Actualités :: Paul Henri Sandaogo Damiba : « Nous avons eu beaucoup de résultats, mais on (...)

Depuis son renversement à la tête de l’Etat, Paul Henri Sandaogo Damiba, retiré au Togo, n’avait plus donné de nouvelles. A travers un entretien avec le journaliste de RFI Alain Foka, diffusé le dimanche 26 février 2023, l’ancien chef de l’Etat burkinabè a enfin rompu le silence, revenant ainsi sur certains axes majeurs de sa gouvernance. Au menu des échanges, l’épineuse question de la sécurité, le choix des partenaires dans la lutte contre le terrorisme, sa vision de la réconciliation, ses relations avec les chefs d’Etat du Mali et de la Guinée, son retour au bercail, lui qui dit avoir hâte de retrouver « le pays de ses parents et de ses grands-parents », etc. Les points saillants de l’entretien ci-après.

Le problème des Burkinabè, ce sont les Burkinabè

« Notre problème est majoritairement interne ». Telle est, selon Paul Henri Sandaogo Damiba, la raison de la persistance du phénomène du terrorisme au Burkina. « C’est vrai qu’il y a l’influence des groupes des grands réseaux extrémistes. Nous avons pu amoindrir l’influence de ces réseaux là sur nos groupes, mais le problème est majoritairement interne. Ceux que nous combattons sont majoritairement des Burkinabè de sang résidents au Burkina Faso et par moments, dans certaines portions hors de contrôle de notre pays », a-t-il renchéri.

Le Burkina courtisé par des sociétés militaires russes, sud-africaines…

La prise du pouvoir du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba a suscité une ruée des partenaires militaires auprès du pouvoir pour proposer leurs offres de services dans la lutte contre le terrorisme. Selon ses dires, les offres sont venues de partout, seulement, il ne les a pas acceptées car il estimait que ce serait froisser la fierté des Burkinabè qu’il estimait capables eux-mêmes de se tirer d’affaire. « Nous avons été contactés par des sociétés russophones, sud-africaines et même des sociétés basées en Afrique de l’Ouest. Elles se proposent d’envoyer leurs personnels occuper une zone et nous aider. Bien sûr avec en contrepartie des paiements. Mais nous n’étions pas dans cette dynamique-là.

C’est ce qui m’a fait dire à Bobo que quand quelqu’un se bat pour quelque chose, ça devient sa chose. C’était une manière de dire que notre fierté nationale, notre intégrité, notre côté burkinabè serait mal vu. Tant qu’on peut trouver des solutions entre nous, pourquoi ne pas trouver ces solutions là au lieu de passer par un tiers. Si nous prenions aujourd’hui d’autres partenaires qui viennent, qui ne connaissent pas nos réalités, qui ne connaissent pas nos populations, qui ne connaissent pas nos habitudes, qui ne connaissent pas le mode d’action des groupes armés, comment ces partenaires peuvent être efficaces ? » a-t-il expliqué. Au sujet d’une éventuelle arrivée du groupe paramilitaire russe Wagner au Burkina, il répondra : « je n’ai pas rencontré Wagner ».

Rapports avec les forces françaises installées au Burkina

« A partir de janvier (2022, Ndlr) nous avons trouvé des forces étrangères, notamment françaises, stationnées au niveau de notre pays. Nous avons eu des échanges avec ces forces et nous leur avons demandé de nous accompagner pour qu’on puisse avoir des résultats, œuvrer à la stabilité » a laissé entendre Paul Henri Sandaogo Damiba, à la question de savoir quels étaient ses rapports avec les forces étrangères sur place. Aussi, contrairement à certains qui croient dur comme fer qu’il était un président à la solde de la politique française, l’ancien chef d’Etat explique que les relations du MPSR 1 avec les forces françaises n’étaient pourtant pas toujours au beau fixe. En effet, il estime que son pouvoir a été incompris de ces forces-là, qui attendaient d’être confortées dans l’idée qu’il est réellement là pour les intérêts du peuple burkinabé.

« Au tout début, il faut convaincre. Il faut convaincre pour que les gens comprennent la dynamique actuelle. Tant qu’on n’a pas convaincu un partenaire particulier, c’est difficile que le partenaire s’engage. Ce ne sont pas seulement eux qui n’avaient pas confiance, il y avait les groupes politiques et la communauté régionale. Ils attendaient de voir si ce sont des gens qui sont venus pour aider le pays où ce sont des gens qui sont avides du pouvoir. Il y a toujours un temps qu’on doit prendre pour convaincre et pour que les gens voient vers où vous voulez aller. Et à ce sujet, avec les forces françaises, on a senti qu’il y avait des incompréhensions. Dans les interactions, on a eu quelques contradictions sur le plan de la communication, aussi sur l’engagement opérationnel. Sur le plan opérationnel, nous leur avons demandé de nous soutenir dans la fourniture de renseignements.

