Actualités :: Journée mondiale de l’Afrique : « Personne ne viendra unir les peuples (...)

Le 25 mai de chaque année marque la commémoration de la création de l’Organisation de l’unité africaine (aujourd’hui, Union africaine), en 1963 à Addis-Abeba (Ethiopie). A l’occasion de cette Journée mondiale de l’Afrique 2020, le lundi, 25 mai, nous sommes allés à la rencontre de l’homme politique et avocat, Me Ambroise Farama, dont le parti politique, l’Organisation des peuples africains - Burkina Faso (OPA-BF) se veut évocateur par rapport à l’idéal poursuivi par cette commémoration annuelle. Interview !

Lefaso.net : Quelle est l’appréciation que vous faites de cette Journée de l’Afrique ?

Me Ambroise Farama : Merci de me donner l’occasion de parler de cette Journée. Mais je voudrais d’abord rappeler comment, historiquement, est née cette Journée mondiale de l’Afrique. Il faut souligner que c’est lors d’un congrès panafricain qui a eu lieu au Ghana en 1958 sous l’égide de Kwamé Nkrumah, que l’idée d’instaurer une Journée de la liberté africaine est née.

C’était bien avant la période des indépendances. Mais ce n’est que le 25 mai 1963, lorsque les Etats africains ont créé l’Organisation dite de l’unité africaine (OUA) que, résolument, la Journée mondiale de l’Afrique est née. Au départ, il s’agissait d’une journée de la liberté africaine, puis la journée de la libération africaine pour devenir enfin Journée mondiale de l’Afrique. Nous constatons donc qu’il y a eu une évolution dans le concept. Au départ, c’était un concept révolutionnaire, un concept de lutte et de libération ; et aujourd’hui, c’est devenu un concept de simple intégration africaine.

Nous pensons que c’est une journée qui, du point de vue institutionnel, a eu le mérite d’être instaurée juste pour rappeler la date de la création de l’OUA. Cependant, dans le fond, on se rend compte que les objectifs que les Etats/peuples africains s’étaient fixés au départ à travers cette journée, s’éloignent de plus en plus. Au départ, c’était pour commémorer, célébrer la libération des peuples africains.

On a comme l’impression que les différents Etats, dès lors qu’ils ont obtenu leur indépendance formelle, semblent s’y complaire ; de sorte que la vision de départ (qui était donc de travailler à une véritable libération des peuples africains) a été écorchée. Aujourd’hui, cette Journée n’a plus véritablement un grand intérêt, elle n’a de sens que de se souvenir de la naissance d’une Organisation africaine en faillite ; certes, nous avons des Etats africains indépendants du point de vue formelle, mais dans le fond, nous savons que ce sont des Etats qui sont toujours sous la domination des anciennes puissances coloniales.

Ce que nous appelons aujourd’hui le néo-colonialisme. Donc, pour nous, cette Journée devrait surtout être célébrée sur comment les Etats africains peuvent-ils se libérer du joug colonialiste et plus précisément du néocolonialisme ? Malheureusement, nos dirigeants, les chefs d’Etat africains, n’en font pas leur préoccupation.

Votre parti, dont le nom est évocateur par rapport à ce sujet, commémore-t-il cette Journée ou la perçoit-elle autrement ?

Nous percevons cette journée comme une journée qui a été instaurée par cette aile qui continue toujours d’accepter d’être sous le joug de la néo-colonisation. Pour nous, ce n’est pas une journée véritablement de libération des peuples africains ; c’est beaucoup plus une journée pour les chefs d’Etat africains pour pouvoir se souvenir qu’ils ont un syndicat pour se protéger entre eux au détriment des intérêts de leurs peuples.

Nous attendons beaucoup plus des journées qui vont commémorer la libération des peuples africains. Nous n’avons donc pas, à cette occasion, organisé une activité particulière, sauf que nous avons à l’interne attiré l’attention de nos militants sur le sens qu’il faut donner à cette date tout en ouvrant le débat sur notre programme de candidature relativement à l’UA ; c’est dans ce sens que nous avons participé aux débats actuels ; vous avez peut-être suivi sur RFI ce matin, notre camarade responsable national chargé des structures qui est intervenu pour donner la vision que nous avons de cette question.

