Actualités :: REPORTAGE : Avec les filles « claires, claires » de Bobo

DepigmeLa dépigmentation cutanée, en termes scientifiques, c’est l’absence (ou la perte) du pigment (ou couleur) de la peau. Le pigment étant la substance destinée à donner une coloration superficielle au support qu’est la peau. La dépigmentation volontaire (différente de celle involontaire qui est une maladie), consiste en l’usage de produits dans le but de s’éclaircir la peau. Cette pratique, aussi appelée « tchatcho », en langue locale, est en vogue dans la ville de Bobo Dioulasso. « Le Reporter » a cherché à comprendre pour vous les motivations, les manifestations et les conséquences de cette pratique difficile à enrayer. Des femmes aux teints artificiels ont accepté d’en parler… à visage découvert. Reportage.

Bobo Dioulasso, 27 juin 2010. Sonia, 22 ans, est heureuse de regagner sa famille au quartier Sarfalao, après deux années d’absence. Elle revient en effet d’Accra, où elle a choisi de poursuivre ses études, après le bac brillamment obtenu au lycée Tounouma. De la maison familiale, elle court voir Sali qu’elle ne reconnaîtra pas tout de suite. Surprise ! Sa meilleure amie qu’elle n’avait pas revue depuis 24 mois, a extraordinairement changé de couleur ! Son teint noir naturel est devenu clair artificiel. Son visage jadis luisant de jeunesse est devenu ridé, maculé et fané. Quel horreur ! Avec des produits d’origine inconnue, Sali s’est volontairement blanchi la peau. Elle s’est dépigmentée. Et ne semble pas regretter son geste, même si sa beauté en a pris un sérieux coup. Elle ne le sait peut-être pas. Et dans son milieu, très peu de gens osent le lui dire. Surtout que la dépigmentation n’y est plus un fait étrange. Elle est même devenue un effet de mode…

En effet, à Bobo Dioulasso, et selon les résultats d’une étude réalisée en 2004 par une équipe de dermatologues, 50 femmes sur 100 utilisent, à des degrés différents, des produits dépigmentants. Aujourd’hui, lorsque l’on se promène dans les rues de cette ville, on a l’impression que les femmes au teint noir « ciré » sont en voie de disparition. Les femmes à « la peau grattée », on en rencontre également à Ouagadougou. Dans les autres villes du Burkina aussi. L’objectif recherché est le même : se faire mieux remarquer par les hommes. Mais, dans une moindre mesure, des hommes, également en mal de séduction, s’adonnent, sous les cieux du Faso, à cette pratique vieille d’une cinquantaine d’années.

L’apparition du phénomène de la dépigmentation cutanée, en Afrique noire, remonte, en effet, à la fin des années 1960. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de millions de femmes – mais aussi d’hommes – qui, à travers le continent noir, s’éclaircissent la peau, par l’application de produits chimiques. Le Togo, le Sénégal, le Mali, les deux Congo et l’Afrique du Sud sont réputés être les pays les plus touchés par le phénomène. Des études sociologiques menées dans des pays de l’espace CEDEAO (Afrique de l’Ouest) ont montré qu’au moins 90% des femmes qui utilisent des produits éclaircissants le font pour des raisons purement esthétiques. Elles le font en connaissance de cause ; en connaissance de conséquences aussi. L’hypothèse de l’analphabétisme et de l’ignorance, pour expliquer le développement de la pratique est donc écartée d’office. Ces études en sont arrivées à une conclusion on ne peut plus éloquente : « Si les femmes s’éclaircissent la peau, c’est principalement pour la raison qu’elles sont persuadées que les hommes préfèrent les femmes claires ».

Femmes multicolores !