En tout cas par moment, nous n’avons pas obtenu les renseignements souhaités. Cet état de fait, nous l’avons exprimé. On le leur disait et il y a des correspondances qui existent » a-t-il lâché.

En dépit de ces désaccords, le lieutenant-colonel Damiba reconnaît que les forces françaises ont appuyé les forces militaires burkinabè, à d’importants moments de leurs interventions sur le terrain. « Quand on a des évènements à certaines heures de la nuit, ils nous viennent en secours. Quand on a des blessés, ils nous appuient. L’ensemble des militaires qui ont opéré véritablement dans les contrées de notre pays peuvent attester que nous avons eu des soutiens pour relever nos blessés, évacuer nos corps, certains apports en renseignements, de l’appui-feu. Mais tout cela, c’est avec le temps que ça s’est installé. On était dans une dynamique de gagner ce qui était avantageux pour nous, pour l’intérêt du pays ».

L’approvisionnement des terroristes en armes

Au cours de l’entretien, Paul Henri Sandaogo Damiba est revenu sur les sources d’approvisionnement des groupes armés terroristes en armes. « Il y a des armes qui sont achetées dans la contrebande. Il y a des réseaux financiers extérieurs et internes aussi. Avant, on parlait de rançons, mais à force de durer sur le terrain, les groupes développent des économies telles que les vols de bétails, l’exploitation de l’or, etc. Ce sont des canaux qui leur permettent d’avoir de l’argent. Ils ont accès aux grands réseaux de contrebande, aux armes récupérées à certaines positions des FDS et à des réseaux extérieurs. Il y a aussi par exemple des convois qui peuvent passer légalement dans nos pays et ne pas arriver à bonne destination ».

A la question de savoir qui fabrique ces armes, il répondra : « il y a par exemple deux types d’engins explosifs. Les engins explosifs improvisés, fabriqués artisanalement et il y a ceux conventionnels, fabriqués dans des usines précises. Dans les années 2018, on a découvert des mines de fabrication qui ont quitté certaines zones de la Lybie et qui étaient arrivées au Burkina. Actuellement par exemple, la kalachnikov est l’arme la plus utilisée. Ce sont des armes du pacte de Varsovie. Beaucoup d’entreprises et beaucoup de sociétés produisent ces armes-là. Mais sur le terrain, ce qu’on retrouve ce sont des versions de Kalash, de fusils mitrailleurs et de RPG 7 ».

Ses relations avec ses homologues du Mali et de la Guinée

Pour Paul Henri Sandaogo Damiba, les pays sont libres d’opter pour un partenaire au profit d’un autre et ce qui était prôné durant ses huit mois de gouvernance, c’est la diversification des partenaires.

A la question de savoir s’il n’avait pas un parti pris pour la France, si fait qu’il avait maille à partir avec ses homologues du Mali Assimi Goïta et celui de la Guinée, Mamadou Doumbouya, l’ancien chef de l’Etat du Burkina s’est voulu clair : « nous n’avons pas choisi d’être avec la France, nous sommes venus trouver des Français. C’était de voir d’abord quels partenariats opérationnels pouvaient être maintenus et améliorer avec eux ». « Je n’avais pas particulièrement de mauvaises relations avec Assimi Goïta. On avait de très bons rapports. On avait décidé d’engager au niveau de la frontière des opérations militaires conjointes, mais en excluant les partenaires. C’est un problème commun au Burkina et au Mali. On avait dit que pour la question frontalière, ce sera entre nos unités. Pour le président Doumbouya, on avait des relations fraternelles », a-t-il confié.

Des acquis engrangés, quoiqu’on dise

Si pour beaucoup, le MPSR 1 a plus contribué à tirer le pays vers le bas plutôt qu’à le sortir de l’ornière, Paul Henri Sandaogo Damiba soutient que des résultats ont été obtenus et des acquis engrangés. « Contrairement à ce qui est raconté, nous avons eu beaucoup de résultats, mais on n’en a pas parlé. Dès le mois de février, nous avons commencé à faire des opérations de ciblage. On ne peut pas mettre cela à la disposition du public, mais il y a des groupes de personnels qui travaillaient sans relâche 24h sur 24 pour désorganiser les réseaux terroristes. On a comptabilisé pas moins de 170 à 175 sorties d’opération de ciblage.

Chacune de ces opérations a visé et détruit des éléments armés. Ce sont des résultats que nous n’avons pas voulu porter à la connaissance du public mais je pense que tout est disponible. Notre plus grande réussite était de démobiliser les groupes armés. En son temps, des anciens combattants sont revenus donner leurs armes. Ce sont des résultats dont on ne parle pas suffisamment. On était autour d’une centaine de personnes. On avait beaucoup de promesses de personnes mobilisées pour ramener d’autres.

Mais malheureusement cette démarche est tombée à l’eau. Il faut savoir aussi que les groupes armés ne sont pas contents quand il y a des défections dans leurs rangs. Il faut savoir jouer sans trop exposer les autres qui vont être désengagés » a-t-il révélé.
En outre, conformément aux quatre objectifs que sont la lutte contre l’insécurité, le soutien humanitaire aux personnes déplacées internes, l’amélioration de la gouvernance et enfin la question de la réconciliation nationale, il estime qu’il y a eu des avancées considérables, quoique tout n’est été atteint.

