment sur le système éducatif mondial, l’acculant à régresser dans son élan de progrès planifié.

I.1 – La situation du système éducatif mondial pré-Covid-19
Selon la Banque mondiale, le monde traversait une crise de l’apprentissage même avant la pandémie de Covid-19[3]. En effet, la plupart des pays accusaient clairement un retard quant à la réalisation de l’objectif de développement durable 4 (UNESCO, ODD4, 2019) dont l’ambition était d’« Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie d’ici 2030 ». Bien avant l’avènement de la Covid-19, de nombreux pays avaient déjà des difficultés à promouvoir une scolarisation universelle adéquate à l’école primaire. En effet, en 2019, selon la Banque mondiale, « près de 53 % des enfants de 10 ans dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ne savaient pas lire »[4] et d’après l’UNESCO, « plus de 250 millions d’enfants ne fréquentaient pas l’école primaire »[5] et « près de 800 millions d’adultes étaient analphabètes »[6].

1.2. La situation de l’éducation avec l’avènement de la Covid-19

La Covid-19 a eu un triple effet : la fermeture des salles des classe, la récession économique (ou crise économique) et des coûts à long terme.

I.2.1 – La fermeture des salles de classe
I.2.1.1 – Les répercussions sur les apprenants

Vers la fin du mois d’avril 2020, la Covid-19 avait entraîné la fermeture de nombreuses institutions d’enseignement dans plus de 170 pays[7]. Au niveau mondial, les fermetures d’institutions d’enseignement affectaient plus de 80 % des apprenants[8], bouleversant ainsi leurs vies scolaire et universitaire. Cependant, cette crise a des effets inégaux entre les nations, car celles qui sont défavorisées ont des taux de scolarisation très bas et des taux d’abandon scolaire très élevés.
Par exemple, en Afrique subsaharienne, la Covid-19 est venue aggraver la situation, car de nombreux lycées et écoles étaient déjà fermés en raison de l’insécurité et notamment des abandons des villages à cause du terrorisme. Dans les systèmes éducatifs les plus fragiles, comme c’est le cas au Sahel, l’arrêt des cours en présentiel a eu des effets singulièrement néfastes, surtout sur les apprenants en état de vulnérabilité. Deux phénomènes importants sont à noter :

 Les inégalités en matière d’apprentissage vont davantage se creuser entre les pays riches et les pays pauvres et entre la population générale d’un pays et la population vulnérable.

 L’attachement à la scolarité des enfants pourrait diminuer. Ainsi, la fermeture des institutions d’enseignement pourrait entraîner davantage d’abandons scolaires, surtout chez les élèves qui n’aimaient déjà pas l’école.

I.2.1.2 – Les conséquences sur la santé humaine et sur la sécurité alimentaire

 La sécurité alimentaire et la santé physique des élèves sont compromises. Avec la fermeture des classes, les enfants qui dépendent des programmes de cantines scolaires pour se nourrir souffrent de faim et de malnutrition.

 Le stress psychologique engendré par la pandémie et l’insécurité alimentaire entraînerait l’augmentation du niveau de stress et d’anxiété au sein des familles ainsi que des risques de dépression chez les enfants et les jeunes.

 Ce climat de stress et d’insécurité prédisposerait les élèves et les étudiants fragiles et en état de vulnérabilité à la violence, à la délinquance, à la drogue, à la malavita et à d’autres menaces, surtout dans les camps de réfugiés ou de déplacés-internes.

I.2.2 – La crise économique
La fermeture des salles de classe n’a pas été le seul élément qui a entraîné et déterminé la détérioration des acquis scolaires. La récession économique, ou crise économique, qui a frappé impitoyablement le système économique et financier mondial, est également en cause. Le Fonds Monétaire International (FMI) prévoit que, du fait de la Covid-19, la récession économique mondiale sera plus importante que celle des années 2008-2009[9].

I.2.2.1 – Les effets de la crise économique sur la demande d’éducation
Compte tenu des difficultés économiques de leurs parents, si la crise persistait, de nombreux élèves et étudiants pourraient être contraints d’abandonner l’école ou l’université. En effet, la pandémie et le confinement qu’elle a imposé ont entraîné du chômage et certains parents ne peuvent plus payer les frais de scolarité de leurs enfants. L’abandon scolaire est également lié au besoin d’argent : certains parents incitent leurs enfants à travailler précocement dans les mines, les champs ou les petits commerces afin d’augmenter le niveau économique de la famille.

