Actualités :: La refondation, cinq ans après : L’Université demeure un noeud à (...)

6 octobre 2000, alors que la communauté universitaire attend les résultats des consultations entreprises par le gouvernement pour sauver l’année universitaire, c’est le coup de théâtre. En effet, par décret n° 2000-469/PRES/PM/MESSRS, l’année académique 1999-2000 est déclarée invalide avec fermeture de l’université, suspension de ses statuts et dissolution de toutes les facultés. Dès le lendemain de cette décision, l’accès de l’université est formellement interdit, même aux enseignants accourus, qui pour récupérer des affaires personnelles, qui pour sauver des manipulations.

Dans les labo où des animaux avaient été laissés en culture, on a dû également renoncer à les sauver. Un aveuglement qui peut surprendre quand on se replace dans la dynamique des discussions en cours. En juin 2000, le gouvernement interpelle l’assemblée de l’Université sur la possibilité de rattraper l’année. Celle-ci répond par l’affirmative et propose un chronogramme. Naturellement ajoute t-elle, cela suppose que tout soit mis en œuvre pour ramener les étudiants dans les classes.

Comme s’il voulait se voir répéter les choses, le gouvernement revient sur la question une deuxième fois en août, puis une troisième fois le 5 octobre. La réponse est à chaque fois la même : on peut sauver l’année si... La fermeture de l’université et l’invalidation de l’année sont donc intervenues dans cette phase de consultations, à la surprise générale.

Au sein de la communauté universitaire, après la surprise c’est l’indignation quasi générale, voire même la colère : on s’est moqué de nous déclare un enseignant-chercheur. Aussi, la refondation comme réponse à une crise de nature sociale est apparue aux yeux de bien des gens comme une fuite en avant.

Cinq ans après ce que d’aucuns ont considéré comme un coup de force (il faut rappeler que seulement 13,77% des 305 enseignants à l’époque avaient pris part à la réflexion sur la refondation), la situation paraît calme, mais les promesses non tenues, les aberrations du système modulaire, l’impression d’un total laisser-aller à tous les niveaux, l’absence de vie démocratique, le blocage d’activités pédagogiques faute de moyens, la précarité existentielle des enseignants et des étudiants, alimentent frustrations et malaises sur les campus du Burkina. Que vaut la meilleure réforme du monde si elle manque de moyens se demande t-on aujourd’hui ?

Sur les causes de la refondation, la polémique n’est pas prête de s’arrêter. Pour Ali Sanou, responsable de l’association nationale des étudiants burkinabè (ANEB), il ne s’agissait nullement pour les refondateurs d’améliorer l’efficacité interne et externe de l’université, mais plutôt de porter atteinte aux libertés académiques sur le campus. C’est dans cette lancée que Méda Bertrand, le président de l’ANEB à l’époque fut jeté en prison, que les meetings furent interdits sur le campus et que la décision fut prise de mettre en place une police universitaire.

Selon le responsable étudiant, d’autres mesures avaient été planifiées telles que l’augmentation des frais d’inscription à 50 000 FCFA au lieu de 7500 FCFA à l’époque, ce qui excluait de fait de nombreux fils de paysans qui n’ont pas les moyens de payer, le contingentement de fait que véhicule le concept d’intra-muros et d’extra-muros. La résistance acharnée des étudiants a mis en échec tous ces plans, même si les frais d’inscription ont malgré tout connu une augmentation de 7500 F passant ainsi à 15 000FCFA.

Même analyse chez les enseignants du SNESS et du SYNTER pour qui la refondation était depuis fort longtemps dans les projets du gouvernement s’appuyant ainsi sur une déclaration du ministre Christophe Dabiré lors d’une conférence de presse tenue le 7 octobre conjointement avec Seydou Banworo et Hien Kilimité : " le gouvernement a un plan à long terme pour l’université de Ouagadougou. Il a estimé que c’était l’occasion d’engager ce processus pour obtenir un enseignement supérieur qui réponde aux besoins du pays. "1 C’est cet amalgame qui a valu à l’époque le bras de fer entre refondateurs et anti-refondateurs.

