Actualités :: Cabinets d’instruction : Pourquoi ils ne fonctionnent pas normalement

Ignace Yerbanga, inspecteur général des services judiciaires, répond à notre confrère Youssouf Ouédraogo qui l’interroge sur la mission d’inspection qu’il a récemment conduite dans les cabinets des juges d’instruction qui évoluent dans des difficultés de tous ordres.

Monsieur L’Inspecteur Général des Services Judiciaires, suite aux lenteurs constatées dans le traitement des dossiers, vous avez conduit récemment une mission d’inspection qui s’est focalisée sur les activités dans les cabinets d’instruction. Qu’avez-vous constaté exactement en ces lieux ?

• Effectivement, compte tenu de cette lenteur dans le traitement des dossiers, qui a toujours été décriée, le Ministère de la Justice a entrepris de faire un constat sur les lieux, pour essayer de déterminer toutes les causes de dysfonctionnement, en allant vers les cabinets d’instruction et ce n’est qu’un début.

Dans ce cadre, nous avons constaté qu’il y avait énormément de dossiers pendants devant ces juridictions ; des dossiers très anciens. Si on allait fouiller dans les anciens cabinets surtout, à l’exception de quelques-uns, on trouverait des dossiers prescrits. Globalement, nous avons constaté un encombrement excessif. A la limite, il s’agit d’un grave dysfonctionnement. On a eu l’impression que les dossiers ne sont pas traités.

A la base de ce dysfonctionnement, se trouveraient des difficultés d’ordre matériel, d’ordre juridique et d’ordre spécifique. Pouvez-vous aborder ces problèmes que vivent ces différents cabinets ?

• En ce qui concerne les difficultés d’ordre matériel, il faut noter qu’elles concernent tous les cabinets d’instruction, anciens comme nouveaux. Il s’agit d’abord du manque de matériel tel que les machines à écrire ou les ordinateurs, pour saisir les actes. Dans ces procédures judiciaires, on n’admet pas les manuscrits. Dans certains cas, il faudrait que la saisie de l’acte soit même instantanée puisqu’il faut faire émarger la personne entendue ou interrogée. Par conséquent, dès lors que vous n’avez pas de matériel suffisant, vous ne pouvez pas exécuter ces actes correctement.

Cela est un aspect du volet matériel, car il faut ajouter la question du manque de consommables, lorsque le matériel de saisie est disponible. Dans certains cabinets, nous avons constaté qu’il n’y avait pas d’encre pour les ordinateurs. Nous avons également pu constater le manque d’imprimés. Sans des imprimés, on ne peut pas travailler, parce que tous les actes du juge d’instruction (procès-verbaux d’audition ou d’interrogatoire) sont effectués essentiellement à partir d’imprimés, à part les ordonnances de clôture, qui sont rédigées.

Il y a des cas assez rares, où les imprimés ne sont pas adaptés, sont mal conçus mais malheureusement, ont toujours cours. Les juges d’instruction utilisent, par exemple un document intitulé « convocation d’inculpé » qu’ils adressent à des personnes qui ne sont pas inculpées, des personnes qu’ils entendent souvent pour la première fois. A notre sens, ces imprimés, non seulement sont ridicules, mais posent problème.

Toujours pour ce qui est de l’aspect matériel, on peut noter le manque de logistique. Les juges d’instruction, au regard de leurs missions, doivent souvent se transporter sur des lieux pour exécuter certains actes, mais faute de moyens logistiques, des fois ils ne peuvent pas se déplacer. Cela peut être la cause du blocage d’un dossier. Nous avons également relevé le manque de moyens de communication.

"Sans imprimés, on ne peut travailler"

Une des réalités dans les cabinets d’instruction est que les juges d’instruction n’ont pas de téléphone. C’est une situation assez difficile. Même quand il y a le téléphone, il est limité à la communication locale. Par conséquent, ils ne peuvent pas accéder à des communications essentielles notamment avec les officiers de police judiciaire(OPJ), chargés des mandats et des commissions rogatoires, qui ne sont pas forcément dans la même localité De plus, il y a un volet qui a trait aux expertises. Dans la plupart des dossiers criminels, il faut des expertises.

Or, nous avons constaté que les experts ne veulent plus exécuter des commissions, parce que tout simplement ils ne sont pas payés. Dans le temps, ces experts étaient payés sur une rubrique appelée « frais de justice criminelle ». Le système doit être revu, mais en attendant, ces experts sont directement payés par le ministère des Finances.

Cela fait qu’avec la lenteur ou même l’absence de rémunération de leurs actes, lorsqu’on leur transmet de nouvelles demandes d’expertises, ils ne les exécutent pas. A plusieurs occasions d’ailleurs, ils ont eu à manifester leur désapprobation de la manière dont leurs dossiers de prestation étaient traités, et leur doléance a été prise en compte dans le projet de révision du texte sur les frais de justice.

