Actualités :: Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (2)

Le lundi 3 janvier 1966, sous la pression de la rue, Maurice Yaméogo, président de Haute- Volta, est contraint de céder le pouvoir. L’opposition politique, qui a soutenu l’action du Front syndical constitué pour l’occasion, incapable de se constituer, à son tour, en Front unique, laisse passer sa chance.

Le pouvoir tombe dans l’escarcelle de l’armée qui n’en voulait pas. Le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana, chef d’état-major des FAV, se retrouve à la tête de l’Etat ne sachant pas bien ce qu’il peut en faire. S’en débarrasser au profit des "civils" ? Commentaire de Paris : "Il cherche à rapprocher toutes les tendances. Il est, manifestement, bien orienté ".

Lamizana, ancien officier de l’armée française, est bien perçu par Paris. Il est vrai qu’il perçoit, lui aussi, la nécessité de maintenir un contact étroit entre la Haute-Volta et la France. Le mardi 15 novembre 1966, il est reçu à l’Elysée par le président Charles De Gaulle. "Je l’ai encouragé à se maintenir jusqu’à ce que la situation redevienne normale ", affirme (selon le Journal de l’Elysée de Jacques Foccart) le chef de l’Etat français. Qu’est-ce qu’une situation normale ?

Les 6 et 18 octobre 1966, les partis politiques ont tenté, à l’occasion de l’organisation d’une table ronde, de -définir un programme commun de gouvernement qui ne débouchera que sur la rédaction d’une "profession de foi commune" signée par le RDA (l’ancien parti de Yaméogo au sein duquel Gérard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo ont pris l’ascendant, sans pour autant s’entendre), le PRA (animé par Nazi Boni, exilé sous la Première République), le MLN (clandestin de 1960 à 1966, c’est le parti progressiste par excellence, animé par Joseph Ki-Zerbo et Amadou Dicko) et le GAP (fondé par un docteur vétérinaire, Nouhoun Sigué).

D’accords sur le désaccord, les partis politiques vont laisser, une fois encore, le champ libre aux militaires. Le 9 décembre 1966, un Conseil supérieur des Forces armées, présidé par Lamizana, est mis en place. Il décide le maintien de l’armée au pouvoir pour une période de quatre ans ; les activités politiques sont suspendues ; c’est un Gouvernement militaire provisoire (GMP) qui gére le pays ; les civils n’y obtiennent que des strapontins. Il existe cependant un Comité consultatif composé de 31 civils et de 10 militaires.

Lamizana prend son temps. D’autant plus que Paris ne lui met pas la pression et observe d’un oeil magnanime ce qui se passe à Ouagadougou. Même la tentative de suicide de Maurice Yaméogo, à la fin de l’année 1966, n’émeut guère l’Elysée. Lamizana va d’ailleur s’attacher à solder les comptes avec son prédécesseur.

Le 28 avril 1967, il met en place un tribunal spécial chargé de juger la gestion de l’ancien chef de l’Etat (ainsi que de son directeur de cabinet André Compaoré). Mais avant que la première session de ce tribunal spécial ne se tienne (28 avril 1969), Hermann, le fils aîné du président destitué, aura tenté de délivrer son père et de reprendre le pouvoir ; le "complot du 5 août 1967" sera un lamentable fiasco. Mais le tribunal aura, du même coup, à juger les comploteurs.

En fait ce procès (comme ceux qui suivront pour juger, notamment, l’ancien maire de Ouagadougou, Joseph Conombo), ne visent qu’à donner satisfaction aux mouvements les plus radicaux. Les acteurs du "5 août 1967" sont libérés deux ans plus tard, jour pour jour tandis que "Monsieur Maurice" bénéficie d’une remise de peine.

Au lendemain du "5 août 1967", Lamizana était à Paris ; il sera reçu à l’Elysée le jeudi 21 septembre 1967. De Gaulle a décidé que le chef de l’Etat voltaïque ne serait pas reçu en visite officielle tant que Yaméogo sera détenu. C’est pourquoi Lamizana, à Ouagadougou, calme le jeu. De Gaulle ne manque pas d’aller dans son sens ("Il était sur le point de régler l’affaire Yaméogo lorsque Félicité Yaméogo s’est mise à faire des imbécilités"). Bilan du chef de l’Etat français : "Il m’a fait bonne impression ".