On a en mémoire l’appel de ces derniers en direction des démocrates, parents d’élèves et d’étudiants, des travailleurs et notamment ceux de l’éducation " à se mobiliser pour combattre et rejeter la refondation en cours, car elle est anti-populaire, régressive et liberticide2. "Ils pointaient du doigt : le numerus clausus, l’intra et l’extra muros et appelaient à se battre pour un enseignement supérieur laïc, démocratique et gratuit.

Toutes les organisations syndicales et les associations du supérieur qu’elles soient d’enseignants et d’étudiants sont toutes d’accord que la refondation a pris comme prétexte la lutte des étudiants. Sur ce point précis, pour Arouna Sandwidi, secrétaire général du MEFA (mouvement des étudiants du faso), la lutte corporatiste engagée par l’ANEB a été " la brèche " dans laquelle s’est engouffré le pouvoir pour instaurer la refondation. Ainsi reproche t-il à l’ANEB la manière de lutter : " on remarque que c’est à chaque grande étape de la lutte que nous perdons des acquis car les autorités en profitent pour instaurer des réformes. C’était le cas hier du contingentement des bourses et aujourd’hui de la refondation."

La refondation, question
de méthode

Il y aune unanimité pour déplorer la manière dont la refondation s’est imposée. Pour Arouna Sandwidi, toute réforme doit obéir à un processus dont la sensibilisation est une étape obligée. La mesure selon lui aurait dû préalablement être expliquée à tous les acteurs. La même analyse est faite du côté des enseignants. " On a demandé qu’on mette en place un cadre de réflexion sur la refondation affirme le Professeur Guy Venance Ouédraogo.

Le problème pour nous ce n’est pas la restructuration, mais la réflexion à mener sur le contenu des programmes, mais on ne nous a pas écoutés." Les réformes pédagogiques ont été mal acceptées parce qu’on a mis les enseignants dans un contexte qui ne leur permettait pas de les accepter déclare pour sa part Hamidou Diallo, professeur d’histoire qui poursuit qu’elles s’inscrivent dans le sens de l’évolution générale vers le système LMD.

Mais la précipitation avec laquelle les choses ont été introduites a exacerbé les crispations. Jusqu’aujourd’hui, personne ne comprend vraiment le système des modules et des crédits déplore Sanou Dia, maître-assistant en géographie physique. La composition des programmes a été jusque là l’affaire des conseils de département. C’est à ce niveau que l’on peut mieux juger de la pertinence des associations de matières qui entrent dans la composition des modules. Cette concertation nécessaire en conseil de département n’a pas eu lieu. Si bien qu’aujourd’hui, les enseignements n’ont pas changé tant dans leur contenu que dans leur intitulé.

Et puis, il y a une telle disparité dans la conception des modules que l’on a une impression de désordre. Dans certains départements par exemple, on considère qu’une seule matière peut constituer un module. Or pour bon nombre de collègues soutient toujours Sanou Dia, un module se compose forcément de plusieurs matières. La base de cette association de matières étant leur cohérence scientifique et pédagogique. On entre carrément dans l’aberration quand on descend au niveau des crédits académiques.

Définir un crédit à partir d’une charge horaire mécanique de 25 heures ne répond à aucune logique scientifique ni pédagogique. Saba Adama, maître de conférence en chimie-organique affirme avoir été stoppé au milieu d’un chapitre parce qu’il fallait dit-on procéder à une évaluation après 25 h accomplies. Naturellement une fois l’évaluation effectuée, l’intérêt pour le reste du cours disparaît puisqu’ils ne seront plus évalués sur le dit chapitre.

Les performances du nouveau système d’évaluation, un leurre ?