En ce qui concerne les difficultés d’ordre juridique, nous relevons surtout la difficulté à joindre les parties civiles ou les témoins. Généralement, pour les retrouver, on procède par les convocations qui passent par les officiers de police judiciaire, mais comme ces derniers ont leurs propres problèmes notamment matériels et logistiques, souvent les demandes ne sont pas honorées et on n’arrive plus à toucher les parties. Alors que tant qu’on n’a pas les parties, le dossier ne peut pas avancer.

Dans le même registre, il faut ajouter la question des commissions rogatoires qui ne sont pas exécutées, du fait des officiers de police judiciaire, pour les mêmes causes, alors que ce sont des actes utiles, voire indispensables, sans lesquels le dossier ne peut plus avancer. A la limite, si les officiers de police judiciaire rédigeaient des procès- verbaux de recherche infructueuse, on pouvait avoir des solutions.

Les OPJ sont confrontés à des problèmes de localisation des parties, des inculpés, des témoins. Dès qu’on met quelqu’un en liberté provisoire, dans le contexte du Burkina Faso, le trouver de nouveau n’est pas chose aisée. D’ailleurs, on constate, dans la plupart des cas, que dès qu’on met quelqu’un en liberté provisoire, il s’expatrie tout de suite et on ne peut plus le retrouver. Voilà, par exemple une conséquence de la lenteur dans le traitement des dossiers.

Il faut ajouter que l’enquête de personnalité et de moralité est obligatoire en matière criminelle. C’est le code de procédure pénale qui le prévoit. Si ces enquêtes ne sont pas rentrées, le juge d’instruction ne peut pas clore la procédure. S’il fait la clôture du dossier, la chambre d’accusation va renvoyer le dossier pour demander l’exécution de cet acte.

Et ce sont toujours les mêmes officiers de police judiciaire qui seront saisis pour cela, mais n’arriveront pas à les exécuter, pour les mêmes raisons. C’est là justement une cause juridique de la lenteur dans le traitement des dossiers. Il y a quelques petits obstacles tels que l’absence d’une pièce comme, par exemple, l’acte de décès d’un inculpé ou d’une victime. Si on sait qu’un inculpé est décédé, on doit pouvoir clore le dossier, parce que c’est une cause d’extinction de l’action publique.

Mais, la plupart du temps, on n’arrive pas à avoir cet acte ; c’est quelqu’un qui viendra dire que la personne est décédée sans pour autant pouvoir produire l’acte de décès. Nous avons également pu mettre le doigt sur des difficultés à la fois d’ordre matériel et juridique, tel que le retard mis par le parquet à rédiger ses réquisitoires définitifs ou même ses réquisitions, à l’occasion d’une communication. Nous avons des cas où certains dossiers communiqués au parquet se prescrivent là-bas.

"Les experts ne veulent plus exécuter des commissions"

La mission a révélé des difficultés qui sont propres à certains cabinets comme le cas de Ziniaré, où il n’y a pas de maison d’arrêt. Les juges d’instruction sont obligés de se transporter à Ouagadougou où leurs détenus sont gardés à la MACO, pour les entendre ; dans le cas de Bobo-Dioulasso où les travaux de réfection ont contraint les juges à se retrouver à quatre dans un bureau pour travailler.

Voilà autant de conditions de travail pénibles, qui ont fait l’objet de recommandations dont la mise en œuvre ne devrait pas tarder. Justement, face à ces difficultés qui font que certains dossiers ont un âge compris entre 12 et 24 ans, quelles solutions préconisez-vous pour apurer ce passif ?

• A ce niveau, il faut faire une distinction pour ce qui concerne les dossiers anciens (des dossiers qui ont été constitués autour de 1995, donc qui ont dix (10) ans d’âge). Pour ces dossiers, nous pensons qu’il faut apurer le passif. En principe, s’il n’y a pas d’acte qui interrompt la prescription, tous les dossiers de cet âge sont prescrits.

Dans un premier temps, nos propositions de solutions vont dans le sens de voir si certains dossiers sont encore traitables ou s’ils sont effectivement prescrits, et, dans ce dernier cas, on ne comprendrait pas pourquoi les juges d’instruction ne les communiquent pas pour un règlement définitif ; parce que tout dossier qui est prescrit doit être classé. Notre première préoccupation serait de faire le point des dossiers qui ne sont pas prescrits et de ceux qui le sont. Après ce premier déblayage, il va rester un stock de dossiers qui ont 10 ans d’ancienneté.

A ce moment, nous allons demander aux juges d’instruction de s’investir parce que, à côté des causes objectives que nous avons constatées, il y a le manque d’engagement personnel des juges. Ceux-là, pour la plupart, lorsqu’ils arrivent dans une juridiction, s’occupent de leurs dossiers et se soucient peu des anciens dossiers. Il faudrait que les juges s’engagent entièrement pour pouvoir liquider les dossiers qui sont anciens ou qui ont un certain âge.