Quelques mois plus tard, cependant, alors que la libération de Yaméogo (qui empoisonne les relations de Paris et d’Abidjan qui voudrait plus de pression de la France sur les autorités voltaïques), est toujours promise mais jamais effective, De Gaulle nuancera son propos : "Lamizana n’a pas de courage, et en fin de compte, il se laisse à chaque fois gagner par ceux qui l’entourent [...] Il ne s’en sortira jamais, c’est un homme très gentil, mais qui manque de caractère, de volonté ; il n’a pas l’âme d’un chef, il ne sait pas tenir tête ".

De Gaulle voit régulièrement Lamizana lors de ses visites à Paris (il convient de remarquer que Jacques Foccart, de son côté, se rend très rarement à Ouagadougou mais va multiplier les contacts avec Lamizana plus encore après que Georges Pompidou ait pris la suite de Charles De Gaulle à l’Elysée) pour qui il a, malgré tout, de la considération (les entretiens avec Lamizana, ex-capitaine de l’armée française, sont bien plus satisfaisants, pour le général, que ceux qu’il peut avoir avec les ex-sous-officiers que sont Gnassingbé Eyadéma et Jean-Bedel Bokassa).

Lamizana n’est pas un sollicitateur ; il a par ailleurs l’éducation, la correction et la discrétion des gens du Sahel. Le chef de l’Etat voltaïque sera à Paris, une fois encore, pour la fête du 14 juillet 1968 (à laquelle il a été invité avec Albert-Bernard Bongo), l’occasion pour lui d’inaugurer le mardi 23 juillet (ce jour-là, il a d’ailleurs un déjeuner avec De Gaulle et le président malgache Philibert Tsiranana) la nouvelle ambassade de Haute-Volta à Paris, construite à l’angle de la rue de Courcelles et du boulevard Haussmann.

Sur le plan économique, Lamizana va s’attaquer au train de vie de l’Etat : réduction des indemnités des fonctionnaires, fermeture d’ambassades, réduction du salaire du chef de l’Etat et des ministres, contribution "patriotique" forcée des fonctionnaires, etc. Ces mesures sont entrées dans l’histoire du pays sous le nom de "garangose" (c’est Marc Tiémoko Garango qui était alors ministre des Finances et du Commerce).

Lamizana est président de la République de Haute-Volta depuis 1966. Il s’est élevé au grade de général de brigade en 1967. En 1970, les militaires, selon leur engagement, doivent céder le pouvoir aux civils. Mais une nouvelle constitution est adoptée par référendum le 14 juin
1970 avec 98,41 % de "oui". Elle stipule que le président de la République sera le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé.

Ce qui permet à Lamizana d’écrire que son "mandat est renouvelé et confirmé par référendum constitutionnel" (selon Jacques Foccart, Lamizana lui aurait remis, confidentiellement, une copie du projet de la Constitution bien avant que les Voltaïques en aient connaissance afin "d’avoir son avis "). Pour éviter les surprises, quelques mois plus tard, en octobre 1970, il s’attribue le grade de général de division.

Dans la IIème République, l’armée est au pouvoir mais ne gouverne pas ; ce qui permet à certains commentateurs d’affirmer que les officiers supérieurs sont là uniquement pour s’enrichir.

En décembre 1970, les élections législatives envoient une majorité de députés UDV-RDA (37 pour 57 sièges) à l’Assemblée nationale. Son président, Gérard Kango Ouédraogo, est nommé Premier ministre, et son secrétaire général, Joseph Ouédraogo, se fait élire président de l’Assemblée nationale. L’UDV-RDA, c’est le parti de "Monsieur Maurice ". Qui a été libéré le 5 août 1970, ce qui permet d’éviter les sujets de mécontentement.

Le premier gouvernement de la IIème République sera militaro-politique : 8 ministres RDA (Bongnessan Arsène Yé parle d’un "RDA militarisé"), 5 militaires et 2 ministres PRA. Ce qui rejette les socialistes du MLN (représenté à l’Assemblée nationale par 6 députés) dans l’opposition ; ils vont s’y efforcer de noyauter les syndicats qui restent le fer de lance de la revendication sociale, notamment dans le secteur de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur.

( A suivre)

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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