I.2.2.2 – Les répercussions de la récession économique sur la qualité de l’éducation
Avec la crise économique, de nombreux parents ne peuvent plus assumer les frais de scolarité de l’éducation privée et préfèrent désormais inscrire leurs enfants dans les institutions d’enseignement publiques. Cela entraîne dans ces écoles un phénomène de massification, mais aussi l’abaissement de la qualité de l’enseignement.
La récession économique induite par la Covid-19 a forcé les gouvernements à opérer des coupures budgétaires. Ainsi, les États ont réorganisé leur budget, réduisant alors les investissements dans l’éducation au détriment de la qualité de l’enseignement.
La Covid-19 a causé la mort de nombreux médecins et infirmiers ainsi que de nombreux acteurs du système éducatif, comme des instituteurs, des professeurs et des chercheurs. Elle a affaibli le système économique mondial en plus d’avoir entraîné la récession du système éducatif mondial.

I.3 – Les coûts de la pandémie à long terme

Si les effets de la Covid-19 ne sont pas maitrisés par des procédés d’atténuation, l’humanité en subira les conséquences sur le long terme et perdra ainsi de nombreux acquis engrangés dans le système éducatif. On assistera alors à une détérioration des résultats de l’éducation sur le capital humain. On observera aussi une diminution du rendement, un accroissement de la pauvreté et une augmentation des agitations sociales. Si aucune mesure n’est prise permettant d’atténuer les divers coûts de la pandémie, les crises sanitaires et les crises éducatives et économiques qu’elles engendrent empêcheront à long terme des générations entières de réaliser leurs rêves et leurs ambitions. Les élèves qui seront mal formés à l’école primaire et dans le secondaire seront, malgré eux, de mauvais étudiants dans les universités et auront des difficultés à s’insérer dans la vie professionnelle. Sans éducation, ils risquent de se retrouver au chômage et d’être davantage exposés aux problèmes d’alcool, de drogue et de criminalité. Ainsi, un jeune mal éduqué pourrait représenter un danger pour la société.

II – Une riposte prompte et résiliente aux conséquences de la pandémie face à des questions éthiques

Face à une crise sanitaire qui a affecté et tué des millions de personnes, qui a provoqué des récessions économiques et des compressions des employés, qui a entraîné la fermeture des écoles et bouleversé les us et coutumes de nos sociétés, les différents gouvernements ont réagi rapidement afin de repenser leurs systèmes éducatifs. Les États se sont mobilisés avec diligence pour élaborer des politiques d’adaptation, non seulement pour garantir la continuité de l’éducation, mais aussi pour prévenir la Covid-19 chez les apprenants et leurs enseignants. Ainsi, partout dans le monde, les institutions d’enseignement ont été fermées et les télé-enseignements ont été développés[10]. Cependant, cette manière d’enseigner a provoqué des disparités dans l’enseignement dispensé pendant la fermeture des écoles et a engendré des inégalités entre les pays pauvres et les pays riches, en défavorisant surtout les élèves et les étudiants en état de vulnérabilité.

II.1 – Les outils de télé-enseignement élaborés

Éviter l’interruption pédagogique après la fermeture des institutions d’enseignement était la préoccupation majeure des gouvernements du monde entier. C’est pourquoi de nombreuses écoles et universités ont adopté l’enseignement à distance, rendu possible grâce à l’utilisation des outils digitaux via Internet : les services de visioconférence (Zoom, Jitsi, GoToMeeting, Meet, Skype...), de plateformes d’enseignement à distance (moodle, canvas, Additio...) et d’espaces numériques de travail (omnispace, zembra….), etc. Chaque pays a bâti son plan d’action en fonction des moyens et des structures dont il disposait.

Dans les pays à faibles revenus, où les apprenants n’ont pas un accès illimité à Internet, les ministères chargés de l’éducation et des enseignements ont promu les moyens traditionnels d’enseignement à distance : télévision, radio et distribution de supports de cours imprimés. Dans les pays riches, où de gros moyens de télé-enseignement sont développés, la majorité des apprenants reçoivent un enseignement à distance numérique[11]. Cet écart est dû principalement au fait que les ménages défavorisés et les individus en situation de vulnérabilité n’ont bien souvent pas d’électricité, de téléphone ou de connexion internet et ne sont pas habitués à utiliser les outils numériques dans la vie courante. La question de l’évaluation des élèves et des étudiants s’est également posée. Ainsi, toutes ces méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients, notamment en termes d’équité et de défis éthiques[12].

