Actualités :: Situation nationale : « Je crois que Ibrahim Traoré n’est pas conscient de la (...)

Connu pour son franc-parler et ses analyses sans concessions sur les sujets relatifs à la vie dans la patrie, l’ambassadeur du Burkina en Lybie sous la Révolution démocratique et populaire, Mousbila Sankara, se prononce sur la situation nationale. Entretien… !

Lefaso.net : Vous êtes un observateur-critique de la vie nationale…, quels sont les sujets qui retiennent aujourd’hui votre attention ?

Mousbila Sankara : La réconciliation nationale dont parlent les gens et la constitution. Le peuple n’en parle pas assez, pas parce que ça ne l’intéresse pas, mais parce qu’il n’a pas les outils. Au niveau des partis politiques, la réconciliation, c’est leur donner la possibilité de s’exprimer ou d’acquérir le pouvoir. Ce qui n’est pas le rôle d’un gouvernement. Quand on parle de réconciliation, les partis politiques ne pourront se réconcilier que quand ils vont se retrouver devant les moyens qui pourront leur permettre d’avoir aussi le pouvoir. A ce stade, on ne fera donc que déplacer le problème.

Pensez-vous donc que la perception de la réconciliation diffère selon les Burkinabè ou groupes de Burkinabè ?

On n’a pas la même perception et c’est justement le problème. Et c’est ce qui la rend difficile. La réconciliation nationale pour le peuple, c’est créer les conditions dans lesquelles chaque individu, en fonction de sa situation, peut recourir aux éléments de régulation de la société à sa disposition ou tout simplement être à l’abri d’une violence ou d’un dysfonctionnement. L’homme normal ne demande pas plus que cela. Il sait qu’il doit travailler pour vivre, il sait que c’est lui qui doit chercher son médecin. On ne peut pas créer les conditions pour chaque individu, on crée des conditions générales. Alors que les partis politiques et les politiciens veulent des solutions presqu’individuelles : « ce qui résout mon cas », même si ça ne sert à rien pour les autres.

La réconciliation que je souhaite, c’est celle qui permettrait à chaque enfant qui naît dans une famille ou dans une société, d’avoir son acte de naissance et la possibilité d’aller à l’école de sorte par exemple que mon association, l’Association pour la renaissance d’une citoyenneté nouvelle, ARCN n’ait plus sa raison d’exister. Il faudra de ce fait que chaque commune puisse avoir la possibilité de déplacer une équipe, au moins une fois par mois ou toutes les deux semaines, avec son matériel, pour rejoindre sur place les villages afin d’établir les actes et répartir aller signer et ramener. Ce n’est pas aux populations d’aller au chef-lieu et avec le risque de trouver que celui qui se charge de la question est en congés ou le maire lui-même est en déplacement ou en réunion.

Bien organisés et bien formés à l’ENAM, avec un manuel de procédure, des agents sont disponibles et doivent pouvoir sillonner les villages à intervalles réguliers pour enregistrer les naissances et les décès, de sorte qu’aucun enfant ne soit sans acte de naissance. Cela est bien faisable. Les agents sont-là et les idées aussi. Et lorsque les services sont bien organisés, on n’a plus besoin de dépenser encore de l’énergie et des ressources pour contrôler les agents. Si on sait que vous devez être dans tel village, tel jour et que vous ne venez pas, les CVD (Conseils villageois de développement) même vont vous interpeller. Si par la suite, nous devons, par un contrôle, montrer que tel agent fait son travail normalement, reconnu par tel CVD, au lieu de décorer certains à leur mort, on les distingue pour qu’on sache que leur travail a été apprécié par les populations. C’est cela la réconciliation. On ne peut avoir des enfants qui n’ont pas d’acte de naissance.

Aussi, j’aurais voulu qu’on se pose par exemple la question de savoir sur les 20 millions d’habitants que compte le Burkina, quel est le pourcentage qui est dans l’agriculture ? Le nombre de Burkinabè dans le secteur de l’agriculture a-t-il la possibilité de pratiquer sa principale activité ? Pourquoi ? Donc, pour lutter contre la sous-alimentation et pour l’auto-suffisance alimentaire, il faudra permettre à cette frange de la population de pratiquer l’activité qui la nourrit. Il n’y a plus de terres, parce que ceux qui n’ont rien à foutre avec la terre dans leur action vitale se sont accaparés la terre tandis que ceux qui ont besoin de ça pour être au travail et se nourrir n’en ont pas.

