Actualités :: Chefferie traditionnelle au Burkina : Dans les cahiers d’Edouard (...)

Le Centre national des archives a recueilli, le 18 décembre 2008 dans ses locaux, un récit d’Edouard Ouédraogo, le directeur de publication de L’Observateur paalga, sur “La chefferie traditionnelle, de la loi-cadre à la 1re République”. C’était dans le cadre d’une série de conférences en marge d’une exposition que le Centre organise depuis le 6 décembre dernier, et cela, jusqu’au 6 janvier 2009, sous le thème : " Les chefs au Burkina Faso, la chefferie traditionnelle, des origines à l’indépendance”.

Le jeudi 18 décembre dernier, élèves, étudiants, universitaires et bien d’autres personnalités de la société civile ont effectué, nombreux, le déplacement au Centre national des archives pour suivre une communication sur .

L’orateur du jour n’était autre que le directeur de publication de L’Observateur paalga, Edouard Ouédraogo. Le choix de ce dernier pour développer un tel thème, à en croire le directeur du Centre national des archives, Hamidou Diallo, n’est pas un fait du hasard.

Selon lui, le communicateur, comme l’a écrit le préfacier de son ouvrage, intitulé Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso, le regretté Cyril Goungounga, est . Car, a-t-il expliqué, entre autres, Edouard Ouédraogo avait 15 ans quand la loi-cadre (1956) entrait en vigueur, et 25 ans au moment du soulèvement populaire du 3 janvier 1966 qui fut à l’origine de la chute de la 1re République.

Le conférencier a, quant à lui, d’entrée de jeu, tenu à préciser à l’intention de l’auditoire que sa communication est loin d’être un travail de facture universitaire, mais plutôt « une approche journalistique, de la part d’un professeur des lycées et collèges pendant trois années, ayant par la suite choisi d’aller blanchir sous le harnais de l’information et de la communication, qui s’enorgueillit par ailleurs d’être un amateur d’histoire à défaut d’être historien ».

Signalons qu’il ne s’est pas fait prisonnier de la fourchette de temps que lui imposait le libellé de l’exposé, notamment de la Loi-cadre (1957) à la 1re République (3 janvier 1966). Visiblement inspiré, Edouard Ouédraogo a fait un flash-back dans la période de la conquête coloniale (1895-97) en passant par celles des années 40 pour éclairer ses auditeurs sur certaines mutations de la chefferie.

Deux types d’organisations politico-sociales, a-t-il indiqué, se partageaient notre pays à la veille de la colonisation : il s’agissait, d’une part, des sociétés lignagères ou segmentaires (domaines des Bobo, Bwa, Birifor, Lobi, San, Gan, Sénoufo, Toussian) et, d’autre part, des sociétés à chefferie ou centralisées (Fulbé, Gourmantché, Kurumba, Moosé...).

Ce dernier modèle de gestion des hommes, selon Edouard Ouédraogo, a été transposé par le colon au premier type de société, qui regroupe les régions géronto-démocrates (Bobo, Lobi, San…) pour ainsi mettre .

Pour le conférencier, il faut comprendre par celle des ethnies centralisatrices, mais également . Ce sont des modèles de gestion de communautés humaines qui diffèrent de celui dit chefferie coutumière .

La chefferie traditionnelle, un produit de la colonisation

La chefferie traditionnelle, a indiqué Edouard Ouédraogo, remonte à plusieurs siècles. Toutefois, elle est, de son point de vue, à la fois vieille et jeune. Elle est vieille parce que, explique-t-il, comme l’a écrit le Dr Basile Guissou, le directeur général du CNRST, à la suite d’autres spécialistes de la geste moaaga, . Elle est jeune parce que le colonisateur, profitant à son arrivée, a créé des cantons et .

Ceux qui n’ont pas voulu collaborer ou accepter le nouvel ordre, comme l’ont noté Albert Ouédraogo et Bertrand Colgo (1), . C’est le cas de Naaba Wobgo du canton de Lallé, qui a été capturé et fusillé et dont le corps fut jeté dans une carrière de latérite qui s’étendait alors entre l’actuelle Maison des jeunes et de la culture et le siège de la BCEAO.

L’orateur se rappelle avoir vu ce site avant les aménagements suscités. Ont connu le même triste sort que Naaba Wobgo de Lallé, Lebgbundu, un rebelle du royaume moaaga de Tenkodogo, et Karamokoba de Lanfiera.

Avec la tactique chère à Philippe Macédoine, , le colonisateur a réussi à déstructurer un peu partout les pouvoirs traditionnels, que ce soit Ouagadougou, Yatenga, Fada N’Gourma, Barani et Lonta dans le Mouhoun, Wahabou… Le conférencier conclut avec Albert Ouédraogo et Bertrand Colgo, déjà cités plus haut, que .

