Actualités :: Laurent Bado : "La politique est aux mains de voleurs, de menteurs et de (...)
Laurent Bado

Le professeur Laurent Bado, président du Parti pour la renaissance nationale (PAREN) et candidat à la présidentielle du 13 novembre prochain, nous a rendu visite le jeudi 15 septembre dernier. C’est un candidat qui n’est plus à présenter aux lecteurs et à tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent aux remous et autres événements de la scène politique nationale qui s’est prêté sans détours, du reste, comme à son habitude, aux questions de la rédaction des Editions "Le Pays".

"Le Pays" : Un problème qui vous divise aujourd’hui avec l’opinion nationale, c’est l’affaire des trente millions que vous avez reçus de Blaise Compaoré. Quelle appréciation faites-vous de cette affaire ?

Professeur Laurent Bado : Vous remarquerez d’abord qu’il est toujours question des trente millions avec lesquels Blaise Compaoré aurait acheté Laurent Bado. Blaise a voulu rencontrer les deux responsables de l’OBU (ndlr : L’OBU n’est plus qu’un vieux souvenir), à savoir Emile Paré et moi-même, à travers un intermédiaire. Celui-ci est passé par Emile Paré qui m’a téléphoné et m’a laissé entendre qu’il serait bien qu’on se voie à trois. Quand l’intermédiaire a indiqué qu’il voulait voir Laurent Bado, alors je lui ai demandé pourquoi il était passé par Emile Paré. Il répond que c’est parce qu’on me connaît, il y a longtemps de cela. Tu es un homme de principe, alors si nous étions venus directement te raconter ce qu’on a dit à Emile Paré, tu nous aurais chassés, oui ou non ? Je lui ai donc demandé de parler, après avoir écouté Emile Paré.

Vous savez, en tant que journaliste, que j’ai tout fait pour l’unité de l’opposition, en plus de l’alliance de tous les partis de l’opposition pour les législatives. Tout cela a échoué. Après la création du groupe parlementaire Justice et démocratie, j’ai demandé que l’on recherche l’unité de tous, à travers la COB ; là non plus ça n’a pas marché. C’est finalement avec Emile Paré qui était avec le PDP/PS, un parti avec lequel en l’an 2000, on avait trouvé qu’on pouvait se regrouper, que je me suis entendu.

Au début de l’année 2004, c’est Issa Tiendrébéogo qui m’a laissé entendre qu’il serait bon que toute l’opposition, dans l’unité, examine la prochaine présidentielle. Ce dernier était venu me voir dans mon bureau pour m’en parler, et m’a confié qu’il serait indiqué que nous désignions notre candidat. J’ai dit : "Mais vous me faites rire, puisque je suis le dernier venu en politique, et suis sans expérience. J’avais cherché l’unité, et c’est vous qui avez toujours fait échouer mon initiative, et maintenant vous me parlez d’unité." Je lui ai répondu : "OK, je suis d’accord et j’en parlerai au président de l’OBU, Emile Paré ; il sera d’accord et nous allons venir."

C’est immédiatement après cette rencontre que le pouvoir a rencontré Emile Paré, puis une rencontre à trois a eu lieu chez moi à domicile. Pour le contenu du message, le pouvoir a laissé entendre qu’il était conscient que ça n’allait pas du tout dans le pays, et que, plus grave, une implosion pouvait survenir à l’avenir.

Pouvez-vous nous donner le nom de cet intermédiaire de Blaise Compaoré ?

Non. Parce que moi aussi, j’ai des responsabilités. Je vous dis seulement que dans un premier temps, il y a eu un envoyé spécial, et dans un second temps, Blaise Compaoré a reçu Paré et moi chez lui à Ouaga 2000. Au cours de la rencontre, il a dit que la situation nationale n’était pas du tout bonne, et que demain, ce serait pire. De son avis, ce n’est pas la faute au régime en place que les choses soient ainsi, ou du moins cela ne relève pas de la seule responsabilité de ceux qui nous gouvernent, mais aussi de celle de l’opposition. Il nous avoue qu’ils ont tout fait pour susciter une vraie opposition, forte, objective, qui va inciter le CDP à être plus performant ; et qu’il a soutenu financièrement des gens dans ce sens. Et c’est cet argent que des personnes ont détourné à des fins personnelles et ce sont les mêmes qui insultent le régime et le traitent de corrompu.

Vous connaîtriez la liste de ces opposants qui ont "soupé" à la table du chef ?

Je dis qu’il faut éviter de diffamer les autres chez moi. Bien sûr que des noms et des montants nous ont été communiqués. Je les ai à la maison chez moi, tous ces noms-là. Mais soyez sûr que je ne les communiquerai à personne ; c’est normal ; que chacun se mette à ma place. Il y a quelqu’un dont le nom a été cité, et je suis tombé des nues, puisqu’il s’en est fallu de peu pour que le verre que je tenais tombât. Emile Paré et moi étions choqués, tellement cet homme a la dent cruelle, dure, ce révolutionnaire pur et dur qu’il est.