Donc, il faut que la réconciliation nationale créé les conditions objectives de sorte que chaque citoyen en âge de travailler puisse le faire, même s’il n’a pas été engagé par quelqu’un. Les gens renvoient tout à la colonisation, alors que c’est faux. Ce n’est pas la colonisation qui a envoyé toutes les mauvaises choses, c’est nous qui sommes allés prendre aussi ce qui n’est pas bon. Sinon, la colonisation est venue trouver que nous cultivions avec nos dabas et nous mangions. Et on ne pouvait trouver, nulle part, quelqu’un qui ne travaille pas.

La preuve est qu’il n’y a pas l’équivalent de "chômeur" dans nos langues. Donc, il faudra que l’État, à travers des dispositions, mette la terre cultivable à la disposition de la partie des Burkinabè qui cultive et on verra. Les gens pensent que l’auto-suffisance alimentaire atteinte par la révolution l’a été par les slogans, non. A travers les CDR (Comités de défense de la révolution), l’administration ayant retiré toutes les terres, la plupart des populations qui devaient cultiver a eu la terre pour cultiver. Ce qui a permis de couvrir le besoin alimentaire de tout le monde.

Sinon, on n’a pas inventé un engrais ou une machine agricole. Voilà pourquoi, je repète que ce ne sont pas les slogans, ce sont les conditions créées pour permettre à la population active dans le domaine, y compris les éleveurs, qui ont favorisé cela. C’est également la même mobilisation des CDR, lorsqu’on a voulu scolariser les filles en âge d’aller à l’école. C’est le sérieux avec lequel vous appliquez vos décisions qui permet d’atteindre les objectifs. Je souhaiterais donc que les médias continuent d’attirer l’attention du gouvernement sur le fait que les intentions n’ont jamais suffit à rien faire. Les intentions, c’est pour éclairer l’action.

Vous évoquez la question de la constitution comme sujet important ...

Je soulève la question parce que je constate qu’elle a fait l’objet de revendication par des groupes de soutien à la transition, à telle enseigne que je me demande ce qu’on reproche à la constitution actuelle. L’article 37, qui posait le problème, a été verrouillé. Qu’est-ce qui gêne actuellement ?

Ils soutiennent que la constitution en vigueur ne prend pas en compte "nos réalités", par exemple l’enseignement dans les langues nationales. Quelles réalités ? A-t-on besoin de modifier une constitution pour prendre en compte les langues nationales dans notre système d’enseignement ? Il faut simplement commencer par former les acteurs dans ces langues et confectionner des manuels, c’est tout ! Est-ce que la constitution a prescrit que chacun doit avoir un cyclomoteur ? Non ! Mais chacun en a. Il faut qu’on soit donc sérieux. Il faut que la presse reste vraiment en veille face à ces aspects, qu’elle rappelle à Ibrahim Traoré sa mission. Personne ne l’a appelé, c’est lui-même qui a pris le pouvoir. Alors, il a sur les épaules, avec ses camarades, en charge de faire tout ce qu’il faut pour que ce pays marche normalement. Si le pouvoir dit de commencer donc à enseigner dans les langues nationales, personne n’attaquera parce que ce n’est pas dans la constitution.

La constitution a dit qu’on a droit à l’éducation, elle n’a pas décrit le contenu de l’éducation. Elle parle d’égalité de droit, mais cette égalité même n’est pas là. Arrangeons-nous pour que les enfants partent à l’école d’abord, le contenu de cette éducation dépendra de ce qu’on veut lui donner. C’est très simple. L’indépendance de la justice, ce n’est pas la constitution qui va la faire ; elle ne peut pas dire à un juge d’être honnête. Elle ne peut pas régler tout ; elle peut régler un problème d’indépendance par rapport à une nation, une faction des populations, au fédéralisme dont il était question, organiser la chefferie, etc. Tout ce tapage et ces agitations viennent du fait que les pouvoirs ne sont pas à la hauteur des gestions, c’est tout. Rien ne manque. Je ne vois pas une de nos réalités que notre constitution ne garantit pas.