Dans son développement, le communicateur explique que dans une certaine mesure, la chefferie traditionnelle a confirmé le proverbe selon lequel tu es impuissant face au voleur, aide-le à charger son butin. En d’autres termes, elle s’est résignée à accompagner désormais le colonisateur.

Edouard Ouédraogo étaye son analyse en citant la contribution des chefs à la collecte de l’impôt de capitation, le "yôr-yaodo" ou prix du nez ou encore prix du droit à la vie ; la levée de main-d’œuvre pour la réalisation des infrastructures routières, ferroviaires, immobilières et autres ; l’envoi de contingent pour la mise en œuvre d’autres colonies moins fournies en main-d’œuvre ; l’enrôlement dans l’armée.

Certains d’entre eux, mentionne-t-il, n’ont pas observé de réserve ni de retenue. Un excès de zèle qui, selon l’orateur, s’explique par la rétribution qui leur était servie en contrepartie de leur engagement au service de l’administration coloniale. Il s’agissait, entre autres, des soldes fixes, des indemnités, des remises sur l’impôt et de primes de rendement.

En attestent une décision du gouverneur de la Côte d’Ivoire en date de juin 1947, à l’époque où une partie du Burkina relevait de ce pays, fixant le caché annuel du Moog naaba à 500 000 FCFA, et un arrêté du même gouverneur, allouant 100 000 FCFA aux chefs de provinces (Wiid naaba, Balem naaba, Larlé naaba, Gounga naaba) et à certains chefs supérieurs comme le Naaba Kiiba de Tenkodogo.

A ces documents s’ajoute un autre arrêté du gouverneur Etcheber de Haute-Volta en date de décembre 1955, classifiant les chefs en 8 catégories, dont les rétributions annuelles variaient entre 336 000 FCFA et 96 000 FCFA.

Le sursaut patriotique de la chefferie

Edouard Ouédraogo rappelle que malgré , la colonie de Haute-Volta est disloquée en 1932 et rattachée au Niger, au Soudan actuel et à la Côte d’Ivoire. Il note toutefois, avec satisfaction, que . Car, en l’absence de partis politiques autochtones, ce sont ces chefs traditionnels qui ont assumé ayant abouti au rétablissement de notre pays dans ses frontières de 1932, le 4 septembre 1947.

Ce, avec comme figure de proue le Moog Naaba Saaga, qui a bénéficié d’un soutien fraternel de Naaba Tigré, roi du Yatenga, et de celui du Gulmu, le bado Simandari, lesquels ont résisté aux démarches séparatistes des gouverneurs du Soudan et du Niger, auxquels leurs royaumes étaient respectivement rattachés.

Ainsi, le conférencier convient avec le Pr Basile Guissou que le Moog Naaba Saaga (en référence à sa lettre du 21 juillet 1947 au ministre des Colonies, Marius Moutet), est l’auteur de la reconstitution de la Haute-Volta, même si c’est le député Lallerèma Henri Marcel Guissou qui l’a proposée.

Dans le même ordre d’idées, on reconnaît à la chefferie traditionnelle un autre haut fait, celui d’avoir arraché le prolongement du rail de Bobo-Dioulasso jusqu’à Ouagadougou, appelé souvent . Car, a dit le conférencier, de la cité des silures et de Guimbi Ouattara, où il arriva le 25 février 1934, le rail a failli, selon certaines sources, bifurquer vers Ségou au Mali.

C’était sans compter avec le Moog Naaba Koom, ce chef qui s’engagea dans la lutte pour son prolongement jusque dans la capitale, mais qui mourut en mars 1942, soit 12 ans avant le 4 décembre 1954, date de l’arrivée du train inaugural à Ouagadougou. C’est la raison pour laquelle la grande place qui jouxte la gare ferroviaire de Ouagadougou a été baptisée en hommage à Moog Naaba Koom.

Vers la Loi-cadre

La loi dite Loi-cadre Defferre est une loi adoptée le 23 juin 1956 sur l’initiative de deux personnes, à savoir Gaston Defferre, ministre français d’Outre-mer et maire de Marseille, et Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire et maire d’Abidjan.

On l’appelle "loi-cadre", car elle habilite le gouvernement à statuer par décret dans un domaine réservé en principe à la loi. Elle crée dans les territoires d’Outre-mer, des Conseils de gouvernement élus au suffrage universel, ce qui permet au pouvoir exécutif local d’être plus autonome vis-à-vis de la métropole.