L’émissaire a continué pour dire que la réélection de Blaise Compaoré ne se ferait pas comme une lettre à la poste, et que selon ses informations, si l’OBU présentait un candidat, à savoir Laurent Bado, il était capable de battre Blaise Compaoré. Parce qu’il était convaincu de l’usure du pouvoir en place, toujours selon ses sources bien informées.

Vous avez manqué de dire tout cela à la presse, en son temps. Quelles explications en donnez-vous ?

Je vous arrête net. Je crois que chacun de vous, à ma place, ne ferait pas autre chose. Je ne suis pas là pour tout livrer à la presse. Pourquoi je dois dire, par exemple, le nom de l’émissaire de Blaise Compaoré, le nom de tous ceux qui ont reçu de l’argent ? Ce serait indigne de ma part.

Ne pensez-vous pas que vous auriez mieux fait de rester dans votre position de simple critique, plutôt que d’être un homme politique affiché, comme c’est le cas aujourd’hui ? N’avez-vous pas l’impression que le pouvoir a voulu vous instrumentaliser pour redorer son blason ?

Avec votre permission, je vais vous situer sur des choses qui me tiennent à coeur. Je rappelle que le pouvoir n’a voulu à aucun moment laisser ces personnes gérer le pays. Par contre Paré et moi bénéficions de leur confiance pour faire marcher les choses. Si toutefois Blaise Compaoré est réélu, il demandera à l’OBU de se battre pour qu’aux prochaines législatives le CDP ait en face de lui des personnes qui ont des idées fortes et constructives.

L’émissaire a dit que nous étions des hommes honnêtes et que personne ne pouvait nous dérouter ; et de dire qu’il a été demandé à Emile Paré de venir choisir un ministère qu’il voulait bien gérer. Mais Paré a répondu qu’avec le CDP il n’était pas intéressé. Si le peuple savait que moi, Laurent Bado, j’aurais pu être un dignitaire de ce régime...

Alors Emile Paré et moi nous sommes retrouvés à la place Naba Koom pour analyser tout cela. Nous avions des éléments d’appréciation objective de ce qui nous avait été dit, et qui montraient que les propos tenus étaient vrais. Le premier élément que d’aucuns oublient est que le président Blaise Compaoré, en 2001, a dit lui-même que le Burkina Faso se trouvait à la croisée des chemins. Je n’ai jamais vu ça ; que quelqu’un qui est au pouvoir reconnaisse qu’il ne sait plus où conduire son pays. Et en second lieu, il a plaidé pour une voie originale de développement.

En septembre 1991, j’ai publié "L’Alternance" où je dénonce le mimétisme africain et, à mon grand étonnement, dans le programme politique de large rassemblement de Blaise Compaoré, en page 3, je lis que l’évolution actuelle du monde, faite de remises en cause des systèmes politiques, économiques, idéologiques les mieux établis, nous exclut tout mimétisme dans la recherche de solutions à nos maux. Tiens !

J’ai vu que Blaise apprenait ma vision politique et quelque temps après, des amis dont un Sénégalais et deux banquiers m’ont dit que Blaise veut travailler avec moi, parce qu’il admire mes idées. J’ai refusé et le cinquième jour, en octobre 1991, il m’a invité chez lui. De cette date à octobre 1996, Blaise m’a reçu neuf fois. Il m’a demandé d’organiser un forum pour approfondir son programme de large rassemblement puisque, lui non plus, ne veut pas de mimétisme, parce que cela est à l’origine de la misère des peuples africains. Une autre fois, il m’a demandé d’organiser une grande rencontre d’intellectuels africains pour réfléchir sur l’avenir du continent africain en général, et celui du Burkina en particulier.

Après tout ça, et comme j’avais refusé de m’exécuter, il me demande ce que je ferai avec mes bonnes idées qui accordent une place de choix à nos traditions, valeurs dans lesquelles je recommande d’enraciner nos institutions modernes. J’ai répondu : "Monsieur le président, j’ai créé une association pour appliquer mon idée d’actionnariat populaire." Il a remis un million pour celle-ci. Il y a à peine un mois, le président de cette association m’a informé qu’il détenait toujours cette somme. Voyez-vous, j’ai démissionné de la tête de cette structure, parce que juste après sa création, des gens du CDP ont vite fait de raconter que je voulais m’en servir pour créer un parti politique, à l’avenir. Alors elle était morte, et c’est seulement en 2004 qu’elle a été remise sur pied.

Encore plus tard, une quatrième fois, Blaise m’a dit qu’il n’y a rien dans l’ODP/MT parce que c’est une machine qu’on ne peut pas maîtriser ; et qu’il faut un autre parti avec de nouvelles idées. Il avait besoin de gens qui pensent et non de personnes qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels. Il ajoute que sans un nouveau parti, lui, Blaise, ne pourra être utile à ce pays. Je lui ai répondu que j’étais indépendant et j’ai proposé qu’il rencontre Daouda Bayili ; et chaque fois que de besoin, s’il accepte bien sûr de travailler avec lui, celui-ci pourra me contacter pour toutes sollicitations.