Certains évoquent la laïcité. Je demande à ceux-là qui ont un problème avec, si durant toute l’année, ils ont vécu un problème de non laïcité. A-t-on déjà empêché quelqu’un de baptiser son enfant ou de se marier à l’église ou à la mosquée, ne serait-ce qu’une seule fois ? A-t-on empêché de ne pas faire l’appel au muezzin, de ne pas sonner sa cloche ou d’égorger son poulet ? Est-ce que ça nécessite la mobilisation de tout un peuple et le gaspillage d’énergies et de ressources ? Je souhaite donc qu’avec la mobilisation de la presse, des acteurs civils et autres, on sache mettre à la disposition du peuple, ce dont il pense être utile.

Ces acteurs que vous appelez au secours ne risquent-ils pas aussi de se contenter du strict minimum, lorsqu’ils se rendent compte que leurs contributions ne sont pas perçues d’un bon œil par le pouvoir et ses partisans ou sont, dans le meilleur des cas, banalisées ?

« Banalisé », c’est exactement le mot que je cherchais. Nous avons même banalisé la fonction de chef de l’État. Nous devons commencer par poser de vraies questions aux gens : vous vous êtes proclamé tel…, montrez-nous vos moyens d’action. Dans le temps, de 1960 à 2015, à chaque fois que quelqu’un vient au pouvoir (par coup d’Etat, parce que les élections, on en n’avait pas tellement), il proclame au nom de quoi il est venu et il laissait une trace. Quand le général Lamizana (Sangoulé) est venu, il a dit que c’est pour mettre fin au désordre qui risquait d’amener la guerre civile à travers l’opposition au sein du parti majoritaire RDA entre Joseph Ouédraogo, Gérard Kango et autre Joseph Conombo. Il est venu, a tout balayé et a limité le nombre de partis politiques à trois.

Le général Lamizana a donc pu créer un climat de paix pendant lequel il a réglé certains problèmes de gestion à travers son ministre Garango (certaines dispositions demeurent d’ailleurs, l’IUTS par exemple). Avant le retour à une vie constitutionnelle normale, on a demandé qu’on juge les actes qui ont amené le désordre. C’est ainsi qu’on a jugé Maurice Yaméogo, en tant qu’ancien président, à travers un tribunal spécial où il a pu se défendre, avec pour avocat, Me Bertin Borna (un Béninois) et le tribunal spécial était composé de citoyens et de magistrats.

On a ensuite organisé des élections, qui ont débouché à la troisième République, avec Gérard Kango comme Président de l’Assemblée nationale et les tendances gauchistes comme adversaires. Cela a tenu jusqu’en 1978 et ça s’est bloqué. Seye Zerbo est venu pour redresser ; son mouvement d’ailleurs s’appelait Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN). Effectivement, il en a redressé ; il a mis fin à l’exode rural par arrêté.

On ne pouvait pas aller dans un autre pays sans autorisation, il a ouvert une enquête sur la gestion. Les enquêtes ont concerné toutes les gestions, surtout économiques. C’est pendant qu’ils étaient en train de faire les enquêtes que le représentant des travailleurs, qui était Soumane Touré, s’est rendu compte qu’à la Caisse de prévoyance sociale, on avait demandé de prélever de l’argent, beaucoup de millions, pour construire des logements sociaux. Notre camarade (Soumane Touré) a trouvé que c’était un détournement, parce que l’argent de la Caisse n’était pas destiné à cela, c’était pour garantir les allocations et autres assistances aux travailleurs.

A cause du mot ‘’détournement’’, on l’a pourchassé partout dans le pays, on a même lancé un mandat d’arrêt contre lui. Suite à cela, certains travailleurs, en guise de solidarité à leur premier responsable, sont allés en grève. Et pour que les gens ne grèvent pas, le ministre à l’époque, Alexandre Zoungrana, a pris une décision en conseil des ministres pour dire que le droit de grève est suspendu. Les travailleurs ont dit vandalisme pour vandalisme, ils ne respectent plus les règles, ils grèvent. Ceux qui ont grevé ont été naturellement licenciés et on a voulu emprisonner d’autres. Et c’est pendant ce désordre qu’est venu le CSPI (Comité de salut du peuple I) avec les Jean-Baptiste Ouédraogo, Thomas Sankara, Blaise Compaoré et autres.