C’est ainsi que le 17 mai 1957, soit quatre mois avant la mort du Moog Naaba Saaga, sera constitué le premier cabinet de la Haute-Volta autonome avec Daniel Ouézzin Coulibaly comme vice-président du Conseil de gouvernement. A ses obsèques, le 13 novembre 1957, Ouezzin Coulibaly dira :

« Le gouvernement n’oublie pas que le progrès de ce pays comporte deux facteurs déterminants : la sagesse des grands dignitaires de la coutume, qui ont compris que dans ce monde du 20e siècle, les mœurs doivent évoluer, ensuite l’administration…

Ainsi, nous l’avons dit et nous le répétons sur cette tombe : il n’y a pas, il n’y aura pas, et il ne peut y avoir conflit de pouvoir entre l’autorité coutumière et l’administration du gouvernement voltaïque. Les deux systèmes, vivant en symbiose, conduiront harmonieusement ce pays vers son destin ».

La suite des évènements est surtout marquée en Haute-Volta par l’avènement du Moog Naaba Kougri (26 novembre 1957), la mort de Ouézzin Coulibaly (le 8 septembre 1958) et la propulsion de Maurice Yaméogo à la présidence du Conseil de gouvernement. Le premier se signala par une déclaration que l’on ne peut pas oublier de sitôt : Nous avons donc l’intention de ne pas laisser la direction du pays aux seuls représentants élus et de coopérer étroitement avec eux. En effet, si les représentants élus hier ont des droits, il n’en demeure pas moins que les représentants de traditions, plusieurs fois séculaires, conservent aussi les leurs ». Le jeune Naaba Kougri exigea que la chefferie figure . Le 15 octobre 1958, il proposa la mise sur pied d’un "Gouvernement d’union et de sécurité publique".

Deux jours seulement après, soit le 17 octobre 1958, des milliers d’archers et des centaines de cavaliers bien armés et portant tous le siig-fuugu, la célèbre tenue de guerre bardée de gris-gris, cernèrent de toutes parts l’Assemblée territoriale, alors en session extraordinaire.

Pour les uns, il s’agissait d’une simple démonstration de force, toutefois pour d’autres, ce n’était autre chose qu’une tentative de coup d’Etat pour imposer la monarchie constitutionnelle.

Maurice Yaméogo, nouvel homme fort du gouvernement autonome, dresse donc une batterie de mesures contre la chefferie traditionnelle : interdiction de hisser le drapeau voltaïque au palais impérial ou de le faire flotter au fronton du véhicule d’apparat du Moog naaba ; suppression de la rémunération des chefs ; interdiction de la désignation des chefs de village par le Moog Naaba ; institution du suffrage universel direct et ouvert à tous, princes héritiers, prétendant ou simples sujets.

A ces mesures s’ajoutent . Maurice Yaméogo se serait même laissé aller à défier le Moog naaba Kougri par une déclaration passée à la postérité en ces termes :

C’est dans cette guéguerre qu’intervint la chute de Maurice Yaméogo le 3 janvier 1966, , décrétée par le gouvernement de ce dernier. Sous les régimes de Sangoulé Lamizana et de Saye Zerbo, il n’y a pas de conflit ouvert contre l’institution traditionnelle. Ce qui ne fut pas le cas, a poursuivi le conférencier, avec ceux . A preuve, la décision d’aller couper le courant au palais impérial pour arriérés de facture.

De nos jours, de l’avis d’Edouard Ouédraogo, la chefferie a repris du poil de la bête au point que . N’empêche, lâche-t-il, . Chose qui amène les Burkinabè à se poser deux questions majeures :

Ce sont là des interrogations sur lesquelles on peut épiloguer à longueur de journée, a fait remarquer le directeur de publication de L’Observateur paalga avant d’ajouter que . Car choisir son camp risque d’entacher sa crédibilité et particulièrement le charisme qu’il tient de l’onction mystique de ses ancêtres.

Surtout que le chef choisit par confort et par conformisme de rejoindre le camp majoritaire. Il est ressorti d’une étude, réalisée par Albert Ouédraogo et Bertrand Colgo, que pour 97,2% de Burkinabè, les chefs doivent rester neutres, en tant que , même si, pour une certaine opinion, l’engagement des chefs dans la politique .

La même étude propose la création d’un sénat où siégeront chefs, autorités traditionnelles et religieuses et bien d’autres personnalités de grande valeur intellectuelle à même d’être consultées sur les grandes questions d’intérêt national.

S’en sont suivies les interventions des participants : qui pour apprécier la pertinence du thème et la richesse de la communication, qui pour poser des questions ou apporter des contributions.

A cette conférence, on aura remarqué l’absence notoire des chefs traditionnels, les seules exceptions étant la présence de Naaba Boalga de Dawelgué, notre confrère Issaka Sourwema, et celle du nouveau Balem Naaba de Ouidi. On aurait bien aimé qu’ils fussent nombreux à une telle séance de réflexion tout comme lors des meetings politiques.

Dr Lassina Simporé & Hamidou Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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