Le 14 juillet qui a suivi, Blaise Compaoré était le seul chef d’Etat invité en France, pour la commémoration de cette date. Quatre jours après, Daouda Bayili est venu me voir au sujet de l’ODP/MT. Quelque temps après, Blaise me dit qu’il est toujours déçu de la situation nationale. Moi, je l’ai compris et ma solution était de faire entrer l’opposition radicale de Pierre Tapsoba dans l’ODP/MT pour noyer les gros poissons de celui-ci. Il a dit que c’était eux, plutôt, qui seraient avalés parce qu’il y avait un noyau dur au sein de l’ODP/MT. C’est par la suite que le CDP est né. Voici pourquoi le régime dit que j’aurais pu en être un dignitaire.

Blaise sait, au regard de mon passé, que je suis un homme droit et intègre. Aujourd’hui, on raconte que Laurent Bado a pris trente millions... Voyez-vous, sur les 15 millions, Emile Paré a pris 6 millions, m’a remis 6 millions et 3 millions à l’OBU.

Mais Emile Paré dit qu’il n’a pas reçu cette somme. Que répondez-vous ?

Laissez-le avec ses mensonges. C’est ridicule, honteux tout ça. Mais non, j’étais assis, il arrive avec de l’argent et dit que son parti est aussi grand que le mien parce qu’il a avec lui la moitié des militants du PDP/PS de Ki-Zerbo. Pour les quinze autres millions, c’était le même partage ; et il soutient qu’il était mon accompagnateur. Depuis quand un accompagnateur partage à parts égales avec l’accompagné ?

Moi j’ai l’état d’exécution de mes dépenses. Emile me dit qu’il n’a pas jugé, quant à lui, nécessaire de le faire, quand je lui ai demandé ce que Blaise Compaoré attendait pour nous débloquer le reste de l’argent. Voilà comment notre bagarre a commencé parce que moi, je suis honnête. J’aurais pu créer toutes les structures que Blaise m’a demandées et devenir très riche. Il m’a demandé plusieurs services que je lui ai rendus. Comment ne pourrais-je pas entrer dans ses bonnes grâces ?

Quel jugement portez-vous aujourd’hui sur la classe politique burkinabè ?

Je l’ai toujours dit lors de mes conférences, les portes de l’enfer vont bientôt s’ouvrir devant le peuple burkinabè. Permettez-moi de le dire, car par expérience, tout ce que j’ai prévu s’est produit. J’avais annoncé avec la troisième République, qu’un coup d’Etat allait survenir. Regardez aujourd’hui : nous avons plus de cent partis politiques, mais combien sont-ils à disposer d’un programme de gouvernement mesurable, quantifiable ? Il faut que l’on laisse de côté ces faux partis qui ne voient que la subvention de l’Etat.

Actuellement au Burkina Faso, aucun homme politique ne s’intéresse à l’avenir de ce pays. Tous ne pensent qu’à leurs femmes et enfants. Ma femme et mes enfants m’ont, à plusieurs reprises, demandé de quitter la scène politique, parce qu’un homme droit et honnête ne peut pas en faire. Blaise avait raison de dire qu’il n’y a rien dans la classe politique nationale.

Actuellement, c’est la presse qui joue le rôle des hommes politiques, et fait avancer la démocratie. La politique est aux mains de voleurs, menteurs, injustes et méchants. Et quand on demande à un homme juste comme moi de se contenter d’animer des conférences, je dis non. Le juste doit se lever et se battre contre les méchants ; quitte à être battu. Le peuple peut ne pas comprendre ma position actuelle d’acteur de la scène politique. Depuis 1973, je parcours, à mes frais, des distances pour des conférences.

A la fin, ce sont de brochettes et d’une bière que je me régale. J’ai visité toutes les provinces du Burkina. Nous sommes le dernier pays au monde et personne ne devrait s’amuser avec l’avenir de nos enfants. La politique est faite pour servir une cause nationale. Si je n’étais pas venu en politique, qui aurait connu nos idées ? Le Tercérisme est une vraie doctrine qui exalte les valeurs de liberté et de solidarité, comme dans la société africaine vraie.

Ne trouvez-vous pas que vous êtes moins audible que par le passé, en tant qu’homme politique, auprès de l’opinion nationale ?

Je trouve que non. Quand j’avais fait le bilan, je l’avais trouvé négatif, en ce que les critiques et propositions que j’avais faites n’avaient pas été prises en compte. Tout ce que je disais à travers les conférences se limitait au milieu intellectualiste.

Avec le PAREN que j’ai créé, du reste, sous instigation de certaines personnes, je suis plus utile à mon peuple que jamais. Mon parti a été créé et une année après, nous avons eu des conseillers municipaux, pendant que des partis vieux de quinze années n’en n’ont pas encore un seul. Aux dernières législatives, nous avons eu des sièges. Savez-vous que n’eût été la fraude, le PAREN aurait eu 4 députés sur les neuf au total, à Ouagadougou ? Il fallait que je crée un parti politique pour que nos idées soient partagées par les générations à venir.

Propos recueillis par Philippe BAMA

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