Pour nous, commémorer la Journée telle que consacrée par l’Union africaine ne correspond pas à notre vision des choses. Cette journée nous rappelle donc la trahison de nos chefs d’Etat face à l’idée originale de Kwame Nkrumah, qui pensait plutôt à une journée de lutte à l’image du 1er mai qui est la Journée mondiale du travail.

La réalité est que cette Journée semble méconnue de la grande majorité des Africains. Que faut-il faire pour une réelle appropriation de cet idéal par ces premiers concernés que sont les peuples ?

C’est vrai que cette date semble méconnue de plusieurs personnes, mais la raison est que les peuples africains semblent ne pas partager l’idéal défendu par l’organisation. C’est parce que le combat tel que mené par l’UA ne semble pas être le combat des peuples, mais celui des intérêts de nos dirigeants du moment.

Nous avons une UA (Union africaine) qui est une organisation des élites, qui ne semble pas répondre aux préoccupations des peuples. Nous avons aujourd’hui une UA qui est beaucoup une organisation des chefs d’Etat, un syndicat qui travaille juste à protéger les intérêts des chefs d’Etat et non ceux des peuples. Alors, à partir du moment où les peuples ne se sentent pas intéressés par le combat mené au sommet de cette institution, il va de soi qu’effectivement, les peuples ne puissent pas s’approprier cette date-là.

Mais, pour qu’il y ait un changement et que les peuples puissent s’approprier cette commémoration, il va falloir que ses objectifs changent, qu’ils se focalisent sur la libération véritable des peuples. Et cette libération ne doit pas être seulement sur le plan politique, mais également sur le plan économique, social et culturel. Nous savons tous que le continent africain est l’un des plus riches, sinon le plus riche de la planète.

Mais comment se fait-il que cela ne puisse pas servir aux peuples africains ? Lorsque l’UA fera de cette question une préoccupation, du point de vue économique, politique, sécuritaire…, c’est à partir de ce moment que les peuples se sentiront donc engagés dans le combat de cette organisation. Mais tant qu’elle va se borner à mener des combats pour des élites, sans associer les peuples à la base, bien entendu, ces derniers ne pourront pas s’approprier cet idéal.

Lors du lancement de votre parti, en février 2018, vous avez fait un diagnostic de la situation africaine, notamment burkinabè, avant de vous projeter dans les perspectives et les missions que vous vous assigné pour cet idéal africain. Deux ans la naissance de l’OPA-BF, et au regard des réalités du terrain, peut-on dire que votre détermination reste intacte ?

Cette détermination reste intacte. Vous savez que pour de tels combats idéalistes, il ne faut pas s’attendre à récolter les fruits ici et maintenant. Le combat mené par Kwame Nkrumah date d’avant les indépendances, mais nous réalisons tous que ce combat noble et juste est toujours d’actualité. L’élévation de la conscience des peuples prend toujours du temps.

Peut-être même que cette élévation des consciences ne viendra pas avec nous, elle viendra avec d’autres générations. Mais, nous avons le mérite de poser le débat, d’attirer l’attention sur ce que doit être l’intérêt des peuples africains. A partir de ce moment, nous avons la conviction que, tôt ou tard, les peuples africains, surtout la jeunesse, s’approprieront le combat pour cet idéal d’unité de l’Afrique. Le combat contre l’impérialisme est un combat permanent.

Quand vous regardez en Afrique, il y a un peu partout, des mouvements panafricanistes ; ce qui veut dire qu’il y a une prise de conscience dans la jeunesse éclairée aujourd’hui, que la voie du développement du continent passe par l’unité des peuples africains et que ce n’est pas de façon éparpillée, isolée que nous allons pouvoir amorcer un véritable développement de nos Etats. Donc, nous avons la conviction que nous sommes sur le bon chemin et que tôt ou tard, nous triompherons.

Au moment où on parle de cet idéal à l’échelle continentale, on a la réalité à l’échelon pays, le cas du Burkina, qui affiche plutôt un effritement social (la question de l’ethnicisme se vit aujourd’hui, et de plus en plus). Comment parvenir à une unité africaine dans ce contexte où les Etats eux-mêmes, pris individuellement, ne respirent pas la cohésion ?

Les peuples africains formaient des nations avant l’arrivée des colonialistes. Mais, c’est le partage de l’Afrique au gré des rivalités et intérêts impérialistes, qui est à l’origine des problèmes de frontières et de nationalités. A l’intérieur des frontières, sont nées également des luttes communautaires pour avoir une main mise sur les pouvoirs politiques afin de mieux servir des intérêts communautaires et non nationaux.