II.2 – L’utilisation des télé-enseignements à l’ère de la Covid-19 et les questions d’éthique

L’enseignement à distance a été utilisé pour permettre la continuité pédagogique lors de la fermeture des écoles et des universités pendant la pandémie[13]. Au-delà des objectifs de continuité d’enseignement et des questions d’inclusion et d’équité, le recours aux outils numériques et leurs nouveaux usages se sont accompagnés d’un accroissement des risques et a mis en lumière des enjeux éthiques.
Voici quelques-uns de ces enjeux :

 La sécurité des données numérisées des enfants : au début de la pandémie, de nombreuses écoles et institutions d’enseignement secondaire et supérieur à travers le monde ont choisi le e-learning pour assurer la continuité pédagogique. Elles ne se sont pas souciées du fait que le traitement des données personnelles des élèves et des étudiants devrait se faire in situ, dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Des questions se posent : avant d’utiliser les outils numériques pour le télé-enseignement, des codes ont-ils été attribués aux apprenants ? Les données numérisées (âge, sexe, maladies, handicap, taux de succès, photo, histoire familiale, etc.) ne peuvent-elles pas être piratées pour être vendues au big data, par exemple pour l’apprentissage de l’intelligence artificielle (IA) à la reconnaissance faciale ou pour un motif encore moins noble ?

 L’internet, formidable outil à double tranchant : grâce aux outils numériques et l’accès à Internet, l’élève peut accéder à de nombreux contenus qui lui permettent de communiquer, s’éduquer, se cultiver et se divertir. Il peut également être confronté à des contenus inadaptés, choquants, dégradants, voire se mettre lui-même en danger.

 Les risques de manipulation, de harcèlement et de discrimination : la numérisation des données des élèves et des étudiants pose des enjeux éthiques en raison des risques de manipulation, de harcèlement, de discrimination, de perte d’autonomie et de tension entre le respect de la vie privée des apprenants et le besoin d’assurer un suivi pédagogique individualisé grâce aux données personnelles. À cause des informations retenues par l’IA, on peut se demander si certains étudiants avec des difficultés scolaires pourraient avoir des difficultés à s’insérer dans la vie professionnelle.

 L’aggravation des disparités entre les pays riches et les pays pauvres en matière d’éducation : l’utilisation des télé-enseignements à l’ère de la pandémie à induit une aggravation des disparités entre les pays riches et les pays pauvres en matière d’éducation. Or, selon les Nations unies, « l’éducation est un droit humain fondamental »[14]. Parmi les élèves et les étudiants des pays pauvres, nombreux sont ceux qui n’ont ni électricité, ni ordinateur, ni Internet, ni compétences numériques. Certains ne parlent même pas couramment la langue d’enseignement. Par conséquent, ils ne peuvent pas suivre correctement les cours à distance. Il existe donc une fracture numérique qui soulève la question de l’égalité des chances entre les élèves et étudiants[15]. Le passage d’un enseignement classique en présentiel à un enseignement totalement dispensé à distance est conditionné par la disponibilité des ressources de connexion pour les enseignants et les apprenants. De nombreux apprenants évoquent non seulement la cherté de la connexion, mais aussi l’indisponibilité des appareils multimédias, l’instabilité du réseau Internet et l’accès inégal à la logistique de l’enseignement à distance. Il est utile de rappeler que l’égalité des chances est un principe garanti par les droits humains. Selon El Hassouni, l’expérience de la Covid-19 montre qu’un enseignement à distance subi et non choisi est fortement exclusif, remettant ainsi en cause certains principes fondamentaux de l’éducation. Pour elle, l’urgence est donc l’élaboration en amont d’une véritable stratégie de pédagogie numérique qui soit inclusive et mise en place à travers des actions concrètes et ciblées.

 In fine, on peut se demander comment, dans le cadre du télé-enseignement utilisant les outils de l’IA, s’il est possible de différencier les informations personnelles des apprenants qui peuvent être utilisées de celles qui ne doivent pas l’être. Comment garantir un enseignement à distance respectueux des droits fondamentaux de l’Homme et des libertés individuelles ? Quelle place accorder à la nécessité d’un consentement libre et éclairé, si cher à l’éthique, dans l’utilisation des données à caractère personnel ? Enfin, quelles sont les sanctions applicables si toutefois il y a violation ? D’un point de vue juridique et éthique, se pose alors la problématique de la protection de l’intimité de la personne humaine face à la nécessité d’innover le système éducatif.

