Actualités :: Loi sur la dépénalisation des délits de presse : Un appel d’urgence au (...)

Le vendredi, 4 septembre 2015, le Conseil national de la Transition (CNT), sur initiative du gouvernement, a adopté trois lois relatives à la presse écrite, à la presse en ligne et à l’audiovisuel, impliquant entre autre, la dépénalisation des délits de presse.

Les nouvelles mesures qui suppriment désormais toute peine privative de liberté, viennent par contre alourdir les peines pécuniaires à l’encontre des organes de presse. En plus de cela, la loi reste ambiguë sur bien d’aspects, source de toutes les insécurités pour la presse et partant, pour toute la société. Face à cette situation, les organisations professionnelles des médias ne cachent pas leur amertume et appellent d’urgence le Président du Faso à ne pas promulguer cette loi « suicidaire » et « liberticide ».
Elles l’ont exprimé au cours d’une conférence de presse ce mardi, 8 septembre 2015 à Ouagadougou.
Nous vous proposons la déclaration liminaire de cette rencontre qui a aussi connu le soutien de l’Unité d’Action Syndicale du Burkina (UAS).

Déclaration liminaire de la conférence de presse

Le vendredi 04 août 2015 le Conseil national de la transition (CNT) a adopté trois lois portant régime juridique de la presse écrite, de la presse en presse en ligne et de la presse audiovisuelle du Burkina Faso. L’une des grandes avancées dans l’adoption de ces nouvelles lois, c’est l’abrogation des peines privatives de libertés pour les délits de presse. Cette dépénalisation partielle est le résultat d’un long processus de négociation entre les acteurs du monde des médias et des autorités politiques.
Cependant, cette adoption des nouvelles lois s’est faite sous fond de dénonciation de la part des journalistes et de leurs organisations professionnelles pour qui les amendes fixées en échange de la dépénalisation étaient suicidaires pour les organes de presse qui risquent de « mourir » et constituent de graves entraves à la liberté de la presse. Aujourd’hui encore, les professionnels des médias, les organisations de défense des droits l’homme, de la liberté d’expression et de la presse continuent de s’interroger sur les motivations réelles du gouvernement de transition porteur dudit projet de loi problématique qu’il a fait adopter au forceps. Les amendes adoptées dans ces trois lois qui se situent entre 1 million et 5 millions relèvent d’un recul sans précédent en matière de loi sur la presse au Burkina Faso. Le code de l’information de 1993 qui régissait jusqu’ici la presse en générale au Burkina avait plafonné les peines pécuniaires à 1 million de franc CFA à l’exception de l’amende pour offense à Chef de l’Etat qui pouvait atteindre 2 millions. Les amendes étaient graduelles selon le délit et leur planché se situait à 10.000F CFA. Faut-il le rappeler, l’initiative de relire le code de l’infirmation au Burkina Faso est un projet qui date du régime de Blaise Compaoré. Le dernier gouvernement dirigé par Beyon Luc Adolphe Tiao était d’ailleurs très avancé sur ces projets de lois qui avaient déjà pris en compte la dépénalisation des délits de presse mais sans incidences sur les quantums des amendes. La survenue de l’insurrection en octobre dernier a été vécue comme un vent nouveau de démocratie et de liberté par tous les Burkinabè. Dans ce sens, la reprise du processus de relecture du code de l’information annonçait déjà d’importants progrès en matière de liberté de la presse et de démocratie ainsi que la préservation et le renforcement des acquis avec une plus grande implication des organisations professionnelles des médias. Les lois sur la presse étant des lois spécifiques à une profession, la contribution des professionnels concernés est d’une nécessité incontournable. Cependant, le gouvernement de la Transition reprenant à son compte la relecture des textes sur la presse n’a fait que narguer les acteurs de premier plan que sont les média.