Mais ils n’ont pas dit exactement leur orientation à l’arrivée, quand bien même on les savait de gauche (pour le salut du peuple). Ils se sont attaqués fondamentalement à des maux du peuple : la corruption, la mauvaise gestion.
C’est à travers leurs actes dans ce sens que la population s’est un peu réveillée ; parce qu’on suspendait ou dégageait les gens sans passer par les procédures. Le manque de méthodes va créer au sein du CSP, deux tendances. Il y en a qui trouvaient que ce que faisait le CSP était bien et d’autres n’appréciaient pas. Ils se sont battus jusqu’à ce qu’une des tendances avec l’appui des traditionnalistes, des libéraux…Les autres se sont démarqués ; d’où l’avènement du 17 mai (1983, prémices de la révolution, ndlr). Les gens ont estimé que le CSP n’a certes pas été démocratiquement installé, mais il fait ce qu’attendaient les populations.

C’est pourquoi, les populations ont manifesté pour que la France ne s’ingère plus dans les affaires du pays. Cela a renforcé et consolidé la tendance CSP II. Avec les moyens que la France a donnés à cette tendance, elle a dominé, mais ce fut de courte durée ; puisqu’il y a eu l’avènement du 4 août (Révolution démocratique et populaire, ndlr). Les CDR ayant continué dans la tendance du CSP I à travers les dégagements, les licenciements, etc. Mais quelque chose était venue s’ajouter aux licenciements : les assassinats. C’était nouveau pour ce peuple-là. Pas que tuer l’était, parce qu’il y a toujours eu des assassinats, mais pas directement dans le domaine politique, ce n’était pas courant. Et sous le CNR (Conseil national de la révolution), ce n’était pas généralisé, mais c’était beaucoup plus nombreux et cela a freiné l’élan de certains.

A un moment donné, l’attentisme qui a suivi certaines actions a fait que ceux qui avaient besoin d’un autre changement, comme Blaise Compaoré et autres, se sont organisés pour venir. Malheureusement, ils ont oublié que c’est le sang, la violence, qui avait freiné l’élan d’une partie de la population. La réalité de ce peuple est qu’il n’aime pas ceux qui tuent les gens ; quelle que soit la raison. Il n’est pas contre les sanctions, mais tuer, poser des actions irréparables, il n’aime pas. C’est cela qui a freiné la marche de Blaise Compaoré et son Front populaire, qui n’ont jamais pu se faire accepter en tant que tels.

Après l’insurrection, Zida (Isaac Yacouba Zida) et Kafando (Michel Kafando) ont réussi une sorte de consensus. Malheureusement, comme les politiques tenaient à revenir vite, ils ont donné un terme à la transition. On a organisé des élections, mais on n’a pas pu amener à la tête de notre Etat, des gens vertueux. On a amené des gens différents de ceux qui étaient là, mais au contraire, on a regretté d’avoir mis fin à la transition.

C’est la même chose qui est en train de vouloir se produire avec la transition en cours. Les gens sont en train de réclamer les élections, sans même régler le problème de savoir qui peut être candidat. Les reformes doivent pouvoir dire par exemple dire que tous ceux qui ont passé un certain nombre d’années au pouvoir et qui ont posé tel ou tel autre acte ne peuvent pas être candidats. Ce sont des choses fondamentales comme cela qu’il faut régler. De sorte que si quelqu’un est élu, il ait peur de poser des actes qui le disqualifient. Au lieu de résoudre ces questions fondamentales, on est accroché à autre chose. Comment on peut changer une chose, si la matière qui la constitue est toujours la même ? C’est la forme seulement on pourra changer, pas le contenu.

Je pense que la presse doit mettre pression sur le pouvoir à travers ces questions fondamentales également. Le pouvoir politique est temporel et vacillant. Et souvent, c’est le pouvoir qui crée en lui-même, sa propre fin. C’est pourquoi la presse et certaines organisations de la société civile sont beaucoup plus importantes que les partis politiques et le pouvoir. Actuellement, tout le monde semble soutenir le capitaine Ibrahim Traoré et son MPSR, alors, c’est maintenant qu’il faut faire attention pour ne pas passer à côté de l’essentiel …

Vous semblez émettre des réserves concernant les soutiens au capitaine … !