III – La nécessité de repenser l’enseignement pour édifier l’avenir du système éducatif

III.1 – Apprendre en période de pandémie : défis de connectivité et de discernement

La Covid-19 contraint les enseignants à changer de paradigme pédagogique afin de préparer leurs élèves et étudiants à la résilience et à la résistance face à l’adversité. L’Homme moderne doit transformer les périodes difficiles de confinement et de fermeture des classes en des moments d’opportunité, qui soient catalyseurs de changement et leviers du développement du système éducatif[16].
Selon certains enseignants-chercheurs, « la crise épidémique doit nous apprendre à ne plus fonctionner comme avant, et à nous convaincre de la nécessité de mener en urgence des actions qui seraient à la hauteur des défis à relever ». Pour Halim et El Ouahidi, la plupart des écoles et des universités ont fait des exploits dans le domaine du e-learning, mais très peu ont développé des stratégies impliquant une amélioration de la formation, de la recherche, de la politique sociale et de la gouvernance[17]. La question fondamentale qui se pose à tous est celle-ci : la pandémie de la Covid-19 peut-elle influencer notre vision de notre système éducatif ? Pour Halim, la leçon tirée de cette crise montre que l’intégration du télé-enseignement dans le système éducatif est devenue impérativement irrévocable. Selon Sylva et al. (2017) et Schonwetter et al. (2010), les écoles et les instituts d’enseignement supérieur et de recherche (IESR) devraient exiger la formation numérique pour tous les enseignants et les apprenants de tous les niveaux, car selon certaines études, les télé-enseignements et les cours hybrides donnent d’excellents résultats [18 ; 19].

III.2 – Le numérique comme réponse à la massification

Selon Halim, l’évolution du système éducatif sera inéluctablement numérique. Cela signifie que, pour pouvoir continuer d’exister, les établissements scolaires doivent s’approprier le numérique et investir dans ce domaine. Autrement, les étudiants, y compris les meilleurs d’entre eux, risquent de se tourner vers d’autres universités. La numérisation qui désormais constitue le fondement de nos systèmes éducatifs, devrait donc concerner tous les services : administration, pédagogie, système académique, comptabilité, scolarité, gestion, etc.

D’après certains auteurs, la massification touche tous les systèmes éducatifs du monde entier. Ses effets sont plus marqués dans les zones en développement, dans lesquelles les inscriptions dans les instituts d’enseignement supérieur (IES) sont en forte croissance. La massification soulève également la question du coût de l’enseignement et de sa qualité[20], notamment dans des contextes africains[21]. Ces mêmes auteurs considèrent la technologie moderne comme un des tremplins majeurs pour atténuer, voir même éradiquer les conséquences négatives de la massification. Ainsi, pour Lameul et al. (2014), l’efficience des télé-enseignements ne sont plus à prouver car ses avantages sont multiples : « interaction relativement similaire au présentiel, meilleure assimilation des cours et flexibilité temporelle »[22]. Dans cette perspective, pour les apprenants, l’enseignement numérique leur permet d’étudier à leur rythme et leur consent de mieux comprendre les notions traitées en classe[15].

III.3 – Les leçons pédagogiques tirées de l’expérience de la pandémie : pistes de réflexion

Les constats et les analyses présentés permettent de formuler des pistes de réflexion afin d’obtenir une meilleure intégration du numérique dans les systèmes éducatifs en cas de nouvelle pandémie ou d’autre perturbation.

III.3.1 – La formation des enseignants et des apprenants au télé-enseignement

Il est nécessaire de sensibiliser les enseignants à l’importance des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) en leur proposant des programmes de formation aux outils numériques. De nos jours, il est impératif que les enseignants soient formés à l’utilisation des outils informatiques se rapportant au système éducatif. Une fois formés, ils seront très motivés à les intégrer dans leurs enseignements, ce qui aura pour conséquence de réduire le fossé entre les générations, de stimuler l’échange avec les apprenants et de permettre à tous de tirer profit des nombreux avantages des télé-enseignements. Il faudra également former les apprenants au e-learning et les initier aux outils numériques.

III.3.2 – L’augmentation du volume horaire des enseignements à distance

Même si les cahiers des normes pédagogiques estiment qu’un certain nombre d’heures est suffisant pour les cours en présentiel, il est nécessaire de prévoir des heures supplémentaires pour les cours à distance, à cause des imprévus liés à la connexion Internet.