C’est justement le morcellement de nos Etats qui a affaiblit la cohésion sociale entre les peuples. Sinon, si aujourd’hui, nous sommes dans des grands ensembles, les ethnies vont disparaître. C’est dire qu’il n’y aura pas de groupes ethniques influents par rapport à d’autres ; tous les groupes ethniques deviendrons minoritaires. A partir de ce moment, la notion d’appartenance à un groupe ethnique face à la gestion du pouvoir d’Etat va disparaître.

En réalité, c’est l’intégration donc des Etats africains à un niveau plus élevé qui va même nous permettre de faire disparaître définitivement les conflits ethniques et d’avoir effectivement une cohésion sociale de toutes les communautés. Quand vous prenez l’exemple de certaines puissances qui ont réussi leur intégration, comme les Etats-Unis d’Amérique, vous demandez à un Américain il est ressortissant de quel pays/Etat, il vous dira qu’il est des Etats-Unis ; il ne vous dira pas qu’il est originaire de tel Etat. Donc, on arrivera à un moment où personne ne va se revendiquer de tel ou tel autre pays africain. Et si on en arrive, comprenez donc que personne ne va se revendiquer Dioula, Samo, Mossi, etc.

Pour nous donc, c’est parce que nous sommes encore dans de petits ensembles qu’il y a des semblants de groupes qui semblent être majoritaires, qui tentent de contrôler le pouvoir d’Etat que nous avons ces conflits intercommunautaires. Donc, l’intégration africaine va permettre de résoudre définitivement cette question. Mais, au plan local, je conviens avec vous que tant que cette question de stigmatisation des communautés ne sera pas résolue, il n’y aura pas de stabilité politique, encore moins économique.

Donc, il est impératif que les questions de stigmatisation des communautés cessent afin que tous les peuples puissent être unis pour mener le combat pour le développement et la lutte contre le terrorisme. C’est à tort que nos dirigeants pensent que le repli identitaire est la cause de la stigmatisation des communautés. Bien au contraire, lorsqu’une communauté se voit stigmatisée même au niveau institutionnel par ceux qui sont censés les protéger et se retrouve sans protection de l’Etat, le repli identitaire devient son seul moyen de protection. Et pour éviter un tel repli, l’Etat doit être garant de la protection des droits de tous les citoyens sans discrimination, sinon le terrorisme risque de s’abreuver à la source des replis identitaires.

C’est cela également le combat de l’OPA-BF, à en croire ses textes fondateurs. Quelle est aujourd’hui l’assise nationale, voire dans la perspective africaine, du parti ?

D’abord, sur le plan national, nous avons tenu un congrès les 29 février et 1er mars 2020, et à l’occasion de cette instance, nous avons enregistré plus de 35 provinces qui ont été représentées. Pour nous, c’est déjà un motif de satisfaction, quand on sait qu’une bonne partie du territoire national est aujourd’hui inaccessible. Donc, pouvoir avoir des représentations dans au moins 35 provinces, et ce, en moins de deux ans, c’est déjà un travail formidable.

Maintenant, sur le plan africain, on n’a pas encore un parti né Organisation des peuples africains (OPA) dans d’autres pays. Mais nous avons déjà des contacts dans plusieurs pays (ce n’est pas l’appellation Organisation des peuples africains qui compte, c’est la vision panafricaine qui importe) et je peux dire aujourd’hui que dans nombre de pays africains, nous avons des jeunes partis panafricains qui naissent, et avec lesquels nous collaborons déjà. Ensemble, nous allons travailler à asseoir des bases solides. C’est ensemble que nous allons opérer cette révolution panafricaine.

Vous êtes candidat à la présentielle de novembre 2020… Au regard des relents panafricanistes des jeunes sur le continent, on peut dire que vous partez déjà avec un soutien de toutes ces organisations ?

Oui, c’est surtout faire en sorte que ces mouvements de la société civile comprennent que le combat de la société civile, à lui seul, ne peut pas sonner le changement ; parce que la société civile fait son travail d’éveil des consciences. Mais dès lors qu’elle ne s’implique pas dans la conquête du pouvoir d’Etat, ce n’est pas les consciences éveillées, à elles seules, qui vont pouvoir aller à la conquête du pouvoir d’Etat et amorcer le changement le changement souhaité.