Revenons chez nous à Bobo Dioulasso, pour rappeler que la dépigmentation frappe à plein visage l’autre moitié du ciel. Dans le langage local, cette pratique a un nom : le « tchatcho ». Il semble que ce mot de passe est aussi connu au Mali, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, et même en Afrique centrale. Il y a, dans la ville de Sya, des femmes qui réussissent parfaitement leur dépigmentation, à tel point que l’on ne peut imaginer qu’elles ont utilisé des produits chimiques, tant qu’elles ne l’avouent pas elles-mêmes. Celles-ci présentent une peau uniformément claire, de la tête aux pieds. Cela dépend, nous apprend-on, de la qualité des produits cosmétiques utilisés. Et plusieurs mois, voire des années de traitement, sont nécessaires pour obtenir un tel résultat extraordinaire.

Mais que nenni ! La différence entre une peau naturellement claire et une peau blanchie au forceps saute à l’œil des professionnelles de la pratique. Par contre, ce sont les femmes à deux ou trois couleurs de peau qui sont les plus nombreuses dans les rues de Bobo. On les appelle « femmes multicolores » ou « femmes coloriées », ou encore « femme caméléon ». Au pire des cas, il y en a qui se retrouvent avec un visage « brûlé » au premier, voire au second degré, des tâches, ou des vergetures noires sur le corps, etc.

De la responsabilité des hommes

Cent pour cent des Bobolaises que nous avons interrogées sur les raisons qui les amènent à se dépigmenter la peau affirment l’avoir fait pour mieux séduire les hommes. Certaines ont même affirmé que ce sont leurs maris ou leurs copains qui les y ont encouragées et ont même contribué pour l’achat des produits dépigmentants. Alimatou Sourabié, vendeuse de pagnes au secteur 21 de Bobo Dioulasso, nous confie que lorsqu’elle a voulu comprendre chez son mari ce qui l’attirait à l’extérieur, en dépit de tous les « bons soins » qu’elle lui apportait, celui-ci lui a simplement demandé d’aller faire le « tchatcho » si elle voulait rester à la maison. Batogoma Gnaré, ménagère au secteur 21 de Bobo, a choisi de garder son teint noir. Mais elle pense que les filles se dépigmentent pour « organiser autour d’elle, un défilé des garçons ». Alimatou Konaté, une arbitre de football aux cheveux toujours coupés à ras, et au teint remarquablement noir pense que la dépigmentation est une question de complexe. « Car, s’explique-t-elle, lorsque l’on n’est pas complexé, on a moins de problèmes. Moi, je suis restée noire et je peux passer où je veux, je peux rentrer où je veux avec mon teint, sans me faire négativement remarquer ou critiquer. Les hommes qui n’ont d’yeux que pour les femmes claires peuvent circuler. Il y a des hommes qui veulent des femmes noires comme moi ; donc je n’ai aucun problème ».

Et nous voici face à Maï Traoré, une coiffeuse de 32 ans, au teint pâli sous l’effet des produits cosmétiques. Elle aura assurément été la plus volubile de nos interlocutrices. Elle nous a d’abord fait part de sa satisfaction d’aborder le sujet de la dépigmentation qui, pour elle, est loin d’être un tabou : « On va vous dire toute la vérité pour avoir la paix », nous a-t-elle lancé, en guise d’introduction. Voici l’essentiel de ce qu’elle a déclaré, d’un trait, en langue dioula, sur la bande de notre dictaphone : « C’est vous les hommes (???) qui nous obligez à frotter des « produits ghanéens » pour nous éclaircir la peau. Parce que, lorsque vous sortez avec une fille noire de teint et que vous rencontrez, dans la circulation, une autre de teint clair, vous ne vous empêchez pas de vous exclamer : « Waouh !!! Qu’elle est claire cette fille-là ! Quel joli teint… ». Alors, que voulez-vous que pense votre compagne ? Si elle ne prend garde, elle va vous perdre pour celle dont vous admirez ainsi le teint. Et comme les hommes semblent rares ici à Bobo, nous sommes obligées de nous servir des produits éclaircissants, soit pour chercher garçon, soit pour garder ceux que nous avons. C’est tout comme un championnat. Si tu peux pas, tu quittes ».