III.3.3 – L’implication des opérateurs économiques

L’implication des opérateurs économiques est une condition sine qua non pour construire les écoles et les IESR. Selon Albero, « la pédagogie n’est pas une dimension isolée, strictement technique et applicative qui peut se traiter de manière indépendante »[23]. L’intégration du numérique dans les pratiques pédagogiques ne saurait être l’affaire des seules IESR ou des enseignants. Toute démarche visant à opérer des changements de fond dans le système éducatif doit forcément impliquer tous les acteurs au-delà même des frontières des écoles, des grandes écoles et des IESR.

III.3.4 – L’élaboration de plateformes

Il est nécessaire d’élaborer des plateformes qui soient à la fois une aubaine et un challenge pour le système éducatif. Ces plateformes sont une chance, car les NTIC renferment en elles des opportunités énormes, mais elles représentent également un défi, puisqu’elles impliquent de repenser l’éducation, notamment la pédagogie, les modes d’évaluation, la formation des enseignants et des apprenants. L’objectif de cette manœuvre est de transformer l’éducation numérique en un véritable service public de qualité. Les gouvernements, dans le but de munir leurs écoles et leurs IESR d’atouts indispensables pour sortir encore plus forts de cette crise sanitaire, devraient inciter leurs ingénieurs et leurs chercheurs à réfléchir collectivement à un programme commun concernant l’avenir du système éducatif de demain. Il est notamment nécessaire de se demander quels étudiants on veut former et quel système éducatif promouvoir dans nos écoles et dans nos IESR.

Dorénavant, nous sommes embarqués dans le bateau de la numérisation et notre voyage est sans retour. Gardons également à l’esprit que 70 % des professions qui subsistent actuellement sont à réinventer d’ici 2030[17]. Dans cette optique, pour les années à venir, il faudra élaborer une stratégie pour répondre à la question principale qui est la suivante : quel système éducatif voulons-nous bâtir pour demain ? Toute réflexion tiendra compte des thématiques de la digitalisation et de l’innovation pédagogique. Il serait opportun de repenser la formation professionnelle à la lumière d’un système éducatif numérisé.

Enfin, les sciences et la technologie au XXIe siècle sont caractérisées à la fois par leur spécificité exponentielle, vertigineuse et complexe. La pandémie de la Covid-19 nous rappelle que les risques de cette mondialisation sont également exponentiels, tandis que nous humains, nous sommes plutôt linéaires, cartésiens ou spirales dans nos approches.

III.3.5 – La création d’un fond national dédié au numérique dans les pays en développement

Le numérique n’est pas encore bien développé dans les pays en développement. Il serait opportun pour ces nations, si ce n’est pas encore fait, de créer un fond d’appui pour la promotion des télé-enseignements. Des taxes pourraient être prélevées sur la téléphonie mobile et sur les ventes d’alcool, de tabac, de produits de luxe et de beauté, etc.

Conclusion
La recherche scientifique et l’innovation sont des voies royales pour nous permettre de relever les grands défis de ce siècle [17]. Ainsi, comme le pensait Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde ». Aujourd’hui plus que jamais, les institutions d’enseignement sont appelées à se différencier et à se moderniser pour répondre à la demande des apprenants, qui sont de plus en plus nombreux. Les écoles, les grandes écoles et les universités sont appelées à bâtir un système éducatif de qualité. Ainsi l’intégration du numérique dans les télé-enseignements devrait constituer le fondement majeur de la future « université 4.0 ». La pandémie du SARS-CoV-2 servira de catalyseur ou de tremplin à cette transformation substantielle. Toutefois, ce changement de paradigme ne sera effectif et maîtrisé que dans la mesure où les règles du jeu sont équitables et donnent les mêmes chances à tous les apprenants pour en tirer le meilleur avantage. De plus, la réussite de cet enseignement à distance est conditionnée par l’implication, dans la réflexion, de l’ensemble des acteurs du système éducatif, sanitaire, politique et socioéconomique.

