Actualités :: Hommage à Ibrahiman Sakandé, « ouvrier de la plume »

Il avait été le directeur général des Editions Sidwaya (un groupe au sein duquel il aura mené l’essentiel de sa carrière : quatorze ans !) avant d’être nommé directeur de la communication de la présidence du Faso. Ibrahiman Sakandé vient de mourir, le 13 décembre 2023. Il se disait « ouvrier de la plume », revendiquait le titre de « journaliste-politiste » et se proclamait « Ipermicien » autrement dit ancien étudiant de l’Institut panafricain d’étude et de recherches sur les médias, l’information et la communication (Ipermic), établissement de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou.

Le 29 février 2012 (année bissextile), Ibrahiman Sakandé a été nommé, en conseil des ministres, à la direction de la communication de la présidence du Faso. Il prenait la suite de Baba Hama, nommé le 14 janvier 2009 avant de rejoindre le gouvernement dès le début de l’année 2011, laissant ainsi la fonction vacante. Le Burkina Faso était alors engagé dans la gestion des effets collatéraux d’une crise de croissance qui prendra une tournure dramatique en 2011, avec les mutineries de soldats, pour aboutir à « l’insurrection populaire » de 2014.

Or, au Burkina Faso, tout au long des années de la décennie 2000 (compte tenu notamment de « l’affaire Zongo »), la communication gouvernementale (assurée notamment par Cyriaque Paré) l’avait emporté sur la communication présidentielle.

Si le président du Faso est élu (enfin, à l’époque il l’était), le Premier ministre est nommé par lui. On évoquera alors la « distanciation » qui caractérisait le mode de production politique du chef de l’État. Et la visibilité de son action s’en était ressentie. La délocalisation du palais présidentiel à Ouaga 2000 isolait un peu plus le chef du pouvoir exécutif. On le voyait moins sur le terrain ; moins dans les médias. Quand je lui en faisais la remarque, il me rétorquait qu’il avait choisi de laisser travailler les hommes et les femmes qu’il avait nommés aux postes de responsabilité de l’État et de la Nation, ce qui lui permettait d’avoir une vision plus large des préoccupations du pays que s’il avait « le nez dans le guidon ». D’où cette implication, proche de l’addiction, dans le dossier ivoirien puis dans le dossier malien.

Sakandé allait donc avoir la rude mission de réanimer la direction de la communication de la présidence du Faso sans titulaire officiel depuis plus d’un an. Il ne venait pas de nulle part et avait été formaté par son job antérieur qui en avait fait un « journaliste officiel » puis le codirecteur de publication (avec le ministre de la Communication, Porte-Parole du gouvernement) et le directeur général des Éditions Sidwaya. Il s’y était illustré par des éditos qui, parfois, lui vaudront des tirs de barrage de ses collègues de la presse privée.

Pas facile d’être le patron d’un quotidien qui prône la vérité (Sidwaya signifie « La vérité est venue » en langue mooré) mais a été créé le 5 avril 1984 par un régime « révolutionnaire » qui a fait des journalistes des fonctionnaires chargés de « mobiliser et conscientiser le peuple » en un temps où la liberté de la presse ainsi que la liberté d’association était à reconquérir. C’est d’ailleurs à l’occasion des vingt ans de Sidwaya (célébrés en juin 2004 et non en avril 2004, alors que Sidwaya passait du noir et blanc à la couleur) que j’ai fait la connaissance de Sakandé alors chef du desk politique.

Le thème de cette célébration était on ne peut plus explicite : « Sidwaya face au défi de l’émergence d’un État de droit ». Quand Sakandé sera le directeur du quotidien de la rue du Marché, à l’occasion de son vingt-sixième anniversaire, il reviendra sur son histoire et son évolution (éditorial du mardi 6 avril 2010). Sidwaya a été, écrira-t-il, « le témoin, pourquoi pas le reflet, de la vie politique du Burkina Faso. Du « monolithisme idéologique » des années 80, il épouse, à partir de 1991, les contours de la démocratisation […] Il y a place pour toutes les expressions politiques, philosophiques et culturelles, voire pour la « sérendipité ». Dans le contexte qui était alors celui de la « presse d’État » en Afrique francophone, ce n’était pas faux.
Les temps ont changé. Aujourd’hui, Sidwaya n’a évoqué que de façon laconique (et c’est un euphémisme) la mort de son ancien directeur général.