Donc, nous espérons, dans les discussions que nous avons avec elles, que ces organisations comprendront, au moment venu, qu’il faut franchir le pas pour s’inscrire sur les listes électorales, prendre sa carte d’électeur et voter pour des parti et candidat panafricains qui pourront dérouler un programme dans le sens du renforcement de l’unité des peuples africains.

Quel est aujourd’hui le principal front sur lequel l’OPA-BF focalise ses énergies, quand on sait que l’actualité, c’est aussi les élections présidentielle et législatives couplées de novembre 2020 ?

Le principal front sur lequel nous misons aujourd’hui, c’est surtout la jeunesse. Toute cette jeunesse indécise, cette jeunesse déçue de la politique et qui a toujours refusé d’exprimer son choix, cette jeunesse qui a toujours attendu un changement, sans participer elle-même au changement.

C’est pour elle que nous devons beaucoup miser, pour lui dire que l’espoir est-là, et que l’OPA est une alternative crédible et elle doit simplement accepter de prendre son destin en main et si elle accepte, ensemble, nous réaliserons le changement tant voulu. Personne de ne viendra unir les peuples africains à notre place.

A la faveur de cette Journée de l’Afrique, quel est votre message pour les peuples africains, les Burkinabè en particulier ?

Je voudrais d’abord rendre hommage aux devanciers tels Kwamé Nkrumah, Julius Niénéré, Silvanus Olimpio, Modibo Keita, Patrice Lumunba, Nelson Mandela, Robert Mugabé, Thomas Sankara… qui se sont battus pour une véritable libération des peuples africains et pour leur unité. Ils ont eu le mérite d’entamer ce noble combat, il nous revient de le poursuivre sinon de le réaliser.

Après cet hommage, je voudrais faire le constat que l’UA est aujourd’hui, au regard du problème fondamental qui se pose aujourd’hui à l’Afrique, celle du néocolonialisme, sans perspective, parce qu’elle est elle-même un produit du néo-colonialisme. Ce dont il est le moins question aujourd’hui à l’UA, c’est bien la question de l’unité de l’Afrique. Il y a donc, à l’UA, un panafricanisme sans panafricanistes. Les dirigeants de cette organisation ne se soucient pas de l’unité de l’Afrique encore de celui des peuples. Cela ne peut qu’aiguiser la prise de conscience des peuples, et faire progresser leur mobilisation.

Je voudrais donc rassurer la jeunesse africaine en général et particulièrement celle du Burkina Faso, que le panafricanisme que nous prônons, et pour lequel l’OPA-BF se bat, c’est pour la libération totale des peuples africains, sur le plan politique, économique, social et culturel. Il s’agit d’œuvrer pour la création d’un front uni révolutionnaire des peuples africains et lutter résolument pour la naissance d’un Etat fédéral socialiste fort. Tel est le chemin pour l’édification d’une Afrique des peuples réellement libres et maîtres de leur destin.

Une Afrique dans laquelle les richesses africaines puissent appartenir aux Africains, que ces richesses soient exploitées par les Africains pour l’intérêt des peuples africains. Nous avons la conviction que l’Afrique est un continent riche, seulement, ses richesses sont exploitées par d’autres continents, d’autres puissances, au détriment des peuples africains. A titre illustratif, on nous démontre que le fleuve Congo aurait pu construire l’un des plus grands barrages hydro-électriques au monde à même d’alimenter et l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest.

On nous démontre également que l’uranium du Niger aurait pu construire une des plus grandes centrales nucléaires qui pouvait alimenter également toute l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale en matière d’énergie. Mais où va l’uranium du Niger, c’est exploiter par Areva, qui est une société française et c’est ce qui sert également à fabriquer la bombe atomique.

Nous disons donc que les peuples africains doivent comprendre qu’il est plus qu’urgent, s’ils veulent assurer un véritable développement pour eux-mêmes et pour les générations futures, ils doivent s’engager avec des organisations anti-impérialistes telles que l’OPA-BF dans une perspective révolutionnaire scientifique pour une marche résolue vers l’unification africaine et le socialisme. C’est pourquoi, nous avons pour devise : le Burkina ma fierté, l’Afrique ma force !

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
(oumarpro226@gmail.com)
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