Voilà qui établit clairement la responsabilité des hommes, dans l’expansion du phénomène de la dépigmentation cutanée. Alors, si l’on admet avec l’autre moitié du ciel que cette « beauté fatale » tant appréciée par les hommes est la raison d’être de la dépigmentation cutanée chez les femmes, on pourrait légitimement conclure que ce sont les hommes qui ont la lourde responsabilité d’éradiquer le mal par une réorientation ou une redéfinition de leurs critères objectifs ou subjectifs de beauté. C’est en tout cas l’avis de Valentin Tahito, videur de fosses sceptiques au secteur 21 de Bobo Dioulasso, qui pense que le remède viendrait de la bouderie, par les hommes, des « peaux grattées ». Au demeurant, l’écrasante majorité des hommes avec qui nous avons échangé à Bobo Dioulasso affirment avoir une nette préférence pour les femmes à la peau naturelle, même si cette préférence tend plus vers les « peaux claires de naissance ». Aucun n’a avoué son estime singulière pour les femmes au teint artificiel.

Ce qu’en pensent les aîné(e)s

Il y a des Bobolaises qui ont déclaré à notre dictaphone, et sans même sourciller, qu’« ici à Bobo Dioulasso, on se connaît tous ! Même les vieilles femmes se dépigmentent ». Or, les personnes du troisième âge avec qui nous avons abordé le sujet ont tous condamné le phénomène. Pour le vieux Bakary Koné, résident du quartier Sikasso-sira, « la dépigmentation est une violente attaque à la dignité de l’Homme noir ». Hadja, son épouse, renchérit : « A notre temps, nous avons fièrement frotté le beurre de karité pour aller aux bals-poussière, mais cela ne nous a pas empêché d’avoir des maris ».Sita Diarra, une sexagénaire vendeuse de galettes au quartier Diarradougou, ne cache pas son écœurement à la simple évocation du sujet : « Elles m’énervent ces filles-là ! C’est une malédiction ! Mais, c’est à la fois marrant, puisque, lorsqu’elles échouent dans leur tentative de se faire une peau claire, elles se retrouvent avec plusieurs couleurs : le visage à la couleur de Fanta orange, les pieds à la couleur de Coca-cola. Et malheur à vous si vous vous retrouvez par exemple dans le même taxi que ces filles-là, car elles dégagent une odeur à vous couper la respiration ».

Le Burkina Faso a déjà franchi une petite étape dans la lutte contre la dépigmentation, en interdisant, depuis juillet 2006, toute publicité sur les produits éclaircissants. Mais cette lutte devrait évoluer vers une interdiction progressive de leur commercialisation, puis de leur utilisation. En attendant, comme la toile d’araignée mondiale, cette pratique aux conséquences multiples gagne progressivement du terrain dans nos villes.

Par Paul-Miki ROAMBA


Une étoile polaire à Accart-ville !

Il y a dépigmentation dans dépigmentation, comme dirait l’autre. Parmi les filles à la peau éclaircie du quartier Accart-ville (secteur 9), il y a une qui sort du lot. Elle est plus claire qu’une canadienne du Nord. Elle brille comme l’étoile polaire parmi ses camarades. Plus que feu l’artiste Michael Jackson ! On aurait dit qu’elle a une peau transparente. « La Blanche », comme on l’appelle à Bobo, ne passe pas inaperçue. Dans la circulation, elle force le regard de tous. Ceux qui l’ont connue quelques années plus tôt, disent d’elle qu’elle était la risée de ses camarades, en raison de la noirceur de son teint. Et aujourd’hui, c’est tout le contraire. Une métamorphose extraordinaire dont elle ne semble pas se gêner. Sacrée star d’Accart-ville !