« Il y a eu des accalmies dans les régions de l’Est, du Nord, de l’Ouest et du Sud-ouest. Aussi, quand on venait, le nombre de personnes déplacées étaient autour de trois millions. Notre travail a permis de réduire le nombre de personnes déplacées. On était descendu autour de deux millions 400. Ce sont des tableaux qui existent. Il y a des régions où les populations repartaient. En termes de gouvernance, je peux dire sans vraiment nous vanter qu’il y a rare de systèmes politiques qui ont été aussi transparents dans leur système que le système que nous avons conduit », a-t-il renchéri.

Un homme en paix avec sa conscience

Dans leurs premières apparitions au moment du coup d’Etat, les nouveaux maîtres du pays fustigeant le pouvoir en place, l’accusant de se sucrer sur le dos des populations qui souffrent le martyr. A ces velléités de malversations qui faisaient directement allusion au président Paul Henri Sandaogo Damiba, ce dernier répondra qu’il est blanc comme neige.

« Si j’ai pris un franc de l’Etat pour m’enrichir personnellement, je suis prêt à répondre devant les juridictions de mon pays. Est-ce-que quand vous me voyez je ressemble à quelqu’un qui a emporté quelque chose ? Les camarades se moquaient de moi. Ils disaient qu’ils n’ont jamais vu un président aussi pauvre que moi. C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui se disent sur les réseaux sociaux. Mais c’est vraiment du fake. Ce sont des choses montées juste pour salir. Moi je suis en paix avec ma conscience », dira-t-il à ce propos.

Sa vision de la réconciliation

Le 8 juillet 2022, Paul Henri Sandaogo Damiba convoquait les autres chefs d’Etat autour d’une table ronde pour discuter des questions de la réconciliation. Au nombre de ses hôtes, l’ancien président Blaise Compaoré qui venait d’être condamné par la justice militaire pour le meurtre de Thomas Sankara. Interrogé sur le sens profond de cette réunion qui visiblement a fait choux blanc en raison de l’absence des trois anciens présidents, il répondra : « Ce n’était pas pour faire une réconciliation. Dans l’intitulé de la correspondance, c’était pour œuvrer pour la cohésion sociale. C’était pour m’asseoir avec les devanciers puis leur demander de nous aider. Cela ne sert à rien que je dise que je peux alors que chacun peut contribuer. L’initiative de cette réunion, au fond, c’était pour demander aux devanciers d’accompagner, de nous aider parce que la situation actuelle du Burkina n’est plus une question d’un clan ou d’une personne. Je pense que toute dynamique qui ne va pas aller dans le sens de réunir tous les fils autour de l’objectif qui est de préserver le pays sera contre-productive », a-t-il laissé entendre.

"Il faut éviter qu’on répartisse l’Afrique une seconde fois"

Au cours de l’entretien, Paul Henri Sandaogo Damiba dit observer de près ce qui se passe au Burkina et se refuse d’y donner lecture car dit-il : « ce que j’observe ne me permet pas de juger pour le moment ». Cependant, estime-t-il, cette course vers les partenaires surtout en ces temps de crise sécuritaire risque de reproduire la sombre histoire de la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885, où l’Afrique a été partagée comme un gâteau d’anniversaire.

« Je suis certains évènements qui se passent dans mon pays. Mais je pense quand même qu’il faudrait observer en tant que décideur politique et responsable d’un pays, de la prudence. Je soulignais tantôt les difficultés qui peuvent exister entre les responsables de nos pays et puis les différents partenaires aussi qui sont à nos côtés. Le piège qu’il faudrait tout faire pour éviter est qu’on n’aille pas encore vers une nouvelle répartition de l’Afrique », dira-t-il pour conclure.

Son retour au bercail

Au Togo depuis le 2 octobre 2022, Paul Henri Sandaogo Damiba dit avoir le mal du pays. Et même si ce point n’a pas encore été abordé avec les autorités actuelles, il estime que les portes du Burkina Faso ne lui sont pas fermées. « Le pays me manque même si je suis dans de bonnes conditions à Lomé. Je suis pressé de retrouver le pays de mes parents et de mes grands-parents. Le sang qui coule dans mes veines est burkinabè », a-t-il rappelé.

A la question de savoir si ce retour ne serait pas pour récupérer le fauteuil qui lui a été arraché, il répondra : « je ne suis pas intéressé par un quelconque pouvoir politique. Le pouvoir politique corrompt l’homme. J’ai ma personnalité et mes valeurs que je garde bien pour moi. Je veux simplement être utile pour les autres ».

Erwan Compaoré
Ramata Diallo
Lefaso.net
Source : Entretien de Alain Foka avec Paul Henri Sandaogo Damiba

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