J’émets des réserves parce que c’est un semblant de soutien. La plupart le soutient parce qu’il chassé leurs adversaires tandis qu’une bonne partie le fait pensant qu’elle va trouver son propre compte. En réalité, le pauvre Etat qu’est le Burkina Faso, n’a pas beaucoup de défenseurs. Les défenseurs de la nation, ce sont les journalistes libres et les associations libres ; c’est-à-dire ceux qui peuvent chaque matin analyser et dire ce qu’ils pensent par rapport à tels ou tels signaux. Aujourd’hui, le pouvoir a un accord avec le peuple : la libération du territoire national et le retour des personnes déplacés internes. Et c’est sur ce point que je ne vais pas caresser Ibrahim Traoré dans le sens des poils. Une importante partie du territoire échappe au contrôle de l’Etat. Alors, la reconquête se fait par morceaux, et quand on acquiert, on ne l’abandonne plus.

On doit tout faire pour réinstaller les services de l’Etat et ne plus laisser cette portion de territoire être réoccupée par l’ennemi. Consentir des efforts pour aller déloger des terroristes dans une zone puis repartir pour qu’elle soit réoccupée quelque temps après, ça n’a pas de sens, ce n’est pas bénéfique. Et c’est là où j’ai un problème avec le capitaine Ibrahim Traoré et son armée. Les terroristes n’ont pas une zone où ils sont en sûreté, sauf dans une zone qu’ils contrôlent. Alors, il ne faut pas leur donner cette faveur. La reconquête doit se faire morceau par morceau, et une fois on réussit à récupérer un espace, ce n’est plus pour le laisser à l’ennemi. Il faut tout mettre en œuvre pour consolider ce qu’on reconquiert.

Dans cette configuration, pensez-vous que ceux qui parlent d’élections aient donc tort ?

J’appartiens à un parti politique qui, normalement ne peut pas avoir le pouvoir, tant qu’il n’y a pas d’élections (puisqu’on n’a pas encore accepté le coup d’Etat comme moyen de dévolution du pouvoir). Donc, je ne peux pas dire que je suis contre les élections, je dirais simplement : pas d’élections maintenant. Nous avons une situation qu’il faut régler.

N’est-ce pas le pouvoir lui-même qui a donné l’échéance ! Etes-vous si confiant, quand on sait que le pouvoir corrompt et que de ce fait, ses tenants peuvent créer les conditions de la prolongation ?

Non, je ne pense pas qu’ils manipulent pour la prolongation. Personne ne veut durer au pouvoir dans une situation comme celle-là. Ce n’est pas exclu, mais je crois qu’en ce moment, et sur la base de ce que j’ai décrit plus haut comme démarche, le pouvoir doit venir périodiquement devant le peuple pour faire le point de la récupération du territoire. A partir de ce moment, on pourra se fixer des délais par rapport au taux de récupération. Mon problème, c’est qu’actuellement, je ne vois pas où on peut organiser des élections qui ne soient pas perturbées (puisque pour un rien, on peut rejeter les élections). C’est pourquoi, je dis qu’il faut d’abord poser les actions qui prouvent qu’on maîtrise une bonne partie du territoire.

Le président de la transition doit en ce moment avoir une communication claire. Il avait donné des délais, mais la réalité est là, la situation semble difficile qu’il ne la croyait. Si j’étais à la place du capitaine Ibrahim Traoré, je reviens sur les ondes, dans les médias et j’explique au peuple que je tiens toujours à mon engagement, seulement, je pensais qu’on allait pouvoir faire ceci ou cela dans tel timing, mais la réalité s’est avérée plus coriace. Il n’y a pas de honte à cela. Si quelqu’un insiste pour demander les élections, je l’enferme. La lutte, ce n’est pas un rendez-vous de gala, c’est une guerre, qui engage les filles et fils, les ressources du pays. Donc, à sa place, je dirais que les élections sont mon dernier souci, je suis venu pour libérer mon pays.

Ceux qui demandent les élections ne vont-ils pas lui opposer ses résultats et le temps ?

Oui, c’est bon, je ne vais pas nier, ce serait ma limite. Je ne sacrifierai pas le pays en organisant des élections qui vont être contestées. Ce n’est pas du jeu, il s’agit de la République. S’il faut changer les noms de certains organes pour atteindre l’objectif, il faut le faire. Je crois que Ibrahim Traoré n’est pas conscient de la responsabilité qu’il a prise à son arrivée. Qu’il sache que sa situation n’est pas à se satisfaire de petites actions dans un contexte où on trouve des gens qui sont dans la rue, dorment sous des arbres, etc. Alors, quand vous avez tout cela sur la conscience, ce ne sont pas des gens qui parlent d’élections pour venir au pouvoir votre préoccupation.