PMR


Dans la boutique de Yorouba-tchiè

DepigmentatiionYorouba-tchiè. C’est sous ce nom qu’est plus connu ce célèbre vendeur de produits cosmétiques, originaire du Nigeria et installé au côté sud du grand marché de Bobo. Sa boutique est une référence en matière de produits aux pouvoirs dépigmentants. Il en fait lui-même la publicité et oriente ses clientes dans le choix des produits. Sur les étagères de sa petite boutique, les noms des crèmes, des laits, des lotions, des pommades dépigmentants sont assez évocateurs : « Immédiate clair », « Méticée », « Vite fèe », « Chérie clair », « Marie-Claire », « 20 jours », « 7 jours », etc. Ne vous en doutez pas, ces deux derniers noms indiquent le temps nécessaire au produit concerné pour faire ses effets. On peut donc changer sa peau en 7 jours !

Le docteur Andonaba, dermatologue et vénérologue au Centre hospitalier universitaire Sanou Souro de Bobo Dioulasso, précise que dans cette gamme de produits, les corticoïdes sont les plus utilisés. Ces mêmes produits, toujours selon le docteur, sont utilisés en médecine contre les cas graves d’allergie, de choc hémorragique, etc. Les corticoïdes sont le plus souvent utilisés sous forme injectable et les femmes qui les utilisent se réjouissent de leur rapidité d’action et de leur efficacité. A côté de ces médicaments, il y a les produits cosmétiques, c’est-à-dire les crèmes, les laits, les pommades et savons, faits à base d’hydroquinone, qui sont plus accessibles et donc aussi très utilisés. L’utilisation de ces produits à base d’hydroquinone, selon Dr. Andonaba, requiert une préparation préalable de la peau. Et pour cela, les femmes utilisent le plus souvent de l’eau de Javel, de la potasse, ou du shampooing dop.

PMR


Conséquences sanitaires sur la peau

Pour ce qui est des conséquences sanitaires relatives à l’utilisation de ces produits chimiques dépigmentants, les spécialistes les ont classées en deux groupes. Il y a d’abord les conséquences locales, se limitant à la peau. Ce sont des brûlures cutanées, laissant de grosses cicatrices sur les parties touchées, des allergies se manifestant par l’apparition de vergetures sur tout le corps, des noirceurs des parties de la peau exposées au soleil, etc. Ces allergies, dans le pire des cas, peuvent entraîner la mort. Il y a ensuite les conséquences dites générales, qui se manifestent par un amincissement et une fragilisation de la peau, interdisant toute opération chirurgicale, a indiqué le docteur Andonaba, dermatologue au CHU Sanou Souro de Bobo. Il précise aussi que ces produits éclaircissants affaiblissent ou détruisent les défenses de la peau, ce qui entraîne une apparition régulière de furoncles, de mycoses, de dartres, etc., et expose le sujet à de nombreuses infections de la peau, telle que la gale ou le cancer, et à un précoce vieillissement de la peau. Lorsqu’elle n’est pas uniforme, la dépigmentation peut donner l’aspect de « peau de léopard », avec un visage clair et des pieds noirs par exemple. Il y a en outre d’autres conséquences générales qui sont des troubles au niveau du fonctionnement de certains organes tels que les reins, le foie, le cœur, etc.

PMR


Motivations sociologiques de la pratique sociologue

Au terme d’une analyse sociologique des motivations des femmes pour la dépigmentation et intitulée « Voyage du corps réel au corps idéal », Abdramane Berthé, sociologue au centre Muraz de Bobo Dioulasso, en est arrivé à la conclusion que « la dépigmentation cutanée des femmes est la conséquence d’une quête de considérations sociales au niveau du potentiel sexuel du groupe restreint et de la société ». Pour lui, se dépigmenter peut constituer un moyen pour revendiquer/obtenir la beauté et/ou affirmer son appartenance à une classe sociale supérieure ou s’élever dans la hiérarchie sociale, conformément au mythe valorisant la femme noire au teint clair. M. Berthé a lui aussi conclu que les femmes pratiquant la dépigmentation étaient conscientes des risques encourus : brûlure de la peau, dépigmentation hétérogène, atrophie ou cancer de la peau, vieillissement précoce, etc.

PMR

Le Reporter

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