Après avoir associé les professionnels des médias à travers leurs organisations représentatives dans les ateliers de concertations commencés depuis le mois de février 2015 à Koudougou en vue d’obtenir des textes consensuels et justes, il a fini par tailler une loi en solo sans tenir compte des avis et propositions des professionnels et contre les intérêts du secteur des médias. En rappel, ainsi que nous le disions dans une de nos déclarations antérieures, nos organisations ont été surprises de constater que les différentes rencontres n’ont abouti à rien si ce n’est à légitimer une forfaiture entreprise par le Gouvernement de Transition. En effet, au cours des ateliers auxquels nous avons pris part, des discussions avaient porté sur l’ensemble des articles de chacune des trois lois y compris la question des amendes. Un consensus s’était largement dégagé sur leur maintien aux anciens quantum prévus par la loi de 1993 sur la presse. Ce n’est qu’au CNT et c’est seulement après avoir été invités pour être auditionnés par les députés à qui la loi avait été transmise par le gouvernement que nous avons découvert à notre grand étonnement que les amendes avait été excessivement revue à la hausse et passaient de 10 millions à 15 millions. Toutes les organisations professionnelles des médias UNALFA, SYNATIC, AJB, SEP, les éditeurs de la presse en ligne, etc. qui ont été auditionnées par les commissions du CNT ont de façon unanime relevés le caractère étrange de ces amendes subitement lourdes et tenu à faire remarquer que ces dernières étaient suicidaires pour la presse et qu’ils s’y opposaient. Aux députés restés très sensibles et ouverts sur la situation, les responsables organisations professionnelles des médias ont dit leur volonté de voir maintenus les quantums des amendes déjà existant dans l’ancien code qui eux tiennent compte de la réalité économique des entreprises de presse au Burkina. Dans cette optique, les syndicats ont décrié la loi à travers une déclaration de soutien de l’Unité d’action syndicale (UAS) au monde des médias. Pour nous donc, l’irrationalité de ces peines d’amendes qui n’a aucune justification et présentées comme la contrepartie de la dépénalisation des délits de presse est un mauvais change que le Gouvernement de la Transition a fait à la presse. Celui-ci aurait voulu décréter la disparition de la presse et la réduction de la liberté d’expression dans le pays qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Il va de même pour l’article 145 de la loi qui mentionne qu’en cas de récidive en matière de diffamation, le média doit être condamné à payer le double de l’amende. Il faut dire que cette disposition a été introduite seulement pendant la plénière alors même que suite aux différentes observations au moment des auditions, cette disposition qui initialement laissait entendre que le juge pouvait ordonner au média récidiviste de changer de nom, avait été unanimement jugée trop abusive et retirée de la loi. Ainsi donc désormais, un organe qui est condamné plus d’une fois pour diffamation est condamné à payer une amende pouvant atteindre de 10 millions.
Pour revenir au projet de relecture du code électoral qui était en cours sous le gouvernement de l’ex-premier ministre TIAO, les différents acteurs se souviendront que la question des amendes était réglée de fort belle manière et les quantums étaient maintenus en l’état comme dans le code de 1993. Même avec la dépénalisation consacrée. Les seuls points de désaccords qui n’avaient pas permis d’adoptée la loi concernaient la suppression de certains délits tels que « l’outrage à chef de l’Etat ».
Ce rappel est nécessaire pour que le gouvernement de la Transition prenne conscience du grave recul qu’il vient de consacrer par ces lois sur la presse adoptées le 04 août dernier. D’ailleurs lors de la plénière d’adoption desdites lois, un député du CNT s’est insurgé en ces termes : « Comment la Transition a eu le courage de proposer des peines aussi sévères à la presse ce que même le dictateur Blaise Compaoré que nous avons chassé n’a pas fait ça ? ». C’est au Gouvernement de répondre à cette lancinante question.