Fidélité constante

Pouvait-il ne pas « griotiser » là où il était ? « Mon vœu, dira-t-il, serait que le président du Faso puisse oublier constamment mes limites pour ne se souvenir que de mon dévouement qui sera sans faille, ni faiblesse, sans retard ni écart ». A la veille de la présidentielle 2010, il avait appelé à ne pas « changer un coach qui gagne ». « Se débarrasser du pouvoir, écrira-t-il alors, pour plaire à des gens dont la lucidité n’est pas garantie serait livrer des années et des années d’efforts et de construction et de redressement national à des hommes qui savent ce qu’ils veulent certes, mais qui ne savent pas toujours comment le vouloir, ni si leur vouloir et celui du peuple coïncident ». En 2010, ce propos s’inscrivait dans l’air du temps : fallait-il prôner le changement pour le changement ? En 2014, « l’insurection populaire » apportait sa réponse à ce questionnement. En 2022, par deux fois, la question sera posée à nouveau. Elle reste posée… !

Alors que Michel Kafando présidait le Faso et le Conseil des ministres en tant que président de la Transition, Ibrahiman Sakandé cédera son poste de directeur de la communication de la présidence du Faso le 11 février 2015. Il sera alors remplacé par Yolande Kalwoulé qui s’était illustrée comme communicante auprès de Djibrill Y. Bassolé, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Sakandé rejoindra son corps d’origine et sera finalement chargé de mission au ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme.

Le conseiller en sciences et techniques de l’information et de la communication, matricule 51104 B, « ouvrier de la plume », cessera d’écrire. Notre dernier échange remonte au 5 janvier 2015. Il allait quitter la présidence du Faso ; mais nul ne savait alors ce que ce pays allait nous réserver. J’allais cesser de « journalistiquer » au Faso qui, justement, tournait une page de son histoire ; je n’avais plus l’âge et la santé pour cela (cependant, je vais participer aux UACO 2017). « Que Dieu tout puissant veille sur nous et garde nos vies tout au long de 2015. Bises de nous 5. On est ensemble », m’écrivait-il. Il était né en 1973 ; sa plume est définitivement brisée. Tôt. Trop tôt.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
17 décembre 2023

Burkina/Innovation : Orange digital center lance sa 3e (...)
Burkina : Le CSC et les patrons de presse parlent (...)
Burkina/Médias : C360, une nouvelle web TV avec la « (...)
Médias en ligne du Burkina : Dr Cyriaque Paré passe le (...)
Gestion du foncier : Digitaliser pour plus de (...)
Burkina/Innovations technologiques : Les pays africains (...)
Burkina/Innovations technologiques : Ouagadougou (...)
Burkina/Médias : « Les femmes journalistes commencent à (...)
Burkina : La direction générale de Savane Médias annonce (...)
Plongée immersive dans l’univers High-Tech : Retour sur (...)
Journalisme en période de guerre : « Rechercher la vérité (...)
Burkina : « La liberté de la presse ne peut pas être (...)
Liberté de la presse : Le Burkina Faso obtient la note (...)
Liberté de la presse en 2024 : Le Burkina Faso perd 28 (...)
Burkina/Régulation des médias : « Nous n’allons pas abuser (...)
Semaine nationale de la culture : Entreprises, boostez (...)
Soirée cinématographique de l’ISTIC : Des étudiants en fin (...)
Fermeture de Savane Médias : Le blues des agents, en (...)
Burkina / Lutte contre la désinformation : Une (...)
Burkina/Médias : « Il y a beaucoup de femmes dans les (...)
Burkina : Le CSC suspend temporairement la diffusion de (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 5040


LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés