Actualités :: Gratuité des soins : Quels pièges faut-il éviter ?

Le conseil des ministres a adopté le 2 Mars 2016 un décret concernant la gratuité de soins administrés aux enfants de moins de cinq ans et aux femmes (soins pendant et après la grossesse et certains dépistages) au Burkina Faso.

Ces mesures, même si elles sont perfectibles, méritent d’être saluées à leur juste valeur car empruntes d’une volonté politique rarement observée en Afrique. Habituellement en Afrique, les systèmes de santé se réfugient derrière des contraintes économiques (pauvreté, dettes…), politiques (guerre, insécurité), sociologiques (représentations de la santé influencée par les cultures locales) et parfois écologiques (catastrophes, climat…). Au delà des contraintes sus citées, l’Afrique est caractérisée à la fois par un taux élevé de personnes vivant sous le seuil de pauvreté mais surtout par des inégalités sociales importantes qui ont un impact sur l’accès aux biens de première nécessité.

Le Burkina Faso en particulier connaît une utilisation encore faible des services de santé avec un système de santé caractérisé par l’absence d’assurance maladie publique. L’assurance maladie proposée par des structures privées est inaccessible par la grande majorité de la population. En cas de maladie, c’est la solidarité au sein de la famille qui supplée à l’absence d’assurance maladie. Malheureusement, la solidarité jadis légendaire dans nos contrées est en passe d’être substituée par la culture de l’individualisme.

Les inégalités sociales qui vont grandissantes (directement liées aux politiques sociales et économiques) engendrent chez les moins favorisés des expériences et des perceptions qui mènent au stress et à la mauvaise santé. Cette mauvaise santé pouvant ensuite être source de sélection sociale par la santé. Une politique de redistribution du bien collectif comme la gratuité des soins pourrait restaurer un équilibre.

Dans une perspective épidémiologique, les mesures de gratuité des soins au Burkina apparaissent très adaptées. En effet, les études montrent que la mortalité infanto-juvénile (enfants de moins de 5 ans) est un reflet du poids des maladies transmissibles, de la malnutrition et surtout de la pauvreté. La mortalité maternelle est elle le reflet des capacités du système de santé. Cependant il faut espérer que la mise en œuvre de ces mesures soit emprunte d’une vision globale et à long terme d’amélioration de notre système de santé au lieu de se réduire, comme observé par le passé dans de nombreux domaines, à des mesures pour être mieux quotté dans les indices macroéconomiques au niveau mondial.

Sur le plan économique, il existe de nombreux mécanismes de régulations (degré de liberté d’accès, degré de socialisation de la demande, degré de couverture des soins…) qui pourraient contribuer à la réussite de ces mesures. Il est certain que des mesures de cette envergure ont été précédées d’une étude d’impact budgétaire poussée, on ne peut cependant s’empêcher de s’interroger sur cette question. En effet, les mesures de gratuité concernent quatre à cinq millions de burkinabé avec un impact budgétaire conséquent.

Le Burkina Faso consacre environ 5% de son Produit Intérieur Brut (qui est parmi les plus faibles en Afrique) à la santé ; c’est dire que la bonne volonté seule ne suffira pas et qu’il va falloir compter avec la solidarité internationale avec toutes ses limites. Une des solutions pour optimiser les dépenses pourrait être la production de médicaments essentiels génériques localement, au moins en collaboration avec des pays de la sous région. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les médicaments constituent la principale dépense de santé pour les pays en développement (25 à 66% en 2005). Dans tous les cas une réflexion profonde en vue de maximiser l’utilité de ces mesures tout en garantissant des soins de qualité s’impose.

Dans une perspective managériale, l’implémentation de ces mesures auraient été largement facilitées par un système d’information suffisamment implanté ; ce qui est loin d’être le cas en Afrique et particulièrement au Burkina. Il est vrai que des mécanismes de suivi ont été mis en place mais des indicateurs de santé fiables et disponibles dans un délai raisonnable seraient un atout majeur de pilotage. Le développement d’un système d’information performant pourrait être contributif.

Enfin, les professionnels et les populations bénéficiaires gagneraient à se saisir de ces mesures et à œuvrer à les pérenniser. En effet ces mesures pourraient inciter de façon consciente ou inconsciente, à une tendance à la maximisation de l’intérêt individuel sans anticipation des conséquences défavorables sur ce bien collectif. Il faudra éviter de tomber dans les travers du resquilleur car la quantité de soins qu’une personne consomme n’étant plus influencée par le prix que la personne paie, on pourrait facilement imaginer les abus. Les processus de régulation les plus efficients dans ces mesures impliqueront probablement une régulation par les paires et une régulation sociale.

YAOGO Ahmed
PhD en Santé Publique spécialité Epidémiologie, U. Paris 11.
Doctorat d’Etat en Médecine, U. Ouagadougou.
Psychiatre, inscrit à l’Ordre des Médecins en France, RPPS : 10100840577.
Capacité Addictologie Clinique, U. Paris 5.
Ancien Interne des hôpitaux du Burkina Faso.
Master Santé Publique spécialité Epidémiologie, U. Paris 11.
Master Economie de la Santé, CNAM Paris.
Master Gestion de la Santé, CNAM Paris.
Master Mathématiques appliquées et Statistique, Spécialité Data Science, CNAM Paris.
Médaille de bronze aux olympiades panafricaines de mathématiques Cap-Town- Afrique du Sud.
E-mail : yaogoahmedp@yahoo.fr

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