Interpellé par les députés sur la lourdeur de ces amendes, le gouvernement par la voix du ministre de la communication a usé de deux principaux arguments. Le premier argument est une comparaison. Mais, comparaison n’est pas raison et il faut comparer ce qui est comparable, disons-nous. Pour le ministre de la communication, suivant une certaine norme communautaire, ces amendes s’alignent sur celles observées dans la sous-région comme au Togo, au Bénin et en Côte d’Ivoire et ailleurs. En effet, il n’y aucune norme qui existe en la matière dans la sous-région. Et si les amendes relatives aux délits de presse en Côte d’Ivoire sont relativement plus importantes, il faut savoir que la Presse Burkinabè n’est comparable en aucun point à celle de la Côte d’Ivoire ? Tant en matière de structuration, de subvention et aides de l’Etat, d’accès à la publicité, de marché que de chiffres d’affaires mais aussi de responsabilités. Tous les observateurs et les autorités y comprises reconnaissent et déclarent que la presse burkinabè est une presse sérieuse et responsable. La presse burkinabè ne demande pas l’impunité et elle veut être traitée avec responsabilité et réalisme en tenant compte de ce qu’elle est réellement. En citant le cas de la Côte d’Ivoire, le ministre omet sciemment non seulement de noter tout l’appui que l’Etat ivoirien apporte à sa presse ce que la presse burkinabè n’a pas, mais aussi de citer le cas nigérien. Le Niger a aussi consacré la dépénalisation presque dans les mêmes contextes politiques que le Burkina Faso. C’était sous la Transition dirigée par des militaires et pourtant les amendes sont beaucoup raisonnables. Le deuxième argument du gouvernement traduit par le ministre est de soutenir qu’en dépénalisant, il faut des amendes suffisamment dissuasives. On comprend donc qu’on veut tenir la presse en respect par la peur et la terreur de l’épée de Damoclès qui plane sur sa tête. Dans un pays qui sort d’une insurrection populaire pour laquelle tout le monde est unanime pour reconnaitre que la presse a joué un rôle majeur tout en restant responsable, il est plus que affligeant que les autorités issues de cette insurrection veuillent oublier ce fait historique. Mieux, il est paradoxal qu’un gouvernement de transition, par essence neutre et citoyen, travaille à léguer au pouvoir politique à venir une presse ramollie par « des amendes dissuasives ». En tout état de cause, la loi a été votée mais elle est déjà très fragile car sa base de légitimité est faible vu qu’elle ne renferme pas le consensus nécessaire à son application. Sur 53 votants, seulement 26 députés ont voté POUR les articles consacrant les amendes alors que 14 députés se sont abstenus et 13 autres ont carrément voté CONTRE ces amendes. En faisant le rapport, l’on s’aperçoit que seulement 26 députés contre 27 ont donné leur quitus pour les amendes de 1 à 5 millions. Au regard de tout ce qui précède, nous organisations professionnelles des médias :
- dénonçons et rejetons avec la dernière énergie les lois portant régimes juridiques de la presse nationale qui viennent d’être adoptées ;
- lançons un appel urgent au Président du Faso à ne pas promulguer cette loi qui se révèle suicidaire pour les organes de presse et liberticide ;
- demandons au Président de la Transition d’user de ses prérogatives pour demander une seconde lecture de la loi dans le sens de faire ramener les amendes au niveau qu’elles étaient dans l’ancien code ;
- saluons le rôle significatif des députés de la Transition qui ont désavoué la loi à travers une suspension de la plénière et un vote très mitigé ;
- appelons tous les démocrates, les députés, les partis politiques, les intellectuels, les organisations des droits de l’Homme, les défenseurs de la liberté d’expression et de presse, les syndicats des travailleurs et estudiantins, les organisations de jeunes et de femmes, à se mobiliser pour faire échec à cette velléité manifeste de musèlement et de liquidation de la presse burkinabè.

Fait à Ouagadougou, le 08 septembre 2015
Ont signé :
-  Pour le CNP/NZ, Boureima OUEDRAOGO
-  Pour la SEP, Lookman SAWADOGO
-  Pour le SYNATIC, Siriki Dramé
-  Pour l’AJB, Guézouma SANOGO,
-  Pour l’AMC, André Eugène Ilboudo
-  Pour l’UNALFA, Charlemagne ABISSI,
-  Pour AEPPL, Dr. Cyriaque PARE
-  Pour l’ATPB, Rémis DANDJINOU,
-  Pour l’APAC, Benédicte SAWADOGO
-  Pour Reporters du Faso, Abdoulaye TAO

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