Si le pays n’est pas stable, celui qui parle d’élections, tu l’enfermes. C’est tout ! Il ne faut pas que le capitaine Traoré s’attende à ce qu’on l’applaudisse, non ! En réalité, il ne faut pas qu’il oublie qu’il n’aura pas de porte de sortie, parce que les gens acceptent tout ce qu’il dit : les gens participent à l’effort de guerre. Je suis même surpris de constater que malgré la situation difficile que nous vivons, les Burkinabè contribuent beaucoup. C’est un couteau à double tranchant, le fait que les gens acceptent facilement de serrer la ceinture pour contribuer, il doit savoir en faire usage. Le pouvoir n’est pas fait pour jouer, un pouvoir ce n’est jamais innocent.

Vous qui êtes également un défenseur des valeurs de la tradition, comment vous avez suivi cette affaire dite « appel à incendier le palais du Mogho Naaba » ?

Voilà un palais, sans garde, qui offre pourtant la sécurité à ceux qui ont des armes, à des généraux et capitaines, quand ça chauffe. Pour une prétendue protection de celui-ci, on condamne des activistes. C’est une perception que je ne partage pas. Même si quelqu’un se lève et appelle à brûler la cour du Mogho Naaba, je connais bien ce pouvoir coutumier-là, je connais le palais, je peux vous dire qu’ils n’ont pas besoin que l’Etat se mêle de sa défense. Si la cour (royale) accepte que l’Etat se mêle de sa défense, cela voudrait dire qu’un jour il va falloir que l’Etat prenne part aussi à son organisation quelconque. Je ne dis pas qu’en tant qu’autorité coutumière, elle n’a pas droit à la protection de la justice, mais pas de cette façon. Je ne suis donc pas d’accord que le palais laisse des gens se mêler de ses problèmes, il peut les régler lui-même.

Les gens qu’on a condamnés pour cette affaire sont de faux héros qu’on va fabriquer. Le Mogho Naaba existe depuis le XIIe siècle, voire bien avant. Pensez-vous que c’est la première hostilité à laquelle il faisait face ? Non ! Si ce pouvoir était si faible que cela, depuis la France et l’Angleterre, on n’aurait pas vu en lui un pouvoir puissant, au point qu’on organisa des missions pour venir l’attaquer. Je n’aime pas qu’on vulgarise un pouvoir qui est au-dessus de la mêlée. Il ne faut pas aller là où on n’a pas besoin de vous. La cour du Mogho Naaba n’est pas n’importe quoi.

Mon grand-père a régné là-bas pendant sept ans, je parle donc de ce que je connais. Les gens connaissent très mal en réalité la capacité de ce pouvoir. Le colon a fait combien de temps ici et combien de tentatives de destruction ? Le pouvoir coutumier, quelle que soit la localité du territoire, n’est pas négligeable dans notre société. Les chefs coutumiers encadrent mieux le territoire que le pouvoir moderne. Alors, on ne peut pas prétendre protéger quelqu’un qui est mieux protégé que vous. Sur toute l’étendue du territoire national, vous ne trouverez pas un endroit où il n’y a pas un chef, qui sait de qui il dépend et qui ne ferait rien contre son supérieur.

Sur toute l’étendue du territoire, l’organisation coutumière est mieux faite que celle moderne. C’est au pouvoir moderne même de demander des leçons au pouvoir traditionnel pour administrer et obtenir ce que nous n’avons pas ; parce que l’administration n’a pas la maîtrise du territoire ni des gens. Et même ce qui devait lui servir de base de la citoyenneté n’y est pas, alors que dans les organisations coutumières, il n’y a pas des gens qui défient l’ordre. C’est le pouvoir moderne qui a besoin de s’inspirer de l’organisation coutumière et non l’inverse.

Donc, le pouvoir coutumier n’a jamais été négligeable et ne le sera jamais. C’est à nous donc de savoir comment faire pour que ça serve notre Etat et son développement. Voilà pourquoi, je propose qu’on le constitutionnalise ; cela permet de dire comment l’Etat vient vers lui et comment lui également va vers l’Etat. Je demande aussi à ce pouvoir (coutumier) de faire en sorte également pour ne pas permettre à n’importe qui de venir s’y mêler.

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
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