Parallèlement, il faudrait un effort de la Chancellerie pour enrayer les problèmes matériels ; parce que lorsqu’ils subsistent dans un cabinet, il sera difficile de parvenir à un assainissement de ce cabinet. Nous suggérons donc que les cabinets d’instruction soient dotés conséquemment de moyens matériels et de logistiques.

Si ce volet est acquis, on pourrait même exiger cet engagement des juges d’instruction pour qu’ils ne se laissent plus déborder par la suite. Bien entendu, nous préconisons, pour les juridictions dont les cabinets regorgent de très nombreux dossiers, qu’il y ait l’ouverture de nouveaux cabinets. A ce propos, nous pensons essentiellement aux juridictions de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, parce que c’est là où il y a beaucoup de dossiers, malgré l’ouverture de nouvelles juridictions. Les cabinets de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso sont toujours encombrés, c’est dans ces cabinets que le volume des dossiers est le plus élevé et que l’on trouve les dossiers les plus anciens.

Il conviendrait de renforcer ces juridictions en ouvrant de nouveaux cabinets d’instruction. Nous préconisons également une bonne collaboration entre les services du siège et ceux du parquet. S’il y a une bonne collaboration entre ces deux niveaux, le règlement des dossiers ne posera pas de problème. Dans les situations où les faits sont suffisamment clairs, le ministère public n’a pas besoin de développer ; il peut seulement déclarer que les faits sont établis et renvoyer au juge d’instruction.

Cette procédure n’est pas fair-play, mais s’ils n’ont pas de temps, ils peuvent procéder ainsi. De cette façon, il (le ministère public) permet aux juges d’instruction de prendre ses ordonnances ; ce n’est que des avis à leur niveau. Imaginez un dossier qui va rester au niveau du parquet jusqu’à sa prescription.

D’ailleurs, nous avons préconisé, et c’est un point qui est prévu dans la révision du code de procédure pénale, qu’il y ait un délai au parquet pour prendre ses réquisitions et renvoyer le dossier au cabinet d’instruction. Dans les situations de manque de greffiers dans les cabinets, nous insistons pour qu’à l’avenir, ces cas ne se produisent pas, parce qu’il y a actuellement des recrutements conséquents et il n’y a pas de raison qu’on soit bloqué du fait, par exemple, qu’un greffier d’instruction a été admis en stage.

"Les cabinets de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso toujours encombrés"

Il faut également sensibiliser les officiers de police, et pour ce faire, nous avons proposé qu’il y ait des sorties périodiques des juges d’instruction, des Procureurs du Faso et des Procureurs Généraux vers les officiers de police judiciaire, en vue d’échanger sur l’importance que revêt l’exécution des commissions rogatoires et la remise des convocations. Dans la même lancée et à propos des enquêtes de personnalité, nous avons préconisé que si les officiers de police judiciaire ne peuvent pas les mener, et que cela va créer un blocage, les juges puissent le faire eux-mêmes dans la mesure où cela n’est pas interdit.

Nous suggérons, du reste, une rencontre sous la forme de séminaire ou d’atelier pour pouvoir définitivement trancher cette question. De plus, nous pensons que les présidents de chambre d’accusation peuvent régler ce problème, s’ils visitent ne serait-ce qu’une fois l’an, les cabinets d’instruction pour faire le point. Ces sorties devraient, à notre avis, être suivies de rapports qui indiquent la situation du cabinet et cela permettra à la Chancellerie de voir qui fait quoi, et qui a quoi dans son cabinet. C’est même à partir de là que l’on doit pouvoir apprécier les juges.

N’eût été cette mission d’inspection, on ignorerait exactement la charge de travail devant ces cabinets d’instruction. Nos propositions de solution intéressent également le suivi dans la transmission des dossiers. Bien souvent, ce sont les pertes de dossiers qui occasionnent les retards. Un dossier peut, pendant des années, être coincé dans une armoire, par exemple, à la chambre d’accusation. Nous pensons que s’il y a un bon suivi des dossiers, on peut arriver à éviter ce genre d’inconvénient.

De manière générale, les causes de la lenteur dans le traitement des dossiers ne se situent pas seulement au niveau des cabinets d’instruction, et à ce sujet, nous pensons que si les problèmes sont réglés en bas et qu’ils ne sont pas résolus en haut, ils ne sont pas du tout réglés. Lorsqu’il y aura un mouvement de dossiers des cabinets d’instruction vers les chambres d’accusation, qui constituent le second degré de juridiction, et s’il y a un blocage à ce niveau, les dossiers vont dormir. Pour les deux échelons, la réflexion mérite d’être menée simultanément afin d’éviter un engorgement des chambres d’accusation.

Propos recueillis par Issoufou Ouédraogo

DCPM/MJ

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