Jusqu’à nos jours, biologiquement et stratégiquement, ce coronavirus semble avoir vaincu « Homo sapiens » (Homme moderne). Mais tôt ou tard, culturellement, grâce à son intellect, à son éducation et à la recherche scientifique guidée par la raison et par l’éthique, l’Homme moderne triomphera de la COVID-19 comme il a su éradiquer de nombreuses pathologies qui le terrorisaient dans les siècles passés. Les chercheurs de médicaments et de vaccins anti-SARS-CoV-2, avant d’arriver à la victoire finale contre ce virus pathogène, comme le Laboureur le disait à ses enfants dans les fables de La Fontaine, les chercheurs devraient eux aussi, « creuser, fouiller, bêcher ; ne laissant nulle place où la main ne passe et repasse ». C’est à ce prix que les chercheurs pourront vaincre à tout jamais la COVID-19 ! Forts de cette espérance, nous osons croire que les générations qui nous succèderont ne connaitront guère ce type de pandémie ; et par conséquent, n’en parleront qu’au passé et ne l’apprendront que dans leurs livres d’histoire. « Oui, la COVID-19, nous la vaincrons ! ».
Elle mourra de sa mort tout en nous laissant des opportunités au niveau sanitaire, éducatif et j’en passe.
Car, les pandémies ne provoquent pas seulement que des crises, mais elles induisent également des opportunités.

En définitif, quel système éducatif voulons-nous bâtir pour les générations futures ? Les leçons apprises sur l’enseignement à distance, durant la pandémie du SARS-CoV-2 servira de catalyseur ou de tremplin à la transformation substantielle de notre système éducatif.

Avant de conclure cette présentation, je voudrais paraphraser un penseur africain, en la personne d’Amadou Hampaté Bâ qui exalte l’éducation : si tu veux récolter en quelques mois, sème du mil ; si tu veux récolter en quelques années, plante des arbres ; mais si tu veux récolter à l’infini, éduque les hommes.

Prof. Jacques SIMPORE
Professeur Titulaire de Génétique et de Biologie Moléculaires, Université Joseph Ki-Zerbo ;
Docteur (PhD) en Bioéthique/Éthique ;
Directeur du Centre de Recherche Biomoléculaire, CERBA/LABIOGENE, UJKZ ;
Membre de l’Académie Nationale des Sciences du Burkina Faso ;
Membre de l’Académie Africaine des Sciences (AAS),
Membre de l’Académie Pontificale pour la Vie, Vatican.
Site web : www.labiogene.org ; www.cerbafaso.org
https://orcid.org/0000-0002-0415-9161

Bibliographie
- Jean-Louis Durpaire, 2020. Quelques effets de la COVId-19 sur l’école dans le monde. Revue internationale d’éducation de Sèves, https://doi.org/10.4000/ries.9758 ; https://journals.openedition.org/ries/9758 [Site web consulté le 09 août 2021].
2 - United Nations. (2020, August). Education during COVID-19 and beyond (Policy Brief). https://www.un.org/development/desa/dspd/wp-content/uploads/sites/22/2020/08/sg_policy_brief_covid-19_and_education_august_2020.pdf. [Site web consulté le 09 août 2021].
3 - World Bank. 2018b. World Development Report 2018 : Learning to Realize Education’s Promise. Washington, DC : World Bank. https://openknowledge.wor- ldbank.org/handle/10986/28340. [Site web consulté le 09 août 2021].
4 - World Bank. 2019b. Ending Learning Poverty : What Will It Take ? Washington, DC : World Bank. https:// openknowledge.worldbank.org/handle/10986/32553. [Site web consulté le 09 août 2021].
5 - UNESCO, “Out-of-School Children and Youth”, 2018, Institut de statistique de l’UNESCO (ISU), : http://uis.unesco.org/en/topic/out-school-children-and-youth. [Site web consulté le 09 août 2021].
6 - UNESCO, 2017. More Than One-Half of Children and Adolescents Are Not Learning Worldwidehttp://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/fs46-more-than-half-children-not-learning-en-2017.pdf. [Site web consulté le 09 août 2021].
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8 - UNESCO Institute for Statistics. 2020a. “Adjusted Net Enrollment Rate, Primary (% of Primary School-Aged Children).” https://data.worldbank.org/indi-cator/SE.PRM.TENR?locations=VE [Site web consulté le 10 août 2021].
9 - World Bank. 2020. COVID-19 Response Education Database. https://thedocs.worldbank.org/en/doc/487971608326640355-0090022020/original/ExternalWBEDUResponsetoCOVIDDec15FINAL.pdf. [Site web consulté le 10 août 2021].
10 - Les Nations Unis, Note de synthèse : L’éducation en temps de Covid-19 et après Août 2020 ; https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/policy_brief_-_education_during_covid-19_and_beyond_french.pdf [Site web consulté le 11 août 2021].
11 - UNESCO-UNICEF-Banque Mondiale, mai-juin 2020, http://tcg.uis.unesco.org/survey- education- covid-school- closures. [Site web consulté le 10 août 2021].
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14 - Nations Unis, 1948 La Déclaration universelle des droits de l’homme, N°26
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