Plusieurs facteurs expliquent les performances constatées sur les taux de succès aux examens universitaires, au lendemain de la refondation. D’abord avec l’invalidation de l’année, certains étudiants avaient pratiquement bouclé le programme. Il va sans dire qu’en reprenant l’année, ils révisent le programme, ce qui est un avantage. C’est cette analyse que font la plupart des enseignants interrogés sur la question. L’analyse des refondateurs selon eux ne peut prospérer que lorsqu’on aura épuisé les stocks de redoublants. C’est véritablement maintenant soutient Sanou Ali responsable de l’ANEB que l’on peut regarder les résultats d’un œil objectif.

Chiffres à l’appui, il épluche quelques résultats de la dernière session de septembre : Histoire I : 47 admis sur 314, Géographie I : 47 sur plus de 400, FASEG II : 126 sur plus de 1000. Pour la session de juin en Pharmacie I : 23 admis sur 252, Math II : 6 admis sur 67. En socio I : 90 admis sur 1100. Selon ce responsable étudiant, c’est une bonne chose que l’on porte le débat sur le terrain des chiffres qui parlent d’eux-mêmes.

Attention prévient le professeur Saba, il faut qu’on s’entende sur les données à prendre en compte. Il y a une manière d’arranger les taux car quand on est inscrit en classe supérieure sur le bénéfice de la capitalisation des 2/3 des crédits, on ne vous compte plus parmi les redoublants, alors que vous n’avez pas réussi tous les crédits de la classe inférieure. On peut donc se retrouver dans une curieuse posture où l’on a réussi tous les crédits de la classe supérieure sans avoir bouclé ceux de la classe inférieure.

Voilà un cas de figure troublant où l’on peut se retrouver à faire du surplace dans une classe pendant quatre ans. Si on avait suivi la voie de la concertation au lieu du dicktat, on aurait fait l’économie de ces insuffisances. D’ailleurs soutient le professeur Guy Venance, l’expérience nationale en matière d’enseignement supérieur offre des exemples d’évaluation similaires, le système des unités de valeur qui est beaucoup mieux élaboré.

La professionnalisation
des filières

Quand on évoque ce problème, on provoque un tollé général au niveau des enseignants. Ce n’est pas quelque chose de nouveau estiment-ils. C’est une tendance amorcée depuis longtemps à l’université et ce n’est pas parce qu’on prétend lui avoir donné un coup d’accélérateur que l’on va parler d’innovation. Il n’ y a donc sur ce point aucune opposition de principe, même si certains dénoncent la démagogie qui consiste à ouvrir des filières sans l’accompagnement nécessaire. 45O enseignants permanents pour environ 25 000 étudiants, ce n’est pas avec un tel ratio qu’on peut produire un enseignement de qualité.

La professionnalisation suppose un encadrement strict et pointu, ce qui est loin d’être le cas dans nos universités. Dans ces conditions estime le professeur Saba, on forme des diplômés sans valeur marchande réelle. Quand les labos sont mal équipés, qu’il manque des moyens comme c’est le cas en géographie physique pour effectuer des sorties de terrain, quand les mémoires ont été supprimés en droit et qu’en économie ils sont transformés en un rapport de 20 pages pour cause d’effectifs pléthoriques, on va droit vers un bradage de la formation affirme un enseignant.

Bonjour à l’affairisme
et à la filouterie.

En voulant faire passer en force la refondation, les autorités universitaires ont introduit le cahier pédagogique. A l’instar des cahiers de textes pratiqués dans le secondaire, on a introduit à l’université un contrôle de présence par le bais du cahier pédagogique. Il est détenu par le chef de classe qui y mentionne tous les cours dispensés, le nombre d’heures effectuées par an. L’enseignant y appose sa signature. L’ancienne formule consistait à mettre à la disposition des enseignants, des fiches programmatiques où ces derniers marquent tout le programme annuel.

Une deuxième fiche mensuelle permet de suivre les cours effectués ainsi que le nombre d’heures. Comme la confiance ne règne plus pour cause de refondation, on a changé le système en incluant le contrôle étudiant. C’était sans compter avec les effets pervers du système qui ouvre la porte à toutes les tricheries. Ainsi certains enseignants ont réussi à exploiter les faiblesses du système pour se faire payer des millions. On raconte l’histoire de cet enseignant qui réclamait le paiement à son profit de 300 heures supplémentaires !

Des divergences sur
la question de la police universitaire

Au début, tout le monde ou presque était d’accord pour dénoncer les aspects répressifs de la refondation. La police universitaire apparaissant comme un élément de ce dispositif répressif, la communauté universitaire imbue de la tradition française en matière de franchises universitaires était à peu près unanime pour la dénoncer. Cette unité a commencé à se lézarder au fur et à mesure que la violence montait sur le campus.

Quand des étudiants ont commencé à constituer des groupes (les guerriers) pour s’agresser entre eux à l’aide de bâtons et de gourdins, quand cette violence a commencé à faire des victimes au sein des personnels enseignants et administratifs, les positions ont commencé à bouger sur la question. Magloire Somé, responsable d’un syndicat enseignant reconnaît être aujourd’hui d’accord avec l’installation de cette police en vue dit-il d’exercer un rôle de dissuasion et de répression. A une condition cependant : qu’elle bénéficie d’une formation civique à laquelle l’université pourrait participer.

Après étude des expériences du Togo, du Ghana, du Sénégal et des Etats-Unis, nos autorités universitaires semblent s’être davantage convaincues de la nécessité de maintenir le cap, avec cependant une évolution du concept qui s’appellera désormais, service de sécurité de l’université. Une perspective qui ne réjouit pas certains qui font observer qu’en 30 ans, on n’a pas pu recruter plus de 350 enseignants titulaires alors que l’on s’achemine vers le recrutement de 300 policiers en très peu de temps (200 pour Ouaga, 40 pour Koudougou et 40 pour Bobo) avec tout l’arsenal d’accompagnement : chiens policiers, pistolets automatiques 7,65mm), sièges équipés, véhicules de transport de troupes etc...

La question nodale des moyens

La question des moyens semble constituer le ciment unificateur entre les refondateurs et les autres. Une réforme ne vaut rien s’il n’y a pas les moyens pour la mettre en œuvre. Selon Magloire Somé, la refondation a coûté plus de 500 millions au budget de l’université qui n’ont pas été remboursés. La logique de l’invalidation aurait dû entraîner un renvoi de plus de 3000 étudiants, ce qui n’a pas été le cas. Avec l’arrivée de 5 000 nouveaux bacheliers, on s’est retrouvé avec des effectifs pléthoriques qui ont entraîné des investissements (insonorisation de salles, achats de sono et de chaises etc...)

Depuis, c’est la crise financière et l’université vivote : manque de moyens pour financer les activités académiques, pénurie de matériel didactique, on ne peut même pas faire reproduire 200 copies. Nous nous trouvons ajoute cet enseignant dans un système de reproduction sociale qui ne permet pas au fils du paysan d’aller à l’université. Il fait remarquer par ailleurs que l’université compte 60 à 70% de diaspos et 30 à 40% d’enfants de la petite bourgeoisie. Du côté des enseignants on avait promis l’amélioration de leur statut mais jusque là rien.

Ceux qui sont dans les disciplines porteuses sont débauchés par les institutions nanties et ceux qui demeurent sur place se débrouillent soit dans l’enseignement supérieur privé qui paie mieux les heures supplémentaires, ou alors quelques consultations pour améliorer leur quotidien. Toutes choses qui font dire à cet enseignant d’histoire que " la part d’échec dans la refondation est plus importante que la part de succès. " n

1 Extrait de la brochure éditée par les deux syndicats et intitulé : A propos de la Refondation de l’Université de Ouagadougou

2 idem

Par Germain B. Nama
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